Synesthésie faible

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Synesthésie faible

Message par Frédéric » 20 Juin 2009, 21:33

Hello, toujours pour développer cette théorie, je commence par un petit CR :

Désolé, Cédric, je vais prendre une de nos parties en exemple, mais comme nous en avons déjà parlé, j'estime qu'il n'y aura pas de problèmes (voire, j'espère que tu comprendras mieux où je voulais en venir qu'avec mes explications tordues et pas délicates). ;)

Nous jouions donc à Rolemaster.

Nous étions un petit groupe de 3 joueurs, impliqués dans un complot politique aux ramifications multiples et vertigineuses.

Et il nous arrivait fréquemment de jouer les repas entre nos PJ (et parfois accompagnés de PNJ). Il faut dire que les repas détenaient en eux mêmes une clef d'une partie de l'intrigue, et nous ne le savions pas (un des PJ nous refilait ses anticorps inconsciemment si nous partagions la nourriture, ce qui était plutôt important face à la maladie qui sévissait).

Nous avons donc joué pas mal de repas. Le MJ nous donnait la carte à l'oral, via l'aubergiste et nous choisissions le menu. Il nous demandait la manière dont nous mangions, plat commun ou plats individuels. Puis nous étions lâchés en interprétation libre de nos PJ (ou roleplay si vous préférez).

Lors d'un repas, mon perso est arrivé en retard et avait des informations à rapporter au groupe. Ayant obtenu ces informations en aparté, j'ai donc restitué à ma façon les infos.
Comme mon personnage était d'une éducation fruste (ce qui me posait pas mal de problèmes quand nous jouions des intrigues de court) et qu'il était affamé (j'en avais décidé ainsi, c'était son côté Obélix que j'aimais bien), j'ai entrepris de leur rapporter les informations en mimant un repas goulu, avec monologue la bouche pleine ponctué de bruits de déglutition et de mâchouillage énergique.
Cela était plutôt d'un bel effet, un autre joueur m'a dit qu'il avait apprécié ce moment (où j'étais en monologue) et pourtant, je n'ai jamais reproduit un tel roleplay au cours des deux années de la campagne de Rolemaster...

Je pense qu'il s'agit d'un problème que la synesthésie peut nous aider à comprendre :
Niveau sympathique : j'ai décidé que mon personnage était affamé et qu'il se foutait des bonnes manières, il avait eu des infos, ça intéresserait le groupe.
Niveau utilitaire : j'ai cherché à enrichir l'image de mon personnage et à donner ce que je pense qu'on attend habituellement d'un joueur de JDR : du roleplay.

En soi, cela ne nous avance pas beaucoup, si ce n'est qu'on remarque que la synesthésie semble plutôt convergente, encore que, l'élément de "il faut faire du roleplay" me semble assez divergent... (C'est quand on n'y pense pas, que ça coule que ça devient convergent).

***

Développons un peu. Voici un schéma qui explique ce phénomène que je nomme synesthésie.
Ce schéma est ma vision actuelle de ce concept et est voué à évoluer, je compte sur vous pour m'aider à cela.

Le principe de convergence/divergence en est absent, car il s'agit tout simplement d'une qualité de la flèche "A".

Image

http://froudounich.free.fr/images/schema-synesthesie.gif

Voici l'interprétation que je donne de la scène de roleplay "pendant un repas" du point de vue de ce schéma :

A : comme je l'ai déjà expliqué, j'ai cherché à faire des choix pour colorer mon personnage.

B : la situation me demandait de rapporter les infos que j'avais obtenues en privé aux autres PJ. Enjeu : ne pas se tromper, effort de mémoire ? (Pas tellement en réalité, je me souvenais bien de tout ce qu'il y avait à dire et je n'avais pas décidé de garder des infos pour moi).

C : Le système m'offre des espaces de créativité et circonscrit ce qui est faisable de ce qui ne l'est pas. Ici : je devais rester esthétiquement "dans le ton" de l'univers et crédible dans mon interprétation. Pas de mécaniques incitatives, j'ai seulement l'autorité sur mon personnage, je peux donc le dépeindre à loisir. Je n'ai que des interdictions (ne pas sortir de l'esthétique mise en place).

D : Enjeux du personnage : rien, il rapporte ce qu'il a entendu (et il n'y avait pas le feu au lac).

E : Action du personnage modifiant la situation : en partageant les informations, mon personnage... informe les autres. Ces informations étaient-elles importantes ? Sans doute un peu, mais je n'ai pas le souvenir d'un truc capital. Et si j'avais gardé des infos pour moi ? Bah, ce n'était pas l'image que j'avais de mon perso et je crois que ça n'aurait rien apporté.

F : le système conditionne la situation : La situation était plantée par le MJ et les joueurs, le MJ ayant autorité sur le monde et nous sur nos PJ (du moins, c'est comme ça qu'on l'a joué). Si l'on observe les "schémas actantiels" dans les théories dramaturgiques, il faut un objectif et une opposition pour créer de la "tension dramatique". La situation n'en possédait pas, on était donc un peu au point mort d'un point de vue de l'avancée de la narration.

Je pense donc que dans le fond, j'ai fait beaucoup d'efforts pour peu de récompenses.
- Car cette prestation (action) n'a pas apporté de véritable modification de la situation et de l'histoire (on appelle cela "Agency" en anglais, je compte faire un thread là-dessus un de ces quatre). (E)
- Car il n'y avait pas d'enjeu pour le personnage et je me demande si celui du joueur, je ne me l'étais pas un peu artificiellement construit tout seul (B/D)
- Car le système ne fournissait pas de récompenses, me plongeant dans l'incertitude que mon roleplay ait un intérêt (C)
- Car il n'y avait pas de tension dramatique : objectif + opposition et résistance.

Les flèches B, C, D, E et F ont été brisées. À partir de là, je n'ai plus trouvé la motivation de réitérer ce genre d'effort.

***

- Je pense que la couleur tend également à influencer les choix, dans le cadre du respect du canon esthétique, quel que soit le mode GNS.
- La démarche créative devient une orientation et une validation des choix effectués, elle porte la synesthésie au niveau du groupe.
- Dire qu'on s'emmerde ou qu'on s'éclate dans une partie, c'est pas très fertile pour conserver ce plaisir ou surmonter l'ennui et la frustration. C'est donc pour fournir un outil d'analyse des interactions entre les éléments donnés, que j'ai développé ce concept de synesthésie.

Bon, je sais que je traite des questions d'implication, de motivation et d'un ensemble de choses qui sont peu observables. Si cela pose un problème, concentrez-vous sur les éléments observables et dites-vous que le reste est une analyse de mon rapport au JDR. ^^
Frédéric
 
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Message par Christoph » 28 Juin 2009, 21:20

Salut Frédéric

Décidément, quel sujet compliqué! Je reconnais d'emblée de jeu que je n'ai probablement pas tout compris, donc n'hésites pas à m'expliquer des points supplémentaires.

J'ai été un peu surpris de lire ta description du niveau sympathique. Tu y parles de ta décision concernant ton personnage: n'est-ce pas déjà utilitaire? Tu écris qu'il était affamé et qu'il se foutait des bonnes manières, sans relier cela explicitement à un enjeu pour le personnage (le mot "enjeu" semblait fondamental dans les premières discussions, même si je ne suis qu'à moitié enchanté par le terme en lui-même). En fin de compte, je retiens, si je me base que sur ce que tu écris explicitement, que l'enjeu de ton personnage était de partager les infos.

Sacrés enjeux, comme tu le fais justement remarquer au point (D)! Vois-tu pourquoi je n'aime pas trop ce terme? Pourtant, je pense que l'information que tu donnes concernant le niveau sympathique est celle qui est pertinente. Attention aussi à ne pas trop appliquer la narratologie à des histoires découlant de démarches créatives non-narrativistes. Les deux autres modes n'ont, me semble-t-il, pas spécialement besoin de jouer sur les effets de tensions dramatiques (pris comme exemple).
Néanmoins, je pense comprendre ton analyse du brouillage de la synesthésie et, ma foi, cela me semble tout à fait valable.
De mon côté, j'aurais envie d'aller chercher du côté d'un décalage des attentes créatives entre ton MJ et toi pour décrire cette perte d'intérêt, mais je dois reconnaître que la synesthésie semble être un outil plus adapté à des événements de cette durée. En même temps, est-ce qu'on exagère pas un peu à analyser une telle scène, où essentiellement tu t'es ennuyé comme un rat mort, et ce malgré ta bonne foi? Je ne dis aucunement que tu as tort d'analyser de manière aussi poussée, mais maintenant qu'on commence à manipuler cet outil théorique avec plus d'aisance, la question va gentiment se poser.


Et une question pour mieux comprendre ton point de vue du concept: pourquoi (A) et (F) ne font-ils pas partie du niveau sympathique ni du niveau utilitaire?
Christoph
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Message par edophoenix » 28 Juin 2009, 23:01

La question que je me pose, c'est du coup : qu'est-ce qui t'a motivé, en tant que joueur, pour faire ce RP (je crois que ça peut correspondre aux deux niveaux, sympathique et utilitaire, vu que le personnage lui-même se comporte d'une certaine manière qui est inspirée par la situation et que d'autre part tu décides de le "rôle-jouer" et mimer de la sorte ) si ce n'est pas un enjeu important ni pour le personnage, ni pour l'histoire commune ?

En fait, cette expérience montre que les motivations synesthésiques ne sont pas forcément liées aux enjeux, donc il faudrait se demander quel(s) autre(s) élément(s) peut intervenir...

A propos de l'enjeu, d'ailleurs, voici
définition du CNRTL a écrit :Ce que l'on peut gagner ou perdre dans n'importe quelle entreprise. L'enjeu de la guerre; être l'enjeu de, avoir pour enjeu (...)


L'enjeu est donc ce qui définit la valeur (l'importance) accordée à toute action, quelle qu'elle soit.
"Le Paradis, c'est un roman devant un bon feu ! " - Théophile GAUTHIER.
"Toute notre dignité consiste donc en la pensée " - B. PASCAL, Pensées.
"Si le monde n'a absolument aucun sens, qu'est-ce qui nous empêche d'en inventer un?" - Lewis Caroll, Alice au pays des Merveilles.
"Vouloir nous Brûle, et Pouvoir nous Détruit" - H. de Balzac, La Peau de Chagrin.


La ludologie, c'est bon, mangez-en !
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Message par Romaric Briand » 29 Juin 2009, 16:57

Et moi, sans surprise... je te rentre dedans comme un lutteur greco-romain.

Sois je comprends et je trouve que ton texte est une très mauvaise explication de ce qui s'est passé autour de la table. Sois je ne comprends rien.

Ton schéma explicatif "synesthésie" rend-il compte de la récompense que constitue la congratulation de ta performance par tes potes autour de la table ? Je ne crois pas.

Peu importe les canons esthétiques du jeu il peuvent être dépassés par l'humour. D'ailleurs toute forme d'humour peut être considérer comme un non-respect des canons. Humour de situation : non respect du contexte d'une situation ou du canon de la situation. Humour de langage : non respect du jeu de langage ou du canon linguistique. Etc.

En ce sens, de façon tout à fait naïve, je pense que tu fais fausse route dans l'analyse de cette scène à cause du schéma explicatif "synesthésie". Ton personnage n'est-il pas tout simplement drôle et c'est cela qui a rendu cette scène mémorable. "Putain Fred c'était trop drôle !" "Fred tu es drôle !" A mon sens, la véritable récompense ici se situe en dehors du système, de la fiction, du canon, de la synesthésie, etc.

Cela était plutôt d'un bel effet, un autre joueur m'a dit qu'il avait apprécié ce moment (où j'étais en monologue) et pourtant, je n'ai jamais reproduit un tel roleplay au cours des deux années de la campagne de Rolemaster...


1 - on voit bien la récompense ici. Le pote qui s'éclate !

2 - on ne voit pas du tout le problème par contre.

Quel est le problème que tu abordes ? Est-ce un problème lié au système ? à ta relation avec les autres persos ? Ou est-ce un problème de Fred, le joueur ? Je serais tenté de dire que c'est un problème de Fred plus que de synesthésie.

Je m'explique le problème que tu poses semble être : "Pourquoi n'ai je jamais refait une tel role play à role master ?" et les réponses que tu apportes à ce problème sont de l'ordre du "pourquoi j'ai fait un tel role play à role master". La réponse apportée n'est pas celle de la question posée.

Tu aurais pu être malade durant toute les autres séances et la synéstésie n'aurait pas pu expliquer tes comportements. Tu aurais pu avoir une très mauvaise nouvelle avant chaque scénar et la synesthésie n'aurait pas expliquée cela. Il existe bien des raisons au manque d'humour d'un joueur dans une partie.

Et si parfois les véritables motivations étaient extérieures au système et a tout notre outillage théorique ? Ici c'est un peu ce que je ressens.
Un personnage de fiction souhaitant s'incarner dans la réalité... Les rolistes sont mes proies...
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Message par Frédéric » 29 Juin 2009, 23:17

Bon, je prends un peu de temps pour faire une réponse :

Tout d'abord, je tiens à préciser que ce thread vise à discriminer les principes qui n'ont pas d'utilité pour ce concept de synesthésie. Je suis dans une phase de recherche. Tout ce que j'ai soulevé ici est le centre de mon questionnement sur : qu'est-ce que la synesthésie peut traiter, qu'est-ce qui est à sa limite et qu'est-ce qui n'a aucun intérêt à y être intégré.

Christoph :
Pour le niveau sympathique, j'aurai pu dire : "mon personnage était affamé et il se foutait des bonnes manières", mais je suis obnubilé par l'idée que ce sont les joueurs qui imaginent les personnages et donc, ne pas trop "faire semblant que le PJ existe" me semble important pour rester dans une approche théorique viable. Ici, "j'ai décidé que" n'est pas à prendre comme le choix qui nous intéresse, mais comme un choix préalable à l'action qui a conditionné l'action : j'ai décidé à la création de perso ou un peu après pendant la partie que mon PJ se foutait des bonnes manières et était du genre goinfre. Quand la scène est venue, j'ai cherché à mettre en œuvre ces particularités.

Bien sûr, la limite claire entre niveau sympathique et niveau utilitaire devient plus difficile à évaluer, puisque au final tout n'est que prise de décisions du joueur.
Si le niveau sympathique est exprimé de manière fictive, c'est sûr qu'on le distingue plus facilement. Peut être tout simplement, qu'ici, n'ayant pas vraiment de niveau sympathique satisfaisant, j'ai un peu trop bricolé... ça m'intéresse qu'on approfondisse ça.

Concernant le terme "enjeu", il me semble utile pour bien dire que la synesthésie est une question d'action. Sans l'idée d'enjeux, on serait dans de la catharsis.
En JDR, on a peur pour notre personnage, parce qu'on peut le perdre et parce qu'on doit faire des choix qui amèneront à empêcher ou non cette perspective. C'est très différent de la catharsis du spectateur "passif" à mon avis.

Où veux-je en venir avec cette histoire d'enjeux ? Et bien, je pense que ce que montre ce CR, c'est justement que le JDR ne peut pas oublier qu'il est une fiction. Dépourvu de ses principes narratologiques, il devient un jeu de "faire-semblant" : j'ai un costume de paysan médiéval, je mange de la bouffe de paysan médiéval, je parle son dialecte, je bois du vin, je discute avec mes amis paysans, mais je n'ai pas d'objectif (en dehors de vivre comme un paysan), je n'ai pas d'adversité ni d'obstacles, je n'ai pas d'incertitude dramatique etc.
La fiction n'a plus de dramaturgie : "le protagoniste va-t-il arriver à atteindre son objectif" ?

Même un combat ludiste met cela en œuvre et à mon avis, l'exploration la plus contemplative en partie simulationniste ne peut pas non plus s'en passer.
Que serait Prosopopée s'il n'y avait pas la mécanique pour résoudre les problèmes ?

Je crois que quand on transforme le JDR en jeu de faire semblant, s'il manque les principes narratologiques de base, on n'est plus dans la synesthésie. Quand on n'a aucune synesthésie pendant toute une partie de JDR, je crois qu'on ne joue pas au JDR.
Ça rejoint en partie le contenu d'un article d'Antoine : http://www.silentdrift.net/forum/viewtopic.php?t=631
Il y a des nuances, mais cet article est une des réflexions qui m'ont amenées à la synesthésie.

En revanche, il y a peut être moyen de développer des principes qui viennent compenser partiellement les principes narratologiques dans la synesthésie.

Je me souviens, quand on avait joué à H2O chez Romaric, tu avais fait la remarque à Rémi (je rapporte avec mes propres mots) : "il faut que les choix des joueurs aient un ancrage dans la fiction".
C'est cela que vérifie la synesthésie (une autre référence) : à quel niveau les choix découlent de la fiction et à quel niveau ils ont des conséquences sur elle et pourquoi ça prend ou ça ne prend pas.
Du coup, il n'y avait peut être pas de synesthésie au moment que je décris dans ce thread.

Enfin, pour (A) et (F), je crois qu'ils sont à la fois un peu des deux niveaux sympathique et utilitaire...

Édouard :
Ça me fait plaisir que tu participes à ce sujet !

Ce qui m'a motivé dans ce roleplay, c'était je pense mon héritage en tant que rôliste, mes habitudes : un bon joueur de JDR se doit de faire du roleplay.
(Autant dire que j'ai bien changé depuis =D ).
Comme cette motivation n'est pas liée à la fiction, je pense qu'en réalité ce n'était pas de la synesthésie, seulement de l'habillage de fiction par habitude. Cet habillage de fiction est souvent présent dans toute partie de JDR, mais il est entrecoupé de moments où les enjeux sont suffisamment forts pour faire tourner le moteur sans considérations externes à la fiction du type : "je dois faire du roleplay, parce que sinon c'est pas bien".

J'ai hésité à baptiser ce fil "absence de synesthésie", mais ce n'est qu'une hypothèse que je formule pour le moment : étions-nous en présence d'une synesthésie faible, ce qui signifie en effet qu'il faut bannir le terme "enjeu" de sa définition, ou somme-nous en présence d'une scène de JDR qui n'était pas synesthétique ?
A la lumière de vos remarques, j'opte pour ce deuxième choix qui nous permet de resserrer le champ de ce que recouvre ce concept. Êtes-vous d'accord avec ça ?

Aussi, j'aime bien la définition de l'enjeu que tu donnes, je crois qu'elle est fondamentale et qu'elle nous éclaircit bien sur la synesthésie.

Romaric :
Punition : tu dois copier 100 fois les règles du forum sur l'étiquette et la lecture charitable.
Bon, tu échappes à mon courroux parce que tu soulèves des trucs intéressants.

Doit-on intégrer la récompense sociale au schéma ? C'est une excellente question qui permettrait sans doute de rattacher le concept de démarche créative. Mais je ne sais pas comment, ni si c'est si judicieux, étant donné que au fond, on peut très bien greffer la démarche créative à l'outil sans la lui intégrer...
La question est : doit-on étendre la synesthésie à l'activité de groupe ? Possible, mais pour le moment, toutes mes analyses portent sur le rapport individuel au jeu. Que la récompense vienne du groupe ou du système, je pense que l'un sans l'autre est mauvais, donc la récompense sociale est sans doute implicite dans mon schéma.
La simple récompense sociale, comme je l'ai développé dans le thread sur "la synesthésie dans Sens et les mécaniques incitatives", me semble impuissante à fournir une vraie dynamique de jeu, parce qu'elle dépend trop des relations entre les joueurs et pas assez du jeu de rôle lui-même.
Donc, la reconnaissance que j'ai reçue, je n'ai pas eu le sentiment qu'elle revenait assez souvent dans nos parties (parce que ce n'est pas mon premier ni mon seul roleplay à cette table) pour avoir envie d'investir ce champ.

J'aime bien la relation que tu fais entre canon esthétique et humour (bien que je pense que l'humour peut avoir différentes esthétiques dans la transgression, cf. South Park, les Simpsons etc.).

Si tu as lu mes réponses à Christoph et à Édouard, tu dois comprendre pourquoi ton analyse n'est pas si fausse que cela, mais pourquoi je ne considère pas faire fausse route. Que nous montre le schéma ? >>> "synesthésie au point mort". Donc certes, soit on étend le concept de synesthésie comme je le disais en intégrant les trucs du genre : "je massacre la famille de paysans parce que je (le joueur) n'aime pas les paysans", soit on dit : pas de synesthésie si les motivations du joueur ne sont pas directement rattachées à la fiction.

Si vous voulez améliorer votre partie, décortiquons pour voir où ça coince et changeons ce qui ne va pas.

Exemple de ce qu'on pourrait faire pour transformer cette scène non-synesthétique en scène synesthétique :
  • si révéler ces informations permettait de sauver la vie de quelqu'un et que mon temps est compté, hop j'ai un enjeu de situation (B)
  • si pour y parvenir, on mettait par exemple un sablier, et qu'on devait avoir fini de discuter et avoir commencé l'action de sauvetage avant la fin du sablier, j'aurais eu un enjeu ludique porté par le système (C/F)
  • si ma performance avait permis de sauver ou de ne pas sauver la vie du quelqu'un, me renvoyant clairement que le MJ n'allait pas le sauver par un deus ex machina, ni le ressusciter ou le faire revenir sous la forme d'un fantôme pour compenser notre échec (ce qui peut parfois marcher, mais bon...) j'aurais eu un sentiment d'emprise sur le devenir du personnage en danger et sur l'histoire.(E)


Il y a mille manière, mais au moins, j'ai identifié ce qui me paraissait manquer et j'ai donc la possibilité de trouver des techniques qui aideraient à résoudre les problèmes.

Rom a écrit :
Fred a écrit :Cela était plutôt d'un bel effet, un autre joueur m'a dit qu'il avait apprécié ce moment (où j'étais en monologue) et pourtant, je n'ai jamais reproduit un tel roleplay au cours des deux années de la campagne de Rolemaster...



1 - on voit bien la récompense ici. Le pote qui s'éclate !

2 - on ne voit pas du tout le problème par contre.


1 - Le pote m'a dit qu'il avait aimé dans la voiture au retour de la partie. Certes mon roleplay a plu, mais c'était sans doute l'une des seules fois où je m'en suis rendu compte.

2 - "Je n'ai jamais reproduit un tel roleplay au cours des deux années de campagne de Rolemaster".
Pourquoi ? Parce que pas de synesthésie, parce que pas d'enjeux dans la fiction. Je sais qu'il y a des gens qui n'ont pas besoin de ça, moi je dis : ce n'est pas du JDR.

Donc non ce n'est pas un problème de Fred, tu peux jouer à Mégaman sans pièges et sans ennemis si tu veux...

Non je ne parle pas du manque d'humour.

Les motivations extérieures à la situation et au système, ce n'est pas de la synesthésie et selon moi, quand une partie de jeu ne possède pas de synesthésie, ce n'est pas du JDR. Les causes externes aux choix des joueurs, les enjeux purement externes (genre : je dois résoudre l'énigme avant Robert, pour lui montrer qu'il avait tort et je suis plus intelligent que lui) ne font pas une partie de JDR.

Je ne dis pas ça pour dire : "mon concept il est génial", seulement, comme le JDR est un médium composite (souvent constellé d'énigmes, de moments de pure spéculation sur le scénario, de jeux dans le jeu, de moments purement descriptifs, de phases sans fiction, de phases sans dramaturgie, de phases sans exploration et de phases sans système (monologue du MJ sans interaction avec les joueurs), je pense qu'il est intéressant, surtout pour comprendre les problèmes que l'on peut avoir pendant nos parties, d'isoler sa spécificité. Pour moi, cette spécificité est la synesthésie. La synesthésie, c'est la façon dont les enjeux sympathiques sont mis en perspective par les enjeux utilitaires.

Certains problèmes que j'ai rencontré dans de nombreuses parties de JDR, à de nombreuses tables, viennent du fait que la synesthésie est rompue à un ou plusieurs niveaux.
Frédéric
 
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Message par Christoph » 05 Juil 2009, 19:37

Hello Frédéric

Commentaire modérateur avant d'en venir au gros truc, mais que je considère avec le plus grand sérieux et que je conçois comme un avertissement: ne joue pas avec l'arme de la modération dans les discussions. Je suis le seul modérateur sur ce forum et je pense que c'est une très mauvaise idée si des gens commencent à s'auto-déclarer comme aptes à juger de ce qui est sujet à modération ou pas, ça peut donner un très mauvais signal pour les gens qui connaissent pas bien le forum.
En l'occurrence, si tu penses que Romaric a vraiment manqué de charité et pas respecté l'étiquette, ton réflexe devrait être de m'écrire un message privé pour expliquer en quoi tu vois une enfreinte (si c'est toujours le cas après ce message, c'est ce que tu dois faire). Le sujet de la modération est un sujet sensible vu mon style, je veux donc au moins une clarté absolue sur ce qui est de la modération et ce qui ne l'est pas.

Je crois que Romaric a quelques bons arguments et que au pire il n'a pas compris ton sujet. Moi aussi j'ai beaucoup de peine à comprendre ton sujet et je te l'ai dit dès le début. Est-ce un manque de charité si deux des mecs qui suivent le plus tes idées rôlistes ne comprennent pas vraiment où tu veux en venir? Tout le monde a le droit de ne pas comprendre quelque chose.
Alors oui, Romaric a son style fonce-dans-le-tas et peut-être qu'il aurait du relire plus attentivement, mais comme la situation n'est pas claire, il faut que toi aussi tu appliques le principe de charité et que tu partes du principe que peut-être il a compris quelque chose, même s'il l'explique mal. On arrive dangereusement près de la discussion théorique pure, et on sait à quel point les esprits s'échauffent dans ces cas. Plutôt que de dénoncer au premier petit signe d'emportement, je propose que chacun prenne une attitude de désamorçage de conflit. En tous les cas, merci de ne plus prendre de ton modérateur si tu rappelles l'étiquette à quelqu'un.

Romaric, je te propose de réfléchir à la chose pour toi-même puisqu'elle a été évoquée. Au besoin, on peut en parler entre nous.
Christoph
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Pour une définition claire

Message par Christoph » 05 Juil 2009, 20:26

Salut Frédéric

J'aimerais une bonne fois pour toute aplanir un certain nombre de choses floues au sujet de la synesthésie, parce que le sujet me frustre et parce que la bonne santé de nos discussions futures en dépend en partie. Je pense donc que ce message est parfaitement en phase avec ton but de voir où il faut dégraisser sur le concept de synesthésie.

Le gros souci avec la synesthésie, c'est qu'elle a plusieurs définitions, tel que je comprends la situation.

A) Un raffinement du concept de postures
C'est dans cette optique que nous avons introduit l'idée qu'il y avait deux niveaux à la synesthésie: le sympathique et l'utilitaire. Frédéric parle d'enjeux de personnages et enjeux personnels, moi je suis ennuyé par ces termes pour plusieurs raisons déjà données dans ce fil. Je propose de changer la façon d'en parler comme "ce que veut le personnage" et "ce que veut le joueur", en gardant à l'esprit que le terme de personnage peut être très large et regrouper un ensemble (c'est particulièrement pertinent quand on pense à ce que fait un MJ par l'entremise de plusieurs personnages).
Pourquoi je préfère "vouloir" à "enjeux"? Parce que ça permet de décrire les scènes tranquilles dans un jeu de rôle. Je crois profondément à la valeur des conflits dans un récit (et ça dépasse le jeu de rôle), mais il faut des scènes qui fassent un contre-point à ces moments de tension. Dans Polaris, les Lunes (ceux qui jouent les non-antagonistes dans l'histoire) sont l'occasion d'amener de telles scènes, dans Dirty Secrets les scènes de Réflexion sont les moments où l'investigateur fume une cigarette, boit un whiskey, prend un bain et réfléchit à ce qu'il se passe (ça vous rappelle des films, n'est-ce pas?) Dans de telles scènes, parler d'enjeux me semble au mieux étriqué. Le personnage veut juste parler, le personnage veut juste se détendre, le personnage veut avoir des moments de tendresses. Mettre ça sous la forme d'un enjeux implique qu'il peut y avoir confrontation, qu'il peut y avoir non-lieu. C'est une source de frustration pour moi.
Alors ça peut nous amener plus loin que ce tu veux, Frédéric, à toi de me le dire.
Avec cette formulation, ton personnage dans cette partie voulait être le centre de l'attention et il voulait se péter le bide. Je trouve cela parfaitement légitime. La synesthésie de type (A) peut avoir lieu dans un tel cas. Ton soucis c'est que le contexte (autant dans le sens de ce qui était possible dans la partie que dans ce qui se créait effectivement) était inapproprié.
Je pense que c'est nécessaire de parler de "vouloir" plutôt que "d'enjeux" si on veut récupérer la fonction des postures. Il est indéniable que tu étais en posture d'acteur dans ce cas. Du coup, ça me semble étrange de dire que la synesthésie de type (A) était brisée. L'expérience qu'elle t'a procurée, quant à elle, peut très bien être faible ou insatisfaisante. Ce point à déjà été soulevé dès le fil sur la synesthésie paradoxale et n'a toujours pas reçu de traitement adéquat, ce qui est un problème.
Il me semble qu'il faut distinguer ces deux choses et c'est ce qui me mène à parler du prochain point.
Sur ce concept précis, j'ai des idées à développer depuis la discussion que Frédéric a amené dans Synesthésie velue, mais j'attends d'être au clair avant de développer cela.
Dans la mesure où les deux niveau peuvent en effet être soutenus par des règles, je pense qu'il est tout à fait intéressant de voir comment cela se fait, à l'image de ce que vous avez fait dans les fils [Sens] synesthésie et mécaniques incitatives et limitatives et celui d'Edouard au sujet de la "synesthésie négative".


B) Une façon optimale d'explorer ou une théorie de l'implication personnelle
A mon sens, Frédéric, tu intègres de manière centrale à ta réflexion des jugements de valeurs sur ce que la synesthésie (au sens de (A)) t'a apporté, j'entends spécifiquement des choses comme:
Frédéric a écrit :C'est ainsi qu'on a joué une scène d'une intensité émotionnelle incroyable (j'étais désemparé à partir du moment où le conflit est parti en vrille), où la problématique morale/violence de Ditv m'a sauté au visage et a laissés des traces indélébiles. (in La synesthésie)
Nous (joueurs) avons vécu une scène d'une rare intensité, nous étions très motivés à la jouer, le MJ lui-même s'est régalé, bref, un grand moment. (in Synesthésie paradoxale)


Pour toi, cela semble faire partie intégrante du même concept, autrement je ne crois pas que tu aurais pu formuler ton approche analytique dans le présent fil en termes de synesthésie. Par exemple dans ta dernière réponse:
Frédéric a écrit :Peut être tout simplement, qu'ici, n'ayant pas vraiment de niveau sympathique satisfaisant, j'ai un peu trop bricolé.

Après réflexion sur le commentaire de Romaric et après revue des anciens fils, je ne pense pas que la synesthésie suffise à comprendre le problème que tu décris. En effet, si la synesthésie est telle que définie en (A), alors cette phrase que j'ai citée n'a aucun sens! Le niveau sympathique serait "vouloir être le centre de l'attention et bouffer". Je ne vois pas l'intérêt de dire que ceci est satisfaisant ou pas. C'est le joueur qui retire la satisfaction par rapport à son expérience de la partie. Ici tu dis ne pas avoir été satisfait, mais d'autres joueurs pourraient l'avoir été.
Ceci dit, je veux bien te croire que tu n'aies pas été satisfait par cette scène. En relisant avec le commentaire de Romaric en tête, le problème le plus fondamental, c'est que toi tu n'étais pas satisfait de faire ce que tu faisais. On touche un tout autre niveau que les niveaux utilitaire et sympathique (et ce peu importe si on parle d'enjeux ou de vouloir).
Tu y mélanges aussi des principes narratologiques, mais pour moi ce n'est vraiment pas clair si, par exemple, Prosopopée se base vraiment sur des conflits et de la tension dramatique. En fait, je pense même que ce n'est pas le cas! Et pourtant je peux définir une chose telle que décrit en (A) quand je joue à ce jeu. Mon interprétation c'est que si tu reconnais que le problème décrit dans cette partie se situe à un autre niveau, plus profond et plus personnel, alors tu verras que ton reproche se base sur tes goûts personnels en terme de dramaturgie (c'est un de tes sujets de discussions et de recherche de prédilection après tout), et qu'en l'absence d'une structure solide comme celle de Prosopopée tu te mets par défaut en mode "enjeux, conflits, drame", parce que c'est une valeur refuge pour toi.
Une autre indication pour illustrer que tu abordes un sujet différent et plus personnel c'est que dans ta réponse à Edouard dans son fil sus-mentionné, tu analyse de manière très intéressante en fonction de (A) (même si on trouve déjà cette idée de tension dramatique, parce que effectivement dans le cas précis d'Edouard c'était pas tout faux de voir cela de cette manière).
La discussion qui part sur le commentaire de Romaric au sujet des récompenses me semble renforcer cette piste du mécontentement. On ne traite traite plus du tout de synesthésie (A). Or, on entre sur du terrain connu avec les récompenses! C'est une question de contrat social et de démarches créatives. Dans cette partie et connaissant l'historique du groupe en question, ce n'était pas clair s'il y avait une démarche créative fonctionnelle à l'œuvre et, même, tu n'as pas dit si au niveau fondamental le groupe était vraiment engagé dans le concept-même de jouer à cette campagne, qui en fait se basent beaucoup sur la Couleur et la Récompense (au sens de: « qu'est-ce qu'on retire de la partie? »), voir par exemple [Sorcerer] Cascadiapunk post-mortem sur la Forge. D'où frustrations et "retour au mode par défaut". Je traite au point (C) de ce que je pense du fait d'associer synesthésie et démarches créatives.
Comme le contrat social est un sujet qui n'a pas été abordé de fond en comble sur ce forum, je pense qu'il est essentiel d'opérer cette distinction entre (A) et (B) une bonne fois pour toute, afin de partir sur une meilleure base de compréhension commune.


C) De vagues liens avec les démarches créatives
Ça je le mets juste par souci d'exhaustivité, mais Frédéric a bien vu dès le début que c'était pas le bon truc. Je m'étais demandé si le niveau utilitaire en (A) pourrait représenter la participation personnelle dans la démarche créative. C'est une mauvaise idée parce que ça donne davantage d'opportunités d'avoir des malentendus au sujet des démarches créatives, et surtout, à part dire "pour que la démarche créative tourne bien, chacun doit y mettre du sien" (merci La Palice), ça ne sert à rien de relever le fait.


Pour la suite
C'est évident au vu de ma façon d'en traiter, je suis enthousiasmé par le type (A) en tant que raffinement d'un concept existant et j'aimerais bien que le terme synesthésie reste associé à cela: c'est clairement délimité et le lien entre les deux niveaux peut effectivement être vu comme une sorte de synesthésie au sens figuré.
Je pense que les autres points que tu abordes, Frédéric, sont déjà couverts par des choses comme le contrat social, les démarches créatives, le plaisir de jouer ou la qualité d'une partie. Ces sujets méritent visiblement un traitement plus en profondeur et peut-être même qu'il s'y cache des raffinements nouveaux, Frédéric! Peut-être même que je me trompe et qu'il y a la tout un nouveau domaine à baliser! Ça je ne puis le dire au stade où nous en sommes, mais j'aimerais de la clarté après tous ces fils.

Est-ce qu'on peut se mettre d'accord sur une définition, sinon définitive, au moins bien dégrossie?
Christoph
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Message par Frédéric » 05 Juil 2009, 22:05

C'est bizarre, j'ai la vague impression que vous essayez de me pousser dans mes retranchements...
Ce concept de synesthésie, il est aussi frais pour moi que pour vous.

J'avance en même temps que vous. Il y a peut être des choses qui vous heurtent dans mes propos, mais m'entendre dire que c'est juste "la façon de jouer que j'aime", ça me paraît un peu fort de café !

La question des enjeux est pour moi fondamentale, il va falloir creuser : est-ce que le simple "vouloir" est vraiment de la synesthésie, je n'en suis pas sûr.

Quant à l'intégration des concepts de narratologie, bordel, je suis quand même le mec qui a pondu Prosopopée, le JDR contemplatif, c'est bien que j'ai conscience qu'il n'y a pas que les principes narratologiques qui font de bonnes parties !

Si je les emploie ici, c'est bien parce que c'est un exemple qui parle et qui est facile à comprendre.

Le nombre de parties que j'ai jouées où les joueurs pouvaient passer 3/4 d'heures à spéculer ou à faire du roleplay sans le moindre enjeu... J'ai une case dans ma tête où je range ces parties, et cette case porte la mention "parties insatisfaisantes".
Et de ce que je vois ici ou là, ceux qui s'en contentent le font par habitude.

Donc, j'essaye de cerner quand il se passe une véritable dynamique entre jeu et fiction et quand il n'y en a pas.

Je reviendrai sur le reste plus tard...
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Message par edophoenix » 06 Juil 2009, 00:04

Salut Fréd !

J'ai voulu attendre que Christoph aie fini son commentaire avant de te poser mes questions, je reviens donc un peu en arrière :
Tu m'as répondu, je cite :

J'ai hésité à baptiser ce fil "absence de synesthésie", mais ce n'est qu'une hypothèse que je formule pour le moment : étions-nous en présence d'une synesthésie faible, ce qui signifie en effet qu'il faut bannir le terme "enjeu" de sa définition, ou somme-nous en présence d'une scène de JDR qui n'était pas synesthétique ?
A la lumière de vos remarques, j'opte pour ce deuxième choix qui nous permet de resserrer le champ de ce que recouvre ce concept. Êtes-vous d'accord avec ça ?


Je ne suis pas d'accord, mais en fait, en lisant cela, je ne comprend plus bien où tu veux en venir. Pour expliquer ce que je ressens, et avant de continuer (j'ai aussi quelques idées à te soumettre, je le ferais ensuite ! ), je vais revenir encore un peu plus en arrière, pour m'assurer que je comprend bien (ou pas ?) ta conception naissante de la synesthésie (sinon, en fait, on parle chacun de son coté, mais pas de la même chose, et la discussion risque de devenir stérile ).

Or donc, dans ton tout premier thread consacré à ce sujet, tu avais défini le concept : " pour définir la correspondance entre les enjeux fictifs du personnage et les enjeux ludiques du joueur.

J'avais appelé cela « latéralité » dans quelques threads
(...)
"

et de poursuivre plus loin : "- Il y a toujours une distance entre ce qu'éprouve le joueur (d'un point de vue émotionnel et ludique) et ce que devrait éprouver son personnage -"

J'avais donc interprété ce concept comme un lien d'empathie entre le joueur et son personnage qui favorisait l'immersion ( Christoph utilise d'ailleurs le même terme dans le thread d'origine, dans le paragraphe intitulé "Les deux niveaux de la synesthésie".), et de ce que j'avais compris, il s'agit d'un phénomène à effet psychologique.
(Cette conception m'avait beaucoup plue pour son approche de psychologie appliquée au jeu, je pense que tu sais pourquoi ;) )

Est-ce que je suis dans le vrai ?




Poursuivons... Par rapport à ton compte-rendu de partie : Tu dis qu'il n'y a pas eu synesthésie, mais pourquoi ?


- est-ce parce que tu n'as pas été satisfait de ta prestation (ou de ses effets, résultats, sur toi-même, sur le groupe de joueurs, ou sur la situation de jeu, cà dire autres personnages dans la fiction) ?

- ou parce que tu trouve, a posteriori disproportionnée l'écart entre tes enjeux et ceux de ton personnage ?

- ou encore parce que, malgré ce morceau de role-play, tu t'ennuyais ?

Il y a - en tout cas chez moi - une première confusion ( je crois en fait, parce que j'ai l'impression qu'il reste des nons-dits ).
Dans le premier cas, en tout état de cause, je pense qu'il y a un danger : celui de mêler l'affect à la théorie.
Car à mon sens, ce n'est pas parce que tu n'as pas été satisfait qu'il n'y a pas eu effectivement synesthésie.

D'où une question fondamentale si on veut se comprendre (je pense qu'on ne peut pas continuer à réfléchir sur ce thread sans cela) : la synesthésie est-elle nécessairement satisfaisante, est-elle par nature et invariablement source de satisfaction ?

Pour répondre à cette question, il faut d'ailleurs commencer par dégager ce concept de satisfaction et le dissocier de celui de synesthésie.

En effet ici, j'ai l'impression, selon la définition originelle et la description faite, que la scène, que tu nous as décrite, était très synesthétique (pas au sens où tu éprouvais très fortement ce que ton personnage éprouvais, mais où tu cherchais à te comporter comme lui).
Et là, j'en reviens à ma question de départ à propos du lien empathique favorisant l'immersion. Je n'ai pas réussi à trouver la définition de l'empathie sur le site du CNRTL (qui est pour moi doublement la référence, en tant que site institutionnel ET scientifique.) mais j'ai noté que le synonyme qu'on en donne est "identification", d'où cette question complémentaire : en te comportant comme ton personnage, as-tu réussi à mieux t'identifier à lui ?



P.S. (edit.) : même si je n'aime pas m'y référer, wikipedia a écrit :
(...)Le terme empathie[1] a été créé en allemand (« ressenti de l'intérieur ») par le philosophe Robert Vischer pour référer à l'empathie esthétique, le mode de relation d'un sujet avec une œuvre d'art permettant d'accéder à son sens.

Le mot fut par la suite réutilisé en philosophie de l'esprit par Theodore Lipps (une influence reconnue de Sigmund Freud et des phénoménologues) pour désigner dans ses premiers écrits, le processus par lequel « un observateur se projette dans les objets qu'il perçoit ».
Plus tard, Lipps introduisit la dimension affective dont héritera notre conception moderne : l'Einfühlung caractériserait par exemple le mécanisme par l'expression corporelle d'un individu dans un état émotionel donné déclencherait de façon automatique ce même état émotionnel chez un observateur. (...)








enjeux vs. intention : deux notions s'affrontent !


Ici, je vais donner un avis personnel pour essayer de contribuer à l'avancement du sujet, mais il est évident que ça n'a pas force de loi, et que je ne cherche pas à l'imposer. Je veux juste donner à réfléchir.

Tout d'abord, j'insiste sur le fait qu'il ne s'agit pas seulement de termes de vocabulaire, mais d'une confrontation de notions, parce qu'ici, ce ne sont pas les signifiants, mais le champ de leurs signifiés qui sont mis en question.

Christoph parle de volonté "ce que veut le personnage /le joueur". Ce concept recouvre donc les idées d'objectif ( ou bien volonté, but, dessein, projet, désir, ...), et de détermination, de disposition, de velléité, de motif et de mobile.
Si j'ai voulu le désigner par le terme d'intention, c'est pour bien montrer que selon mon entendement, ce concept a une forte connotation individuelle : l'intention dépend de l'individu propre, personnellement, mais pas de l'extérieur (ou très peu).

le concept d'enjeu, pour sa part, ne peut être utilisé que dans un rapport de soi à l'extérieur. Evidemment, il connote fortement l'idée de tension, et selon ce que j'ai compris, c'est ce qui le rend délicat à utiliser selon toi,
(ici, je fais attention à dissocier également les concepts de tension et de confrontation, qui ne sont pas synonymes. Le plus simple pour le comprendre est d'imaginer une pile : la tension augmente quand les deux pôles de la pile ne sont pas connectés, mais dès qu'elles le sont, il y a diminution de la tension, au profit du courant qui passe ce qui provoque le court-circuit, donc la confrontation directe des deux poles. ).

Pourquoi est-ce que je préfère la notion d'enjeu à celle d'intention ?

Parce que, comme je l'ai dit, l'intention recouvre une connotation d'individualité isolée : peu importe ce qui entoure le personnage, si son désir est de faire la sieste. L'intention, le désir vient de lui-même, de sa fatigue, même si on est en pleine journée, et non la nuit.
Au contraire, le concept d'enjeu recouvre l'idée d'une relation de soi à son entourage, il y a dans tout enjeu un rapport à un élément extérieur à soi. Et c'est pour cela qu'il convient à la synesthésie selon moi, pour deux raisons :
  • d'abord, au niveau métaphorique, il renvoie à l'idée de la relation du joueur à son personnage (et vice-versa). Or, c'est bien de cela qu'il est question ici, de la correspondance de leurs sensations et ressenti (si ma compréhension est bonne !).
  • ensuite, parce que cette notion d'enjeu dépasse le simple but personnel du personnage : cette idée replace le personnage dans un contexte, et en l'état actuel des choses, je ne conçois pas que la synesthésie soit indépendante de la situation de jeu qui en est la cause (ou du moins, un élément de cause.).
  • enfin, la tension est généralement l'un des ressorts de l'intérêt ludique d'une partie qui se rattache à la synesthésie, en tout cas dans mon expérience (cf. le thread sur la synesthésie négative. )



re-qualifier les enjeux :

Un des problèmes vient, je crois, du fait que l'on a pas cherché à classer et qualifier les enjeux (pour mémoire, cf. mon post précédent à propos de sa définition).
C'est la dernière raison pour laquelle je préfère la notion d'enjeu à celle d'intention : quand on parle d'un "enjeu" en lui-même, on donne rarement un sens à l'objet que l'on veut caractériser d'enjeu ( bien sûr, on peut qualifier une intention d'intense, de perverse, de pure, de généreuse, ou autre... Mais ce n'est pas du même ordre, puisqu'ici il ne s'agit pas tant du domaine de référence que de la nature de l'intention.)
Un enjeu peut être social, économique, politique, international, militaire, personnel, affectif, sentimental, cognitif, professionnel (pour sa carrière personnel, ou pour l'ensemble de la profession !), ludique, pédagogique ou éducatif, maritime, territorial, culturel, etc...

Je reprends donc l'exemple de ton rapport de partie, Fred :

Enjeux du personnage : rien, il rapporte ce qu'il a entendu (et il n'y avait pas le feu au lac).

Tu as dit qu'il n'y avait pas d'enjeu pour ton personnage à révéler les infos (il n'était pas pressé par le temps, ...)
Je pense qu'au contraire il en avait un, voire plusieurs, même si - en tant que joueur - tu n'en as pas été conscient.

Car il y a une question implicite à laquelle tu n'as pas répondu dans ton CR : Qu'est-ce qui a décidé ton, personnage à transmettre les infos au reste de l'équipe, plutôt que de les garder pour lui ? La réponse, c'est précisément là l'enjeu, ce qui a donné de la valeur à cet acte, ou, en d'autres termes, pourquoi parler était-il plus important que se taire en mangeant ?
Ton personnage a forcément une raison pour parler à ce moment-là (parce qu'il aurait pu décidé de garder un avantage, un ascendant sur les autres membres du groupes en gardant les infos pour lui, ou alors, tout au moins, parler plus tard puisque, comme tu le disais, il n'y avait pas le feu au lac ? ====> c'est d'ailleurs là qu'on voit qu'un enjeu peut être associé à une faible tension, et non à une confrontation.)

Quelques pistes :
  • enjeu social : le personnage cherche soit à mieux s'intégrer au groupe, soit la reconnaissance des autres membres du groupe ?
  • enjeu éthique : par honnêteté, ou parce que dans une équipe, il est important de ne rien cacher à ses partenaires, afin d'instaurer ou de conserver la confiance - ou pour toute autre raison morale ?
  • enjeu stratégique : pour renverser le complot, vaincre l'ennemi, ou tout simplement survivre, il est important -sinon essentiel - que les autres connaissent ces infos ( c'est une supposition de ma part... Mais note que si on connaissait la nature des infos que ton perso a partagé avec les autres, alors on pourrait peut-être trouver encore d'autres enjeux !) ?
  • enjeu "judiciaire" (je n'ai pas trouvé de meileur terme...) : l'enquête ne peut aboutir, et les criminels, terroristes, usurpateurs (ou autre) ne peuvent être démasqués, retrouvés et punis que si ces infos sont dévoilés (ou du moins elles y contribuent fortement ?) ?


En ce qui te concernait en tant que joueur, j'ai l'impression que l'enjeu était tout simplement ludique, et qu'il s'agissait en soi, de bien "role-player" le personnage, ce qui peut constituer un enjeu par lui-même (cela fait en outre partie du plaisir du jeu).





edit.: nature et matière..? question subsidiaire :

Salut à nouveau...

Une autre question vient agiter mon esprit : il y a, dans ton compte-rendu, un amalgame entre l'action, et la manière de la jouer. Ce détail me gênait sans que je puisse l'exprimer parce que, telle que je comprend la synesthésie pour le moment, les deux concepts lui sont liés, je crois.
Néanmoins, je pense qu'on gagnerait à les dissocier clairement, car leurs enjeux ne sont pas les mêmes.
Il y a peut-être là matière à un troisième niveau, mais je n'en suis pas certain.

ainsi, il y aurait :
1- le niveau sympathique : l'attitude et les enjeux du personnage ( et ses effets réciproques avec ceux du joueur ?)
2- le niveau utilitaire : les enjeux du joueur expliquant pourquoi il fait faire cet acte au personnage plutôt qu'un autre.
3- le motif qui explique la manière dont le joueur choisit d'exprimer ou décrire cet acte.

Je sais que c'est plutôt compliqué et pour tout dire, je ne suis pas sûr que ce soit utile, en fait, j'ai le sentiment que ça embrouille la théorie plutôt qu'autre chose, mais même sans retenir ce schéma, je crois que l'idée est intéressante car ce qu'elle exprime peut aider à réfléchir sur ce cas.
Cela rejoint l'intuition qu'un joueur qui ne "role-playe" pas autant peut aussi bien ressentir une forte synesthésie avec son personnage, tandis qu'un bon comédien (comme tu le disais toi-même) n'a peut-être qu'une faible expérience de la synesthésie.




Voilà, je m'aperçois du fouillis de mon post : chaque paragraphe traitant d'idées diverses, mais avec des retours en arrière, puisque ces différentes idées sont liées, donc ça fait un peu désordre... Je m'en excuse, j'espère que c'est compréhensible !
"Le Paradis, c'est un roman devant un bon feu ! " - Théophile GAUTHIER.
"Toute notre dignité consiste donc en la pensée " - B. PASCAL, Pensées.
"Si le monde n'a absolument aucun sens, qu'est-ce qui nous empêche d'en inventer un?" - Lewis Caroll, Alice au pays des Merveilles.
"Vouloir nous Brûle, et Pouvoir nous Détruit" - H. de Balzac, La Peau de Chagrin.


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Message par Frédéric » 06 Juil 2009, 11:48

Bien, voyons voir les choses qui ont été soulevées :

Christoph >>> Cette question concernant les "scènes tranquilles" me semble hautement pertinente.
Ce que j'aimerai, c'est que tu essayes d'appliquer la petite analyse synesthétique à une scène de ce genre que tu as jouée et qui n'était pas un simple moment d'ennui bouche-trou.
Je suis convaincu que l'on peut y dégoter des enjeux intéressants, notamment d'enrichissement de la fiction (pour le joueur).

Pour le moment, pourquoi suis-je attaché à ce terme d'enjeu ?
1- Parce que je ne le rattache justement pas aux conflits, je le prends comme quelque chose de plus large.
2- Parce que je pense que l'"enjeu" au sens où je l'emploi (la def d'Edouard me plait bien) me semble être un (le ?) lien entre le jeu et la fiction dans l'activité rôliste.
Y a-t-il d'autres raisons de faire des choix en JDR que le fait de rencontrer (ou de construire) des enjeux ?
Je n'en suis pas sûr.
Et notamment, je pense que les motivations purement extérieures à la fiction (du genre : Mon PJ a utilisé son sort de "mort" le plus puissant parce que j' (le joueur) avais besoin d'aller aux toilettes et que je ne pouvais pas attendre la fin du combat. Ne sont pas acceptables synesthétiquement.

C'est à creuser, bien sûr, j'entends très bien tes arguments, je ne me bloque pas, simplement, pour le moment, cette question "enjeux ou vouloir" me semble avoir une grande importance pour définir ce concept et ses utilités, je ne veux pas risquer de passer à côté de quelque chose d'important.

La question que je me pose actuellement, c'est : ces "scènes tranquilles" ne sont elles pas justement des parenthèses et la synesthésie y apporte-t-elle quelque chose d'utile ou d'intéressant ?
Je pense qu'une petite analyse de scène nous éclairerait vraiment là-dessus.
Je ne suis pas sûr d'avoir des expériences de jeu du genre de celle que tu décris.

Christoph a écrit :Avec cette formulation, ton personnage dans cette partie voulait être le centre de l'attention et il voulait se péter le bide. Je trouve cela parfaitement légitime. La synesthésie de type (A) peut avoir lieu dans un tel cas. Ton soucis c'est que le contexte (autant dans le sens de ce qui était possible dans la partie que dans ce qui se créait effectivement) était inapproprié.

Attention, mon personnage ne voulait pas être le centre de l'attention, il se contentait de rapporter les infos et oui, il avait faim.

Si j'ai choisi cette scène, c'est justement parce qu'elle est spéciale à mon avis : j'ai envie de parler de ce qui peut être motivant pour un joueur dans une partie de JDR et cette scène illustre bien un effort assez important pour moi, pour tout un tas de raisons et une récompense qui ne justifie pas l'effort.

C'est cette part de motivation qui à mon avis perturbe la discussion.
Mon idée est simple :
Il y a des différences de qualités synesthétiques. Quand faire un choix m'est pénible (en terme d'efforts) ou peu gratifiant, c'est que je pense qu'il y a un manque dans le processus de jeu.
En tant que joueurs, MJ ou créateurs de jeu, je pense qu'il est important de parvenir à une bonne dynamique créative. Pour cela, au niveau individuel, il me semble que le schéma que j'ai proposé est une bonne piste pour comprendre une grande partie des implications nécessaires à de la prise de décision gratifiante.
Les principes narratologiques ne sont sans doute qu'une façon parmi d'autres de gérer cela efficacement, mais l'idée que tout choix est porteur s'il prend racine dans la fiction et le système et s'il a une influence sur la fiction est la base de ce que j'expose ici.

Je me demande si le fait que Romaric ne comprenne pas mon problème n'est pas lié au fait que dans les quelques parties que j'ai jouées à la baronnie, tous les joueurs faisaient preuve d'une emphase au roleplay pur y compris dans les scènes sans "enjeux", allant même jusqu'à créer des tensions entre les PJ.

Je pense que dans la majeure partie des cas, ces choix sont fréquemment stimulés par des raisons externes à la fiction ("c'est comme ça qu'on doit jouer", par exemple) et c'est ce que je veux discriminer avec la synesthésie.


Pour le point B) : Si la synesthésie nous renseigne sur la façon dont les choix sont stimulés par la situation et le système, oui elle peut permettre de comprendre pourquoi certaines phases de jeu sont molles et d'autres non.

Et là, truc important : quelle différence fais-je entre la scène ici décrite et mes parties de Prosopopée ?
Dans Prosopopée, chacune de mes propositions peut être gratifiée par un dé de récompense, ce qui amène des "enjeux" quant à l'esthétique et la crédibilité de mes propositions : ma proposition va-t-elle plaire ?
Mais la mécanique de récompense permet de rendre toujours valide et présent cet enjeu.
Et surtout, ce que je crée est potentiellement important pour la fiction, parce qu'il nous amène à la possibilité d'un problème qui pourra lui-même être résolu plus tard (enjeux de résolution dépendant de la création de problèmes pour exister).
C'est cet ensemble qui selon moi crée un stimulus créatif au niveau individuel.
En tout cas, c'est comme cela que j'ai conçu le jeu.

Il y a des enjeux prégnants tout au long de la partie (au moins pour les joueurs).

Alors que dans cette scène de Rolemaster, les enjeux sont inexistants ou hors de la fiction.

Et concernant mon problème ici, non on n'est pas dans un problème de démarche créative ! De récompense, oui ! Mais pour comprendre à quel niveau cela se situe, il me semble intéressant de lier la récompense aux autres éléments pouvant influencer directement la prise de décision.
Même si on avait une démarche créative fonctionnelle, certaines scènes sont molles, c'est cela que je veux analyser. Et quand on a plus de scènes molles que de scènes croustillantes, je finis par me demander où ça coince.
La synesthésie s'intéresse à la manière dont le moteur de décision fonctionne au niveau individuel.

Pour le moment, je ne vois pas très bien comment employer efficacement la synesthésie sous la forme de "concept des postures" amélioré, bien que ça m'intéresse, je n'en vois pas d'applications. Donc si tu veux développer cet aspect là, fonce ! Pour moi, actuellement, la synesthésie va dans le sens de ce que je décris ici, l'outil du schéma m'apparaît vraiment intéressant, puisque c'est ce que j'utilise pour mes jeux et mes parties.

Je rencontre beaucoup de tables où au delà des questions de démarche créative, de contrat social et autres, il y a un véritable dysfonctionnement technique sur ce "moteur décisionnel" et c'est ce que je veux aborder ici.



Edouard >>> Je pense que tu as bien saisi ce qu'est la synesthésie.

edophoenix a écrit :Poursuivons... Par rapport à ton compte-rendu de partie : Tu dis qu'il n'y a pas eu synesthésie, mais pourquoi ?


- est-ce parce que tu n'as pas été satisfait de ta prestation (ou de ses effets, résultats, sur toi-même, sur le groupe de joueurs, ou sur la situation de jeu, cà dire autres personnages dans la fiction) ?

- ou parce que tu trouve, a posteriori disproportionnée l'écart entre tes enjeux et ceux de ton personnage ?

- ou encore parce que, malgré ce morceau de role-play, tu t'ennuyais ?

Il y a - en tout cas chez moi - une première confusion ( je crois en fait, parce que j'ai l'impression qu'il reste des nons-dits ).
Dans le premier cas, en tout état de cause, je pense qu'il y a un danger : celui de mêler l'affect à la théorie.
Car à mon sens, ce n'est pas parce que tu n'as pas été satisfait qu'il n'y a pas eu effectivement synesthésie.


D'où une question fondamentale si on veut se comprendre (je pense qu'on ne peut pas continuer à réfléchir sur ce thread sans cela) : la synesthésie est-elle nécessairement satisfaisante, est-elle par nature et invariablement source de satisfaction ?


C'est une excellente question : en fait c'est celle pour laquelle j'ai ouvert ce thread. Pour que l'on discute afin de savoir : la synesthésie se préoccupe-t-elle de toute forme de prise de décision, ou seulement de celles qui prennent racine dans la fiction et le système et qui ont une incidence sur la fiction ?
Je penche vers le deuxième cas, car il nous permet de mettre le doigt sur cette spécificité qui me semble fondamentale au JDR.

Donc simplement, pourquoi dis-je qu'il n'y a pas eu synesthésie (ou qu'elle était faible) ?
Parce que les vraies motivations à mon roleplay étaient extérieures à la fiction et au système.

Je pense qu'on peut s'éclater dans une partie où pas une seule scène n'est conforme à ce que je décris comme étant de la (bonne ?) synesthésie, mais c'est quand les joueurs passent leur temps à discuter, jouer à des choses qui n'ont pas d'implication dans la fiction (choix sans causalité avec la fiction, en cause et/ou en conséquence).

Donc il ne s'agit pas de satisfaction, mais bien de corrélation entre les choix et la fiction et le système.

***

Par contre, non je ne parle pas vraiment d'immersion, ni d'identification, mais de relation entre les enjeux et d'implication du joueur. Et ce n'est pas la convergence entre les enjeux du joueur et du personnage qui font une bonne implication.

Je suis d'accord avec toi, Edouard, sur le fait que "les enjeux" m'intéressent plus que le "vouloir" parce qu'ils impliquent joueur et personnage dans un tout en mouvement.

***

Edophoenix a écrit :Je reprends donc l'exemple de ton rapport de partie, Fred :

Fred a écrit :Enjeux du personnage : rien, il rapporte ce qu'il a entendu (et il n'y avait pas le feu au lac).


Tu as dit qu'il n'y avait pas d'enjeu pour ton personnage à révéler les infos (il n'était pas pressé par le temps, ...)
Je pense qu'au contraire il en avait un, voire plusieurs, même si - en tant que joueur - tu n'en as pas été conscient.

Car il y a une question implicite à laquelle tu n'as pas répondu dans ton CR : Qu'est-ce qui a décidé ton, personnage à transmettre les infos au reste de l'équipe, plutôt que de les garder pour lui ? La réponse, c'est précisément là l'enjeu, ce qui a donné de la valeur à cet acte, ou, en d'autres termes, pourquoi parler était-il plus important que se taire en mangeant ?
Ton personnage a forcément une raison pour parler à ce moment-là (parce qu'il aurait pu décidé de garder un avantage, un ascendant sur les autres membres du groupes en gardant les infos pour lui, ou alors, tout au moins, parler plus tard puisque, comme tu le disais, il n'y avait pas le feu au lac ? ====> c'est d'ailleurs là qu'on voit qu'un enjeu peut être associé à une faible tension, et non à une confrontation.)

Quelques pistes :


* enjeu social : le personnage cherche soit à mieux s'intégrer au groupe, soit la reconnaissance des autres membres du groupe ?
* enjeu éthique : par honnêteté, ou parce que dans une équipe, il est important de ne rien cacher à ses partenaires, afin d'instaurer ou de conserver la confiance - ou pour toute autre raison morale ?
* enjeu stratégique : pour renverser le complot, vaincre l'ennemi, ou tout simplement survivre, il est important -sinon essentiel - que les autres connaissent ces infos ( c'est une supposition de ma part... Mais note que si on connaissait la nature des infos que ton perso a partagé avec les autres, alors on pourrait peut-être trouver encore d'autres enjeux !) ?
* enjeu "judiciaire" (je n'ai pas trouvé de meileur terme...) : l'enquête ne peut aboutir, et les criminels, terroristes, usurpateurs (ou autre) ne peuvent être démasqués, retrouvés et punis que si ces infos sont dévoilés (ou du moins elles y contribuent fortement ?) ?



En ce qui te concernait en tant que joueur, j'ai l'impression que l'enjeu était tout simplement ludique, et qu'il s'agissait en soi, de bien "role-player" le personnage, ce qui peut constituer un enjeu par lui-même (cela fait en outre partie du plaisir du jeu).


Sauf que, Edouard, tu ne peux pas déduire quels étaient les enjeux à ma place !

Quand je dis qu'il n'y avait pas d'enjeu, c'est bien que dans ce que je décris, il n'y a rien dans le rapport de mon personnage à la situation qui ait un lien avec ma décision de raconter les choses, plus précisément, mon choix était mu par l'habitude de faire du roleplay et l'idée que c'était ce que je devais faire et non par un enjeu du type de ceux que tu décris.
Pas de question d'honnêteté, de stratégie, ou d'intégration au groupe, ça ne m'est pas venu à l'esprit pendant la séance et ce n'était pas un mobile de mes choix.

***

Je ne suis pas convaincu de l'utilité du motif qui explique la manière dont le joueur choisit d'exprimer ou décrire l'acte, mais là, ça fait beaucoup en une fois, on y reviendra peut être plus tard...
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Message par Christoph » 07 Juil 2009, 00:37

Après discussion avec Frédéric en privé, je reconnais que je n'ai tout simplement pas perçu l'agressivité dans les propos de Romaric et je reconnais cela comme un manquement.

Frédéric, je te présente mes excuses pour ce message de modération maladroitement tourné, faisant penser que c'était toi le gars qui pétait un câble.

Romaric, c'est vrai que la lutte greco-romaine, il faut la garder pour nos interactions in vivo et que la prochaine fois que tu te permets des remarques aussi péremptoires, ça vaudrait la peine d'au moins poster un premier message où tu poses quelques questions. Si à ce moment-là tu penses toujours être dans ton bon droit, évites les jugements trop catégoriques et l'interprétation selon des concepts même pas évoqués dans le sujet (d'abord: poser des questions), c'est juste pas cool. Frédéric explique ici pourquoi.


Nous avons tous traîné beaucoup de malentendus avec nous pendant plusieurs fils de discussion. Cela est devenu flagrant lors de ces derniers messages et en décortiquant à fond avec Frédéric. J'espère que nous pourrons amener cette nouvelle compréhension dans les discussions sur le sujet pour améliorer nos façons de communiquer.

Je reviendrai discuter du sujet à proprement parler plus tard.
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Message par Christoph » 07 Juil 2009, 01:07

Bon, j'ai un peu de temps pour aborder un point.

Edouard, vu la façon dont tu définis enjeu, je veux bien appeler cela enjeu. Le souci que j'ai avec ce terme, c'est que jusqu'à récemment, il était exclusivement utilisé pour un type de conflit assez direct. Dans Dogs in the Vineyard, c'est même un concept technique qui est à la base de tous les conflits réglés par les dés.
Je crois que c'est parlant que Frédéric a appelé les "trucs que l'on résout" des Déséquilibres (et y a pas une seule fois le mot "enjeu" dans tout le texte), dans Prosopopée. Dans Psychodrame en revanche, les auteurs parlent de conflits et d'enjeux.
Selon ta façon d'exprimer les choses, Edouard, on pourrait parler aussi d'enjeux pour Prosopopée. Je pense que techniquement ton approche est justifiée, mais historiquement parlant (mais aussi parce que je trouve cela satisfaisant de reconnaître ces choses comme qualitativement différentes), j'ai envie d'opérer un changement.
Et "vouloir" a le mérite d'être un mot courant.

Je vais saisir la proposition de Frédéric d'ouvrir un fil où je décris par un exemple de partie pourquoi je pense que "vouloir" n'est pas si mal (mais y a peut-être mieux! je ne sais pas encore!), je propose qu'on en reparle plus en détail là-bas, si nécessaire.
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Message par Frédéric » 07 Juil 2009, 11:53

Oui, de mon côté, j'ai été un peu sous le coup de la colère sur mon avant dernier post, j'ai dit des choses contrariantes (et qui pourraient me faire passer pour un sale con) je m'en excuse.

La discussion reprend donc normalement, j'ai hâte de voir où tout ça va nous mener.

Je cherche comment nommer différemment le point (B) du point (A) dans la distinction qu'en a fait Christoph, pour éviter les confusions mais on peut poursuivre tout de même en attendant.
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Message par Frédéric » 08 Juil 2009, 12:08

Alors, voici un petit dégraissage :

  • La synesthésie, c'est ce que Christoph a appelé le point A :
    La relation du joueur à la fiction via son focus (souvent le personnage, mais pas que). Ce concept doit nous permettre d'observer les différentes relations existant et de les exploiter pour nos parties.
  • L'articulation décisionnelle est ce que Christoph a appelé le point B :
    La façon dont les éléments d'exploration (système, personnage, univers, situation et couleur) stimulent la prise de décision du joueur.
    Ce concept nous permet d'envisager de dynamiser la prise de décision en générant d'une part :
    1- De l'actance (Agency en anglais), autrement dit, faire du joueur un agent de l'histoire ou de l'espace imaginé et partagé, ce qui signifie lui offrir des espaces de créativité et une relation étroite avec les conséquences de ses décisions.
    2- De l'implication en discriminant les motivations externes à l'exploration.


L'articulation décisionnelle s'intéresse aux causes et aux conséquences des prises de décision individuelles. La synesthésie peut s'y greffer pour analyser la relation entre le joueur et son focus.
L'articulation décisionnelle doit nous permettre, comme je l'ai développé dans ce thread, de structurer un ensemble de techniques pour améliorer la dynamique de prise de décision des joueurs pendant les parties, d'où mes liens fréquents aux principes narratologiques, à l'idée d'enjeu (principes ludiques à explorer) et parfois même à des notions de psycho-sociale (la théorie de l'engagement, expliquant les mécanismes tendant à motiver une décision) etc.

Le but n'est pas de donner une bonne approche, mais plutôt de déceler quand c'est pas top et trouver des moyens d'améliorer ça.
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Message par Christoph » 08 Juil 2009, 13:51

Heps

Okay, ça me va bien comme ça (enfin, ton articulation décisionnelle est plus précise que mon point B, donc ce serait exagéré de m'attribuer la description de la chose), tout en admettant que rien n'est figé. Mais au moins on sera plus au clair sur ce dont nous parlons.

Je vais formuler mon avis sur ce qu'est une décision, mais j'attendrai probablement un nouveau fil de discussion pour en discuter davantage, j'ai besoin de temps pour digérer cela.
En effet, a première vue, je conçois de fortes interactions entre les concepts d'articulation décisionnelle et de démarche créative, et c'est lié à ma façon de voir les décisions.
Ce n'est pas mauvais signe! C'est même encourageant de voir qu'il y a des ponts entre les concepts, ça peut vouloir dire qu'ils forment un tout.


Décision

Qu'est-ce qu'une décision au juste? Il y a plusieurs écoles à ce sujet qui dépassent très largement le cadre du jeu de rôle. Je ne suis pas du tout un spécialiste de la question, mais voici ce que j'en ai retenu au cours de mes recherches (rôlistes cette fois).

Certains, notamment Ron Edwards, parlent de décisions en terme des actes que l'on peut analyser objectivement. « Je prends la décision de faire de mon personnage un capitaine de milice, » prend sens dès lors que j'ai effectivement communiqué cela à la tablée, ou du moins (dans le cas d'un secret) que tout ce que je dis par la suite peut être compris (au plus tard après coup) sous cette lumière. Typiquement, si je pense que mon personnage est un capitaine de milice, mais que je ne le dis jamais et que cela ne colore pas ma façon de jouer, alors j'ai beau me dire très fort dans ma tête qu'il est capitaine... du point de vue de la tablée, je n'ai pas pris la décision d'en faire un capitaine.
Cette remarque est plus profonde qu'il n'y paraît et est à l'origine de bien des incompréhensions des démarches créatives tel que Ron en parlait et ça a complètement déterminé ma façon d'en parler (en gros, j'évite de parler de décisions dans ce contexte, bien qu'il soit justifié).

D'autres, mais là c'est moins clair pour moi d'où cette acception viendrait, parlent de décision dès que dans ma tête j'ai formulé une pensée et que je m'engage à la respecter sur une certaine durée. Rien n'est dit quant à ce que j'exprime au monde extérieur par mes paroles et mes actes.
Une décision du type précédent est toujours aussi une décision de ce type, mais l'inverse n'est pas vrai.

Pour moi, la décision n'est pertinente que quand elle est exprimée. Je peux peut-être faire quelques exceptions si on parle dans un cadre très précis qui serait peut-être artistique, psychologique ou spirituel (et encore, je suis très sceptique), mais dans ma démarche de théorisation analytique et pragmatique du jeu de rôle, ce genre de pensées n'est tout simplement pas relevant.
Je conçois que cette position peut être problématique pour certaine personnes. Si c'est le cas, je pense que ce sera un point sur lequel nous devrons être d'accord d'être en désaccord.


Différence entre articulation décisionnelle et démarche créative

L'articulation décisionnelle semble s'intéresser surtout aux possibilités que l'on donne aux participants (le mot articulation peut être trompeur, puisqu'on articule plutôt les décisions prises que les possibilités qu'on a, qu'en penses-tu?) et ce que signifie ce cadre, ce terreau fertile, pour le joueur en termes d'actance et d'implication.
La démarche créative est par définition une articulation de décisions effectivement exprimées par l'ensemble d'un groupe, dans laquelle on peut discerner une structure a posteriori. C'est un concept essentiellement analytique (au sujet de choses créatives) à partir d'événements déterminés.
L'articulation décisionnelle, elle, est un outil pour permettre l'aboutissement à une démarche créative, elle doit garantir la possibilité de prendre des décisions. C'est un concept fondamentalement créatif (même s'il implique une analyse) et probablement une réponse à la "ça sert à quoi les démarches créatives, pour un auteur de jeux?"
Je suis très curieux de voir ce que ça peut donner.

Cette distinction entre possibles et déterminés me semble cruciale.
Christoph
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