Contemplation maximale

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Contemplation maximale

Message par Frédéric » 28 Oct 2009, 14:08

Mélanie : j'ouvre ce sujet sur notre partie d'Émotion, car j'ai la chance d'avoir un exemple tout frais d'un truc dont j'essaye de parler depuis longtemps sur ce forum : quand les scènes sont extrêmement contemplatives, autrement dit, qu'elles utilisent le moins possible d'artifices pour motiver le joueur. Peut être que cela t'éclairera un peu sur notre partie.

Comme tu as toi-même fait la remarque, à ta table, nous avons eu des coups de mou.
Certes, Gaël et moi étions fatigués (initiation MJ qui s'est transformé en discussions nocturnes interminables...) mais sur certaines scènes, on était plutôt frais et actifs, la fatigue semblait s'effacer, et sur d'autres moins.

Mais je voudrais distinguer une chose importante :
Les phases d'interrogatoires étaient extrêmement contemplatives : nous n'avions ni enjeux, ni objectifs ni rien d'autre à faire. Nous endossions, comme dans la scène du repas chez notre ami d'enfance, nous endossions le costume de nos personnages et le faisions avec plaisir.

Voici les choses qui m'ont intéressées dans ces scènes et qui me les ont faites apprécier malgré l'absence de stimulus dramaturgiques :
  • En premier lieu, la situation était très évocatrice du point de vue de ce qui nous attendait. J'étais content de me retrouver dans un lieu qui mettait en scène des ambiances de fiction (là je parle de la scène de repas). Comme cela se passe dans notre monde contemporain, j'ai eu tout le loisir de faire des propositions d'interprétation de mon personnage, ou d'actions qui enrichissaient la fiction, la coloraient.
    Dans le repas, par exemple, j'avais noté sur la jauge le trait "bon vivant". Analyse de la relation que j'ai eu avec mon PJ :
    • Je veux/Mon perso veut : je veux justifier le trait de mon perso/il veut passer un bon moment avec ses amis
    • Je sais/mon perso sait : je sais que ça ne va pas durer, qu'un truc va nous tomber sur le coin de la tronche/il ne veut pas croire que Stéphane a des problèmes
    • Qu'est-ce qui me motive/Qu'est-ce qui le motive : je joue mon PJ, j'essaye de dire des trucs qui plairont aux autres joueurs et au MJ/mon PJ n'a pas vraiment de motivations, hormis mettre une bonne ambiance dans la soirée.
    • Je ressens/mon perso ressent : je ressens un décalage entre la bonne humeur de nos PJ et l'horreur présumée qui nous attend/Il sent bien que Stephane n'est pas dans son état normal, eh, mais on va voir notre groupe préféré en concert demain soir !!!
  • Dans les scènes d'interrogatoire, tu as mis en avant les protocoles concernant l'autopsie, les formalités d'interrogatoires elles-mêmes, la nécessité d'enquête suite au suicide etc. Un ensemble de données qui renforçaient la cohérence de notre fiction.

Ces choses apportaient vraiment de l'intérêt. Nous avions une certaine liberté créative qui nous permettait d'explorer déjà les traits que nous avions choisi pour illustrer l'état psychologique de nos PJ en ce début de partie.
Mais...

Force est de constater que nous avons perdu pied.

Voici mon analyse :
D'une certaine façon, si la proposition d'Émotion consistait en quelque chose de contemplatif où "on est là" et on creuse des "états" successifs sans produire d'"actes" au sens dramaturgique (c'est à dire dont la mise en œuvre et les conséquences produisent du sens), il n'y aurait sans doute eu aucun problème, mais à certaines conditions :

Qu'il y ait une compensation créative pour les joueurs.
Jouer nos personnages pour la dimension esthétique et l'enrichissement qu'on leur confère, c'est particulièrement intéressant avec ton jeu, grâce aux jauges : on est toujours intéressés par la justification a posteriori des choix que l'on a fait librement pour indiquer l'état psychologique de notre PJ.
Mais pourrait-on passer une partie entière à ça ?
Il faudrait tester. Mais cela signifie que ce système est suffisamment puissant pour nous intéresser sans rien d'autre et c'est là où ça me paraît devenir périlleux.

Note : j'aime beaucoup le cinema contemplatif. Alors pourquoi est-ce que je suis aussi chiant avec ces parties de JDR sans enjeux dramaturgiques ?

Tout simplement parce que si on soustrait à une partie de JDR ses composantes dramaturgiques, il faut une compensation. On ne peut pas se contenter du "vide", il faut aussi du "plein".
Des films contemplatifs épurés dramaturgiquement compenseront par l'esthétique de l'image, de la temporalité, par la puissance métaphysique de la fiction.

Qu'a-t-on en JDR pour compenser ?
1. La qualité esthétique de la fiction, qui dépend généralement de la qualité des joueurs, voire de la qualité du background du jeu
2. les espaces de créativité (c'est mon parti pris dans Prosopopée)

Il en existe probablement d'autres, mais ce que je constate, c'est qu'on tombe rapidement dans les éléments de motivation extrinsèque (extérieurs au jeu).
Par exemple, pour moi, le plaisir de découvrir les procédures relatives à un suicide éveillait ma curiosité mais l'intérêt que j'en retirais ne se rattachait en rien au jeu ou à la fiction.
Idem, lors du repas, bien que le système du jeu offre une motivation intrinsèque, via la justification de nos choix de termes pour déterminer l'état psychologique de mon PJ (et donc ensuite de justifier ce choix par le roleplay), au bout d'un moment, je pense que poursuivre ce roleplay devient un effort d'un autre ordre, quand on a fait le tour de ce que le terme choisi nous évoquait, on retombe dans la motivation extrinsèque : "je dois faire du roleplay, c'est comme ça qu'on joue".

Le JDR est un médium participatif, la dynamique créative y est centrale.

Nocker :
Sur le versant simulationniste, voici ce que je pense : les principes de la dramaturgie (narratologiques au sens plus large) sont utiles au JDR en tout mode. Ils sont indispensables au narrativisme et peuvent être absents des autres modes moyennant compensation (ici, je n'ai parlé que du simulationnisme à ce sujet).
Mais ils ont tout à fait leur place dans les parties ludistes ou simulationnistes et peuvent permettre de dynamiser et d'accroître la motivation des joueurs.
Frédéric
 
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Re: Contemplation maximale

Message par Nocker (Guillaume) » 28 Oct 2009, 15:20

Tout d'abord, n'ayant pas du tout fait d'études de dramaturgie, j'aimerais que tu précises ce que ça contient, en particulier ce qui serait utile en Simulationnisme.
Le meilleur conseil aux rolistes, par John Wick.
Nocker (Guillaume)
 
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Re: Contemplation maximale

Message par Frédéric » 28 Oct 2009, 17:11

Je vais essayer d'être synthétique pour une fois.
Plutôt que de dramaturgie, je pense que je devrais parler de narratologie. La fonrtière entre les deux est ténue et les amalgames sont tellement courants qu'en fait, à part une analyse étymologique, il y a peu de moyens d'en faire une vraie distinction, j'ai l'impression.

La narratologie et la dramaturgie se préoccupent de la structure de l'histoire et des schémas actantiels : relations entre personnages, action et objet.
Un personnage a un objectif (il vise un objet), il entreprend une action pour atteindre l'objet visé et rencontre des obstacles sur son chemin. Ce qui crée une incertitude : va-t-il atteindre son objectif ?
La narratologie et la dramaturgie creusent tout un tas de principes et techniques que je ne vais pas énumérer ici, mais qui passent par les fonctions de protagoniste et d'antagoniste, par le coup de théâtre (surprise inattendue dans l'histoire) et la manière dont il peut fonctionner efficacement, l'ironie dramatique (le spectateur sait des choses que le personnage ne sait pas) etc.
Les fondements de la dramaturgie sont dus à Aristote, mais les développements narratologiques sont plus tardifs.
On pourrait dire que la narratologie étudie les textes littéraires et la dramaturgie les pièces de théâtre au départ, mais bon, c'est plus aussi simple, surtout qu'avec le cinéma ou le JDR on étend la portée de ces disciplines.

Donc le fait que dans D&D, les Pj aient un objectif, qu'ils rencontrent des obstacles sur leur chemin etc. fait partie de ces principes fondamentaux dans toute histoire.

Attention, ex étudiant aux beaux arts, j'ai pour habitude de dire que toute règle existe pour être brisée. Les faiseurs d'histoires de tout temps ont démontré qu'on pouvait faire de très bons romans, de très bons films en se passant de ces principes dramaturgiques ou narratologiques. Mais ces auteurs compensent par une poésie, une force esthétique ou une dimension conceptuelle ou philosophique exceptionnels.
La dramaturgie et la narratologie proposent une structure relativement simple et, au dire de certains, universelle (ce qui fait que certaines œuvres traversent le temps et l'espace) pour la création d'histoires.
Frédéric
 
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Re: Contemplation maximale

Message par Frédéric » 28 Oct 2009, 17:14

Autrement, concernant ce en quoi ça peut aider en simulationnisme (comme dans tous les modes GNS en fait) : amener des enjeux aux personnages et donc en amener aussi aux joueurs, ce qui tend à produire de la motivation.
Frédéric
 
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Re: Contemplation maximale

Message par edophoenix » 28 Oct 2009, 18:18

Hello, Fréd !

J'apporte mon petit grain de sel :

Qu'a-t-on en JDR pour compenser ?
1. La qualité esthétique de la fiction, qui dépend généralement de la qualité des joueurs, voire de la qualité du background du jeu
2. les espaces de créativité (c'est mon parti pris dans Prosopopée)


Il me semble que la simulation peut aussi être une compensation, même sans esthétique : le "fait" de faire l'expérience d'une vie différente, de s'immerger dans un monde différent ou dans la peau d'une personne différente afin de découvrir ce que ça peut faire de vivre autrement, même sans esthétique, me semble répondre à une certaine curiosité humaine : on se demande parfois comment ça serait si... Il me semble d'ailleurs que ce genre de questions est à la base du succès d'un jeu vidéo comme "Les Sims" où il n'y a ni esthétique ni dramaturgie (selon moi), mais où on se glisse dans la vie d'un personnage virtuel... N'y a t-il pas là un autre type de compensation ?



j'en profite pour dire que j'ai toujours du mal à me faire à ton acception du terme "dramaturgie", parce que lorsque tu en parles, j'ai l'impression que tu mets de côté tout le côté de mise en espace, qui est absent de la narratologie, ce qui précisément rend les deux assimilables ( mais, sans doute à cause de ma fréquentation avec le monde du théâtre, je ne suis pas habitué à ça, donc j'ai du mal à m'habituer à cette vision des choses et à suivre tes raisonnements, bien que je reconnais qu'ils soient justes si on accepte cette définition ! )
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"Toute notre dignité consiste donc en la pensée " - B. PASCAL, Pensées.
"Si le monde n'a absolument aucun sens, qu'est-ce qui nous empêche d'en inventer un?" - Lewis Caroll, Alice au pays des Merveilles.
"Vouloir nous Brûle, et Pouvoir nous Détruit" - H. de Balzac, La Peau de Chagrin.


La ludologie, c'est bon, mangez-en !
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Re: Contemplation maximale

Message par Frédéric » 28 Oct 2009, 18:51

Ed, oui, tu as raison concernant l'expérience "simulative". Mais je suis mitigé, je me demande si ce n'est pas extrinsèque... j'ai un doute.

Pour la dramaturgie, il faut dire que j'ai approché la dramaturgie à partir d'un ouvrage consacré surtout au cinéma... du coup, il n'était pas question de mise en espace... mais c'est peut être ce qui me manque dans mon approche pour la dissocier de la narratologie.
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Re: Contemplation maximale

Message par Arianne (Mélanie) » 31 Oct 2009, 06:31

Donc en fait, si j'ai bien compris, prendre le parti de la contemplation implique que la narration soient aux mains des joueurs ? ( je suis désolé de faire court, mais j'essaye de savoir si j'ai bien capté).
Mais, pourquoi ?
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Re: Contemplation maximale

Message par Frédéric » 31 Oct 2009, 12:06

Pas forcément, mais leur donner de larges zones d'expression c'est bien (et le mieux, c'est que ce soit stimulé par une mécanique de récompense).
Frédéric
 
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Re: Contemplation maximale

Message par Lionel (Nonène) » 03 Nov 2009, 21:18

Pas forcément, mais leur donner de larges zones d'expression c'est bien (et le mieux, c'est que ce soit stimulé par une mécanique de récompense).


Tiens, je crois que la motivation extrinsèque pointe le bout de son nez.

J'ai pris beaucoup de retard dans la lecture des rapports de partie et je rattrape un petit peu. Je suis énormément surpris de trouver autant de références directes ou indirectes avec la motivation.
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Re: Contemplation maximale

Message par Frédéric » 03 Nov 2009, 21:21

Oui, Lionel, en ce qui me concerne, à force de me rendre compte que même quand je suis crevé par manque de sommeil, il y a des parties où je reste captivé et d'autres où je me mets à digresser inopinément, la motivation est devenue une de mes interrogations principales dernièrement. C'est pour ça que j'ai beaucoup apprécié ton article à ce sujet. ;)
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