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Clover – avoir cinq ans c'est super chouette !

Message Publié : 22 Jan 2012, 23:44
par Frédéric
Clover est un jeu de rôle écrit par Ben Lehman qui nous propose de nous plonger dans l'enfance idyllique d'une petite fille de cinq ans curieuse et pleine de vie dont le prénom est Clover. Clover signifie « trèfle » en anglais, le présent jeu fait référence à un manga du nom de Yotsuba to ! qui raconte également les journées d'une enfant de cinq ans (Yotsuba signifiant « quatre-feuilles » en japonais).

Le livret de jeu est très court et d'un format carré très petit, il se lit donc très vite et se joue tout aussi rapidement. Il n'y a pas d'indication de temps de jeu, mais nous avons joué une petite demi-heure à tout casser.

Le jeu fonctionne sur un procédé simple : un des joueurs est Clover, un autre est son papa. Si l'on joue plus nombreux, les autres sont des personnages secondaires (cousine, amie etc.)
Nous n'étions que Fabien et moi, nous avons donc expérimenté le jeu avec seulement Clover et son papa.

Note : nous avons passé un weekend, Fabien et moi à nous occuper de ma fille qui a deux ans et demi. Autant dire qu'on était tout de suite dans le bain pour jouer à Clover.

***

Fabien lance la première situation à la maison : Clover est à sa maison, son papa travaille sur l'ordinateur.
Fred : elle joue avec sa poupée préférée, mais s'ennuie. Elle explique haut et fort à sa poupée qu'elles jouent à s'ennuyer, puis dit à son papa : « papa, on joue à s'ennuyer ma poupée et moi ! »
Fabien : le papa répond : « c'est bien ma chérie ! »
Fred : elle demande à son papa ce qu'elle pourrait faire pour ne plus s'ennuyer ;
Fabien : il lui répond « pourquoi n'irais-tu pas jouer dehors ? » (il s'agit d'une phrase rituelle que le joueur du père doit prononcer afin de déclencher l'aventure).
Fred : je sors et j'observe la rue, où pourrais-je aller ? (le joueur de Clover peut ainsi demander au papa de lui décrire les lieux et de le questionner sur chaque élément qui s'y trouve implanté)
Fabien : pas très loin il y a le centre ville, ou sinon, tu peux aller au parc.
Fred : je vais au parc ! Arrivée au parc, qu'est-ce que je peux y faire ? Est-ce qu'il y a une structure en bois à escalader ?
Fabien : il y a bien une structure en bois, un bac à sable et une mare aux canards.
Fred : youpiii, je vais essayer d'escalader l'échelle de cordes de la structure en bois. Est-ce que c'est difficile ? (La question « est-ce que c'est difficile ? » doit-être posée par le joueur de Clover à chaque fois qu'il n'est pas sûr de parvenir à faire quelque chose ; si le papa lui répond que c'est difficile, il doit lancer un dé).
Fabien : oui, c'est difficile !
Je lance un dé (on a choisi un gros dé assez démesuré pour la référence avec le fait que pour un enfant, tout paraît énorme) : en fonction du résultat du dé, on réussit ou on échoue la tâche entreprise. Si le résultat est « haut », c'est réussi, sinon c'est échoué. Le seuil de succès n'est absolument pas déterminé. On avise au cas par cas.
On décide que Clover parvient à escalader tant bien que mal l'échelle de cordes et arrive en haut de la structure de bois.
Fabien : que ressens-tu d'avoir escaladé cette structure de jeu ?
Fred : d'ici on voit tout le parc et on a l'impression de le dominer.
Qu'est-ce que je peux faire maintenant sur la structure ?
Fabien : il y a des passerelles et un petit escargot qui descend le long d'un barreau.
Fred : j'observe l'escargot et je me demande pourquoi il laisse cette traînée de bave brillante. Je le prends dans ma main, il rentre dans sa coquille.
Fabien : tu peux le mettre dans ta poche.
Fred : Oui. Je descend par l'échelle de cordes, est-ce difficile ?
Fabien : oui, c'est très difficile !
Fred : je lance le dé, c'est un échec ! Clover se retrouve donc coincée en plein milieu de l'échelle de cordes. Je ne peux pas passer par là. Est-ce que je peux descendre par un autre endroit ?
Fabien : oui, il y a le bac à sable de l'autre côté, tu peux sauter.
Fred : est-ce que c'est difficile ?
Fabien : un peu.
Fred : je lance le dé et j'y parviens. Je saute donc dans le bac à sable. Là, je sors l'escargot de ma poche et je le mets dans le sable.
Fabien : il est tout couvert de sable maintenant.
Fred : je vais le laver à la mare aux canards !
Est-ce que je peux m'approcher du bord de l'eau sans problème ?
Fabien : oui, il y a une petite berge couverte de caca de canard. (Pour ceux que ça fait soupirer, attendez d'avoir des enfants et vous verrez que c'est approprié ;p)
Fred : est-ce difficile d'atteindre le bord de l'eau sans marcher sur le caca de canard ?
Fabien : oui.
Fred : je lance le dé, c'est un succès ! J'évite soigneusement les fientes et atteins le bord de l'eau. Là, je prend un bâton et j'essaye de sortir l'escargot de sa coquille. Est-ce difficile ?
Fabien : oui, plutôt.
Fred : je lance le dé et j'y parviens. Je plonge l'escargot dans l'eau pour lui faire prendre un bain. Comme il ne bouge plus, je demande : pourquoi mon escargot ne bouge plus ?
Fabien : je ne sais pas, pourquoi n'essayes-tu pas de voir par toi-même ? (il s'agit d'une autre phrase rituelle du jeu)
Fred : je le reprends et je veux m'éloigner du lac.
Fabien : mais un canard traverse devant toi.
Fred : j'essaye de passer sans l'énerver, est-ce difficile ?
Fabien : oui, très !
Fred : je lance le dé, j'y parviens. Je raconte que j'arrive à passer derrière le canard pour ne pas l'énerver, mais ce faisant, je marche dans du caca de canard (j'ai choisi ce détail pour le fun, je n'étais pas tenu de le faire)....
Fabien : est-ce que tu as eu peur ? (phrase rituel)
Fred : oui ! J'ai cru que j'allais le mettre en colère.
Je signifie à Fabien que ce serait cool de rentrer, il me dit :
Fabien : as-tu faim ? (phrase rituelle destinée à marquer la fin de l'aventure)
Fred : oui, beaucoup !
Fabien : tu rentres à la maison.

Ensuite, je donne un nom à mon escargot : Pissenlit, et mon papa me conseille de lui faire une maison avec un bocal puisque je veux le garder, ce que je réussis fort bien. Je lui présente Éloïse ma poupée et je joue à les maquiller. Puis mon papa me demande si je suis fatiguée (question rituelle de fin de partie), je réponds que oui et on clôt la partie.


***

Tout d'abord, j'ai trouvé la partie vraiment très amusante, l'idée d'endosser le rôle d'une gamine de cinq ans dans des histoires trépidantes sans aucune gravité, sans réels dangers est très bien rendu par le jeu.
J'ai quand même ressenti un peu d'ennui vers la fin, sans doute parce que je n'ai pas entrepris de choses assez folles, j'en reparle un peu plus loin.

La relation entre Clover et son papa, basée sur des échanges de questions rend formidablement bien la relation qu'un père peut avoir avec sa fille (ma fille est plus petite que Clover, mais on a déjà ce type d'échanges).
Il est intéressant de noter que l'essentiel du jeu se base sur le principe de réification décrit par Romaric ici : viewtopic.php?f=26&t=1430&hilit=r%C3%A9ification
Le joueur du papa révèle le monde sous un certain angle de vue à l'enfant qui découvre l'inconnu. Les responsabilités de contenu et de situation sont bien partagées, il faut sans doute un peu de pratique commune pour trouver un bon équilibre. J'ai l'impression que si le papa ajoute plus de détails qui pourraient faire réagir le joueur de Clover, ça peut améliorer l'intérêt de la partie...

Le jeu fait en sorte d'annihiler toute tension, la dramaturgie est inexistante et les enjeux sont plutôt consensuels puisque c'est le joueur de Clover qui détermine, avec la validation du papa, s'il faut lancer un dé ou non. L'Exploration (de la fiction par les joueurs) est vraiment détachée de toute forme de méta-jeu puisque les mécaniques du jeu sont totalement justifiées par la fiction elle-même : les échanges entre les joueurs sont tellement proches de ce qu'il se passe entre père et fille qu'il n'y a aucune impression de sortir de la fiction quand on les utilise (le temps de s'y habituer peut-être, car certaines me semblent contraindre un peu l'évolution de l'histoire).
De même, le fait de décrire les actions est en phase avec le fait de jouer un enfant, qui a cet âge décrit souvent ce qu'il est en train de faire.
Ron Edwards parle de Story now et de prémisse : http://www.indie-rpgs.com/forge/index.php?topic=28607.0 mais j'avoue peiner à les voir dans notre partie. Sommes-nous passés à côté de quelque chose ?
Ben Lehman disait lui-même à l'époque que le jeu à deux n'était pas aussi fun qu'avec 3 à 5 joueurs. Il explique aussi que les règles sont suffisamment floues pour être réinterprétées (le petit format ne se prêtant pas à faire plus précis), je pense avoir de bonnes idées de comment régler divers points. J'en reparlerai si j'ai l'occasion d'y rejouer.

Je pense en revanche qu'il y aurait sans doute moyen de créer une synergie plus forte avec une participation plus importante du papa : le fait que Fabien ait intégré un escargot sur la structure en bois du parc a été très fertile pour l'histoire et le fait de me poser moi-même des choses à développer et à explorer me les rendaient moins intéressantes. Ce que pose le papa, on ne sait pas forcément ce que c'est. Il peut sans doute également le décrire de manière à ce que ce soit difficile à identifier pour le joueur (comme la balançoire dans le manga Yotsuba to ! Que la petite fille découvre et examine sans comprendre à quoi ça sert). Dans le CR de Ron Edwards, il semblerait que le papa était plus entreprenant.

Je n'avais pas lu le manga lorsqu'on a joué la partie, j'en ai à présent lu quelques chapitres et je me suis rendu compte que je n'avais peut-être pas joué Clover suffisamment intrépide. La partie était cool quand même, mais en comparaison, Yotsuba escalade les poteaux électriques, se balance trop fort sur la balançoire et est projetée, essaye d'échapper à sa gentille voisine, pensant qu'elle est méchante etc. De plus, dans Yotsuba to ! les situations créent des enjeux plus importants pour l'enfant : un déménagement, une inconnue qui lui propose de l'aide, se retrouver coincée dans les toilettes, car la porte n'ouvre plus... elle fait également pas mal de bêtises...
Je me demande à quel point les règles du jeu ne rendent-elles pas tout cela trop consensuel : le papa incite la fille à sortir de chez elle dans Clover. Dans Yotsuba to ! elle disparaît sans prévenir... Et le manga est ponctué d'humour du fait que la gamine est souvent en décalage par rapport aux adultes et parvient à les embarrasser assez facilement. Les situations sont souvent assez cocasses.

Il me faudrait lire le livret intégralement et rejouer une partie pour voir ce que permet vraiment le jeu à présent que je comprends mieux son fonctionnement. Et je garde malgré tout un avis très positif. Je me demande à quel point les parties de Ben Lehman étaient différentes de la nôtre. :)
Ron explique que certaines mécaniques sont tout à fait progressistes en terme de JDR.

Je serais particulièrement intéressé par le point de vue de ceux qui ont l'occasion de jouer au jeu, au sujet des points que j'ai soulevé dans ce rapport de partie. Si ce n'est pas le cas, n'hésitez pas à intervenir tout de même.

Re: Clover – avoir cinq ans c'est super chouette !

Message Publié : 23 Jan 2012, 10:17
par Fabien | L'Alcyon
Puisque ce forum a aussi pour vocation de parler des modes de distribution de l'indépendance, mentionnons aussi le fait que ce sont les acheteurs qui fixent le prix du jeu. Et quand je dis du jeu, je dis du livre lui-même ! Vous pouvez obtenir le livret de Clover gratuitement si le coeur vous en dit. Je regrette seulement (et c'est Fred qui m'en a fait prendre conscience) que Ben Lehman impose un certain "message" à chacun des prix, même si l'information est intéressante. Si je paye moitié prix ou double du prix, je veux pouvoir donner le sens que je veux à mon don et pas qu'on me l'impose.
Fred, tu m'excuseras je pense d'avoir un peu détourné ton sujet, je trouvais que c'était important et j'avais trouvé notre discussion intéressante à ce propos.

Pour revenir au jeu lui-même, je pense qu'on peut utiliser deux grands types de questions rituelles du jeu (la description du lieu où se trouve Clover par le joueur du papa et les questions sur l'état intérieur de Clover) pour lancer une bonne dynamique: le joueur du papa propose des éléments au joueur de Clover pour relancer l'histoire lorsqu'elle s'essouffle et peut demander à l'autre joueur ce qu'il en pense en « passant par » les émotions de Clover. OK, c'est essentiellement dans les mains du joueur du papa, mais ça me semble être un bon rôle à tenir dans la dynamique de la partie.

EDIT: une autre idée m'est revenue de notre discussion suite à ce test de jeu. Je me disais que la question était sans doute un outil très intéressant en jeu de rôle, surtout si on veut se débarrasser de l'autorité radicale d'un seul (comprendre: du meneur de jeu), parce qu'elle donne à chacun l'occasion de s'exprimer et de collaborer, jusque dans son essence même. Celui qui pose la question peut l'orienter et concentre l'attention sur un point particulier. Celui qui répond à la question décide en fonction des suggestions de la question et fixe ce qu'il en est vraiment. Je pense qu'il faut explorer cette technique qui pourrait être très riche et assez facile à adapter à différentes dynamiques.

Re: Clover – avoir cinq ans c'est super chouette !

Message Publié : 24 Jan 2012, 20:10
par Nocker (Guillaume)
Fabien (Monostatos) a écrit :EDIT: une autre idée m'est revenue de notre discussion suite à ce test de jeu. Je me disais que la question était sans doute un outil très intéressant en jeu de rôle, surtout si on veut se débarrasser de l'autorité radicale d'un seul (comprendre: du meneur de jeu), parce qu'elle donne à chacun l'occasion de s'exprimer et de collaborer, jusque dans son essence même. Celui qui pose la question peut l'orienter et concentre l'attention sur un point particulier. Celui qui répond à la question décide en fonction des suggestions de la question et fixe ce qu'il en est vraiment. Je pense qu'il faut explorer cette technique qui pourrait être très riche et assez facile à adapter à différentes dynamiques.

Alors ça mon petit bonhomme, j'ai un jeu à te conseiller puisqu'il place cette technique au centre de la dynamique de partie : Apocalypse World. Lui-même.
L'un des Principes du MJ est "Ask provocative questions and build on the answer" (pose des questions provocantes et appuie-toi sur les réponses), car ainsi le MJ ne sort pas des menaces, des problèmes ou des situations de son chapeau, c'est ancré dans la vie du PJ telle que vue par son joueur.
L'un des conseils lors de la première séance est "Ask questions like crazy" (pose des questions comme un fou), ce qui montre bien que les premières briques de l'univers doivent être posées autant par les joueurs que le MJ, pour développer une esthétique émergente, imposée par personne en particulier.
L'un des conseils qu'il donne en général est de retourner les questions des joueurs ("Mais c'est une bonne question, ça, à quoi ressemble les désolations à l'Est du domaine ?"), afin que même dans les séances ultérieures, les joueurs soient impliqués dans la création de l'univers.

Le design du jeu est basé sur la conversation, les règles cherchant à l'orienter ou à la contraindre. Et un des fondements de la conversation, c'est le question-réponse.

Re: Clover – avoir cinq ans c'est super chouette !

Message Publié : 25 Jan 2012, 12:08
par Schultz (Jérôme S.)
Je n'ai pas eu le temps de m'intéresser à ce jdr, mais Yotsuba& est un manga que je connais déjà un peu. Mon premier pas dans les mangas "slice of life". Fred décrit assez bien dans ce thread l'ambiance générale qui ressort des "aventures" de Yotsuba.
Du coup, je trouve (enfin j'imagine) difficile de rentrer dans le bain sans connaitre le manga. Pour éviter l'ennui, il doit falloir des scènes un peu "extraordinaires", pour éviter de jouer un quotidien trop "simple" d'enfant de 5ans. Tout comme dans le manga(du moins, c'est mon point de vue, je n'aurai pas accroché sans la personnalité "renversante" de Yotsuba).
En fait, à y réfléchir, j'ai la même interrogation que Fred quand il se demande si les règles ne rendent pas ça trop consensuel. Le papa qui dit lui-même à sa fille de sortir, ça me fait bizarre, parce que comme Fred le souligne Yotsuba est souvent assez intrépide et directe avec les gens. Par exemple j'adore le passage avec la sonnette de maison : voyant un livreur sonner chez des voisins et livrer son colis, elle s'empresse d'aller sonner à son tour et... s'émerveille de cette loi de la nature qu'elle découvre : quand on sonne à une porte, quelqu'un sort.
C'est cette sincérité alliée à cette exubérance qui fait tout le charme de Yotsuba&, à mon goût ; et jouer sans connaître cette ambiance me semble peut-être ennuyeux, encore que le système de questions/réponses avec le papa-meneur me semble pas mal pour lancer ce genre de dynamique(je trouve que votre partie le montre bien, étant donné que Fred ne connaissait pas le manga. Fabien connaissait-il déjà le manga, lui ?).
Pensez-vous que le jeu peut garder son intérêt sur du plus ou moins long terme ? Ce serait ma principale crainte en fait.

Mais la chose qui m'interroge le plus, c'est la remarque sur les "messages" des prix, et de "donner le sens qu'on veut" à son don. En quoi cela est-il gênant ? Personnellement, j'ai eu plutôt tendance à trouver ça pratique pour se faire une idée. Je ne comprends pas trop cette réticence ?

Re: Clover – avoir cinq ans c'est super chouette !

Message Publié : 26 Jan 2012, 15:34
par Fabien | L'Alcyon
Oui il va falloir que je me replonge dans Apocalypse World et surtout que je le teste, il y a vraiment plein de choses à exploiter là-dedans: l'approche du jdr comme une conversation, les questions, les choix, la communauté, le sexe...

Effectivement, je connaissais déjà Yotsuba (grâce au conseil de l'éminent Guillaume Nocker) en lisant le jeu et en le proposant à Fred. Cela dit, je crois que l'intérêt de Clover se trouve justement dans ce qu'il y a de moins évident dans Yotsuba. Je n'aime pas l'exubérance excentrique de Yotsuba, ça fait avancer les choses et ça met des situations cocasses, mais ça mène aussi à des comportements caricaturaux, qui déservent le personnage dont la psychologie est moins grossière que ça. Non, le meilleur dans Yotsuba, me semble-t-il, ce sont les descriptions un peu contemplative de la vie japonaise, les moments de calme et d'insignifiance qui ont pourtant une grande importance pour un enfant. Clover parvient très bien à capturer ceci, par exemple la fascination d'un enfant pour un escargot. Je pourrais même dire que Clover est un pari pour rendre intéressantes des situations qu'on n'aurait jamais jugées intéressantes jusque-là, des situations banales de l'enfance, un autre truc que m'a fait comprendre Guillaume (comme Les Cordes Sensibles est un pari pour rendre intéressantes des interactions humaines quotidiennes). Je pense que le jeu peut avoir un vrai intérêt sur le long terme à condition de le jouer à plusieurs (deux c'est un peu limité en termes d'interactions), en explorant toutes ces situations possibles.

Concernant ma remarque sur le message envoyé, c'est plutôt une remarque de communication commerciale. Je trouve effectivement intéressant qu'il donne l'échelle des coûts de production, mais en décidant du prix je veux décider du message que j'envoie à l'auteur (beaucoup d'argent = « je soutiens votre démarche »), je ne veux pas qu'il me l'impose (beaucoup d'argent = « ça permet de payer les exemplaires de ceux qui veulent rien filer »). OK, je m'emporte pour peu de choses, mais j'y penserai quand même si je décide de proposer un prix libre pour un jeu.

Re: Clover – avoir cinq ans c'est super chouette !

Message Publié : 26 Jan 2012, 17:45
par Frédéric
Hey Fabien !
Quand tu dis que Clover est un pari pour rendre intéressantes les situations banales de l'enfance, tu parles d'un pari pour l'auteur, pas pour les joueurs ?
En ce qui concerne Les Cordes Sensibles, il s'agit d'un pari pour moi en tant qu'auteur du jeu, de rendre intéressantes les interactions humaines quotidiennes.

Re: Clover – avoir cinq ans c'est super chouette !

Message Publié : 26 Jan 2012, 17:48
par Fabien | L'Alcyon
Oui, j'entendais bien un pari de la part de l'auteur du jeu.

Re: Clover – avoir cinq ans c'est super chouette !

Message Publié : 05 Fév 2012, 01:20
par Frédéric
Par rapport à la discussion autour de la qualité des parties induites par le jeu et la proximité avec le manga Yotsuba to !, qui sont les points centraux de ce sujet :

en tant que joueur de Clover, c'est pas super intéressant de dire à la fois ce qui se passe, ce qu'on trouve, comment on interagit avec et comment on résout les situations.
Je pense que le jeu, pour fonctionner, (à deux participants en tout cas) doit donner au joueur du papa et au joueur de Clover les rôles suivants :
Papa : tiens, je te place des « trucs » (qui me semblent avoir du potentiel*), pour voir ce qu'on va en faire (par exemple, le coup de l'escargot, mais un déménagement, un chien menaçant dans la rue, quelque chose de bizarre que ne comprend pas Clover etc. pourraient très bien faire l'affaire) ;
Joueur : et si je fais « ça » (une action qui me semble avoir du potentiel*), qu'est-ce que ça va donner ?
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*Les choses qui semblent avoir du potentiel, ce sont les éléments fictifs qui impliquent facilement des développement et des conséquences fertiles et intéressantes pour la suite de l'histoire. On peut facilement imaginer quelles peuvent être ces conséquences et ces développements, au moment où on décrit la situation, l'élément de contexte ou l'action.
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Le jeu est volontairement réduit au minimum en ce qui concerne la quantité de règles et d'explications pour en faire un « jeu de poche ». Forcément, il ne peut pas mettre en œuvre des dynamiques sophistiquées. Il faut donc que les joueurs s'approprient le jeu et trouvent une bonne dynamique entre eux.

Tel que nous avons joué, je parlais trop en étant trop timide sur mes intentions d'actions et Fabien ne parlait pas assez, résultat, au bout d'un moment, je me demandais quel était le but de tout ça. Je m'efforçais de lancer des situations et des actions qui s'essoufflaient vite. Il fallait quelque chose pour relancer mon intérêt en tant que Clover et que moi je lance des actions suffisamment audacieuses pour redonner de l'élan.

Avec Fabien, on est partis dans l'idée qu'il ne se passerait rien de particulier pendant l'histoire et c'est ce qui m'intéressait d'un point de vue expérimental. Je pense que c'est une erreur. Si on avait joué le jeu avec une approche plus naïve, je pense qu'on aurait moins lorgné vers la contemplation et plus vers les rebondissements et l'ajout d'éléments prompts à créer des situations intéressantes et des rebondissements. Je ne dis surtout pas qu'il ne doit pas y avoir de contemplation, mais qu'il ne peut pas y avoir dans ce jeu, QUE de la contemplation.
C'est un problème de démarche créative : soit le jeu nous propose de construire avant tout une histoire et dans ce cas, il faut que l'évolution de l'action produise des conséquences intéressantes à explorer (comme c'est le cas dans Yotsuba to! malgré le caractère souvent « anodin » de ce qu'il s'y passe).
Soit le jeu nous propose une approche purement contemplative : nous voyons avant tout ce monde par les yeux d'un enfant et dans ce cas, il faut une forte charge esthétique, voire une forme de relation de fascination entre ce que narre l'un et la manière dont l'autre le reçoit ; et le jeu pèche clairement sur ces deux aspects, car il ne permet pas de les magnifier. Voilà pourquoi je pense que c'était une erreur de ne pas accorder plus d'importance aux développement des actions et à leurs conséquences dans notre partie.

Il semble que la partie dont Ron Edwards a fait le compte rendu n'était pas que contemplative, elle mettait en avant l'exploration de situations un peu rocambolesques vue la manière dont il en parle :
In our game, Clover hunted for fairies, cadged her buddy out to play, found he was no good at fairy-spotting, found she wasn't all that good at knight-jousting, got him stuck in her tree (with dad to the rescue), and generally enjoyed her day. Play ends with her telling her dad about what happened, which is a neat way to subtly discover why she's a happy kid by her lights. In our case, Clover emerged as curious, a bit pushy, full of ideas, and eager to go the extra mile. I liked her, and in fictional terms, wished her well.

Traduction : dans notre partie, Clover a cherché des fées, insisté auprès de son copain pour aller jouer, s'est rendue compte qu'il n'était pas doué pour débusquer les fées, elle a découvert qu'elle n'était pas douée pour les joutes chevaleresques, ils ont coincé son ami dans un arbre (papa est venu à la rescousse), et elle a globalement apprécié sa journée.
La partie s'est terminée sur son récit des événements à son papa, ce qui est un moyen subtil de découvrir par elle-même pourquoi elle est un enfant heureux. Dans notre cas, Clover s'est révélée être une enfant curieuse, un peu autoritaire, pleine d'idées et motivée pour faire un effort supplémentaire. Je l'ai bien aimée et, d'un point de vue fictionnel, lui souhaite une bonne continuation. (désolé pour les approximations de traduction).

D'un autre côté, Ben Lehman dit dans le fil en question, qu'il n'a pas voulu reproduire exactement le manga Yotsuba to !, notamment sur l'humour. Ce point là est important : l'humour dans la conception d'un game design n'est qu'une porte plus ou moins ouverte, il ne doit pas être forcé, c'est au joueur de s'en emparer, ou non. C'est un effet secondaire auquel le jeu laisse la porte plus ou moins grande ouverte. Il n'y a pas grand chose de pire que de forcer l'humour.


Enfin, sur la durée de vie du jeu, c'est une question qui me paraît inadéquate, particulièrement pour ce jeu là : tu peux avoir le jeu gratuitement si tu le souhaites et il peut te procurer une expérience tout à fait authentique. Pourquoi vouloir y jouer « sur du long terme » ?
Je comprendrais que la question se pose si le jeu coûtait 40€ et s'il fallait 10 heures de préparation avant de jouer une partie, mais c'est tout le contraire. Même les jeux de société, on n'y joue pas si souvent que ça. Beaucoup sont périmés après quatre ou cinq parties puisqu'on connaît les réponses ou les tactiques possibles.



Dès que je reçois le jeu, j'organise une nouvelle partie et j'ouvre un nouveau sujet pour en reparler. :)