Dogs in the Vinyard : qui est juge ?

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Dogs in the Vinyard : qui est juge ?

Message par Steve J » 04 Jan 2013, 18:49

Ante-Scriptum : AAAAARRRGGGLLL j'avais déjà tapé tout ce que je voulais dire et je l'ai perdu en cliquant sur "Prévisualiser", j'espère ne rien oublier en réécrivant ce message. Pensez à faire des sauvegardes fréquentes en écrivant vos posts chers silendriftiens...

Ma problématique est simple : on parle beaucoup de jugement dans les jeux narratifs (j'ai d'ailleurs remarqué dans le podcast de la Cellule sur Teocali que Romaric associait le jeu narratif avec le fait de porter des jugements en cours de partie, est-ce qu'il s'agit d'une définition forgienne du narrativisme ?)
Qu'entendons-nous par jugement, est-ce que c'est le joueur qui juge ou est-ce le personnage ?

Je vais profiter d'une partie de découverte de Dogs in the Vinyard menée par Fabien Hildwein à deux joueurs (dont moi) lors du dernier Atelier JDR aux caves Alliées pour en discuter. Mon compte-rendu sera particulièrement égocentré puisqu'il ne s'attardera pas sur le travail du MJ (au passage nous jouions dans un village que Fabien utilise -je crois- régulièrement pour jouer au jeu) et de l'autre joueur, passera sous silence des éléments de l'intrigue et du système de règle*. Ici je parlerai de moi, de mon personnage et de mon ressenti en tant que joueur. Je le dis quand même, la partie était exceptionnelle, nous étions tous les trois très impliqués et je pense pouvoir parler pour tous en disant que cette partie restera dans nos mémoires.

1)Moi, rôliste !
Quelques remarques que je pense importantes sur ma pratique avant de commencer.
Je suis un joueur quasi-exclusivement MJ. Cette sur-spécialisation laisse des traces sur ma pratique, même quand je suis PJ.
J'ai pris l'habitude de toujours prendre du recul sur les actions de mes personnages. Quand je dois faire des choix pour mon PJ, je ne me contente pas de me demander "que ferait mon PJ dans cette situation ?","que ferais-je dans cette situation?" ou même "qu'est ce qui serait le plus avantageux pour mon PJ". Je me demande toujours "qu'est ce qu'il serait le plus intéressant de choisir vis à vis de l'histoire que nous sommes en train de raconter?".
Je ne sais pas s'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise habitude mais en tout cas cela ne me gâche pas mon plaisir de jeu de résonner ainsi. L'aspect meta est pour moi inséparable de la pratique du JDR.

2)Moi et mon personnage (frère Eleazar)
Je pense qu'il est tout à fait possible d'interpréter en JDR un personnage entièrement différent de nous. On se retrouve dans la même situation qu'un ordinateur interprétant un programme.
On sait que notre personnage est câblé de telle façon et on en déduit ses actions logiques. "Mon personnage est raciste et violent et il rencontre un arabe==>il frappe l'arabe".
Cependant dans le cas des JDRs qui insistent sur les jugements, il me semble nécessaire d'incarner un personnage avec lesquel on peut -même un peu- s'identifier.

Je pense que c'était le cas entre moi et mon PJ, frère Eleazar.
Bien-sûr nous avons des différences très importantes. Son trait le plus important (pour moi) c'était "je lis le monde à travers les textes du Livre de la Vie (la Bible du jeu)". Je n'aborde pas le monde à travers des préceptes d'une foi simili-mormone.
Cependant, et sans vouloir faire ma psychanalyse sur ce forum, j'ai tendance à chercher à comprendre le monde à travers des méthodes que je connais. Je préfère au Livre de la Vie des bouquins de méthodologie statistique, des ouvrage de sociologie ou d'économie. Il m'arrive souvent de penser que je peux comprendre un environnement nouveau sans avoir à l'étudier de l'intérieur (de la même façon que mon personnage pense que le Livre de la Vie lui permettra de tout comprendre).

3)Rapide résumé du début du scénario
De retour dans leur village de leur enfance un mois après leur formation comme dogs, les deux PJs, frère Obadiah et frère Eleazar y découvrent des éléments qu'on leur avait caché durant toutes ces années.
Le village est dirigé par frère Azariak, l'intendant. Il est marié avec soeur Mindwell. Ils ont deux enfants, soeur Hester (dont les 2 PJs sont amoureux) et frère Elijah.

Frère Eleazar a beaucoup de respect pour frère Azariah. Il aimait les paraboles que ce dernier lui racontait. Il conserve précieusement un exemplaire du Livre de la Vie offert par Azarah.
Il va découvrir que frère Azariah est un homme violent, il bat sa femme et collecte des taxes exagérément élevées pour son seul profit. Il assomme notamment frère Cyrus, qui descend du peuple de la montagne et qu'Eleazar aime beaucoup, d'impôt en raison de ses origines.

Frère Eleazar va être amener à s'opposer deux fois avec lui. Une première fois pour défendre frère Cyrus. Un deuxième fois après que frère Azariah est violemment frappé sa femme sous ses yeux, alors qu'il avait invité les 2 PJs à dîner. Lors de cette deuxième confrontation, des coups seront échangés et ce n'est qu'en pointant son pistolet sur frère Azariah qu'Eleazar parviendra à le calmer.

Suite à cette confrontation, les deux PJs décident de quitter la maison de frère Azariah et de se donner une nuit pour réflechir à sa sentence. Ils seront rattrapés par frère Elijah et soeur Hester. Le frère et la soeur ont une relation incestueuse, soeur Hester est enceinte et ils souhaitent être mariés par les PJs. Plus tard, ils découvriront que soeur Mindwell vole les réserves du villages.

Terrassé par la discordance entre ses croyances et la situation réel du village où il a été élevé, frère Eleazar perd la foi et se débarrasse de son Livre de la Vie (j'ai hésité à jouer la dissonance cognitive et à garder la foi à ce moment là !).

Finalement, les deux PJs se réunissent pour décider du sort à réserver à frère Azariah et à sa famille, ainsi que de l'identité de son successeur.
Frère Obadiah souhaite remplacer frère Azariah pour son second, frère Virgil (qui est le père d'Obadiah).
Frère Eleazar s'oppose violemment à la nomination de frère Virgil, qui a lâchement servi Azariah pendant de nombreuses années. Il souhaite remplacer Azariah par frère Cyrus. Il se met à frapper frère Obadiah jusqu'au sang avant de s'éfondrer en prenant conscience de ce qu'il a fait.
Frère Obadiah lui propose de choisir la sentence à prononcer vis à vis de la famille d'Azariah (une proposition qui m'a honnêtement touché en tant que joueur d'ailleurs).

frère Eleazar décide alors d'abattre frère Azariah après lui avoir fait avouer ses crimes. Il apprend que ce dernier est aux champs avec son fils, frère Elijah. Il s'y rend, l'arme à la main, accompagné de frère Obadiah.

4) L’exécution ?
Les deux PJs arrivent dans le champ ou se trouve frère Azariah et décident de lui faire avouer ses crimes. Eleazar a perdu la foi, il vient d'apprendre qu'Azariah était un monstre, que ses enfants (dont Hester, la fille qu'il aimait) avaient une relation adultère, que Soeur Mindwell était une voleuse (honnêtement ce point ne me faisait ni chaud ni froid en tant que joueur). Il s'est battu avec un autre dogs sur la place du village, il a perdu son sang froid et a perdu la face devant le village. Tuer frère Azariah est aussi un moyen de regagner sa fierté blessée.
Le conflit qui suit est très violent, d'abord parce qu'on n'hésite pas à frapper et à sortir les armes. Ensuite parce que les deux PJs s'allient contre frère Azariah et le domine largement dès le début du conflit. En tant que joueur cette domination en termes de règles donne le tournis, Azariah passe de personnage monstrueux que l'on peut haïr à personnage pathétique. En voyant les lancés de dés je ne cesse de me dire "putain mais on va le massacrer".
Finalement Azariah fini a plat ventre, la tête contre le sol, le flingue d'Eleazar sur le crane et avoue en sanglotant les crimes que les PJs lui reproche.
Vient la question, Eleazar doit-il appuyer sur la gâchette ?

Moi et l'autre joueur nous regardons. Nous commençons à discuter de la suite à apporter aux évènements. Je regarde Fabien en lui disant "mais ça serait cohérent avec mon personnage que je tire...".
Fabien à alors c'est quelques mots que je vais encadrer par une balise quote tant ils sont importants (en vrai je paraphrase je ne me souviens pas exactement de ce qu'il a dit).
L'important ce n'est pas ton personnage, c'est toi

BLAM ! "Alors est-ce que TOI, Steve, tu as envie d'appuyer sur la détente ?"
Bah euh, aaaah mmmhh...
Me demander ça à moi, qui suis quasi-toujours MJ, pouvant me cacher derrière des dizaines de masques de PNJs !!! Me demander ça à moi dans un jeu qui illustre l'engrenage de la violence en plus...

Eleazar a tiré. J'ai tiré. Ais-je tiré ?

*Petit teaser : j'ai l'intention d'en parler dans un futur sujet qui s’appellera "Comment j'ai planté une partie de Ditv ".
Steve J
 
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Re: Dogs in the Vinyard : qui est juge ?

Message par Fabien | L'Alcyon » 05 Jan 2013, 00:46

Salut Steve, très heureux de te retrouver ici !

Je suis content que tu ramènes cette partie et cette question sur le tapis, j'y ai pas mal repensé. Je trouve aussi intéressant que ce soit un cas de théorie assez clair. Je vais essayer de répondre manière aussi complète que possible à tes interrogations.

Les théoriciens sur The Forge proposent trois « démarches créatives », c'est-à-dire trois types de manières de prendre du plaisir durant une partie de jdr, de manière dont se fait l'approbation autour de la table. Chaque jdr encourage un certain type de démarche créative dans les parties de ce jeu (on dit qu'ils « soutiennent » une démarche créative), ce qui ne veut pas dire que c'est la seule manière dont on prendra du plaisir, mais c'est celle qu'encouragent les règles.
Les jeux qui soutiennent une démarche créative narrativiste (également appelée « Story Now) ») proposent avant tout aux participants de prendre du plaisir en faisant des choix dans l'histoire à travers les personnages et en examinant les conséquences de ces choix dans l'histoire ; il est également possible de prendre du plaisir à examiner les conséquences éthiques ou morales de personnages qu'on ne contrôle pas. Le plaisir est donc à la fois dans la liberté de pouvoir faire des choix et dans le fait de prendre une position, de formuler un jugement éthique ou moral sur les actions des personnages.
Evidemment, tout ceci n'est pas aussi explicite. On peut formuler un jugement en restant très silencieux, ou par un simple sourire ou par une réaction aussi brutale que « mais quel salaud ! ». Ce n'est pas nécessairement quelque chose de très conscient.
Ces jeux sont toujours centrés autour d'une problématique centrale (une « prémisse ») qui structure en général l'ensemble du jeu.

Malheureusement, il y a eu beaucoup de malentendus et de termes galvaudés sur les forums à ce propos (dans le monde anglo-saxon comme dans le monde francophone) au point qu'il est parfois difficile d'en parler. Ces points de théories sont souvent complexes et méritent qu'on y passe du temps pour bien les maîtriser (comme pour toute théorie) ; par exemple, sous chaque démarche créative il peut y avoir des jeux très très différents. D'autant que les démarches créatives sont à la fois le point de théorie le plus célèbre, le plus malmené et le plus subtil (et à mon avis, pas un des points les plus utiles pour la conception de jeu, mais c'est une autre question). On a même tendance à oublier que c'est de The Forge que vient le terme « narrativism » à l'origin, c'est eux qui l'ont créé. Donc il faut toujours une certaine prudence à utiliser ces termes.
Une des incompréhensions majeures vient du fait que beaucoup de jeux issus de The Forge soutiennent démarche créative narrativiste. En même temps, beaucoup d'entre eux (la quasi-totalité) ont abandonné le scénario (au sens de préparation d'une série d'événements et de scènes) et le meneur de jeu tout-puissant. Mais l'un n'est pas synonyme de l'autre ! Certes, pour que la démarche créative soit narrativiste, il vaut mieux qu'il n'y ait pas de scénario, afin que les joueurs puissent être pleinement maîtres de leurs choix et puissent en explorer vraiment les conséquences. Mais un jdr sans scénario ne soutient pas nécessairement une démarche créative narrativiste, témoins Monostatos (ludiste) et Prosopopée (simulationniste).

Pour plus de développements, je t'invite à lire cet article (qui parle aussi de démarche créative simulationnisme).

***

Voilà pour la réponse à ta première question et un peu de bagage théorique qui me permet de mettre en contexte ma réponse à ta deuxième question: qui juge dans DitV ?

Dogs in the Vineyards de Vincent Baker soutient à coup sûr une démarche créative narrativiste et il le fait même avec brio. Les personnages sont là pour juger des gens qui ont commis des péchés et des crimes. Ils doivent donc appliquer une sentence, c'est-à-dire décider de la gravité des faits. Mais les choses deviennent plus complexes lorsque parfois ces péchés et ces crimes ont été commis pour de bonnes raisons (Soeur Mindwell qui volait du grain pour nourrir la famille de Frère Cyrus) ou en toute innocence (Frère Elijah et Soeur Hester, qui sont aussi frères et soeurs, mais qui s'aiment d'un amour authentique). Parfois, ça tourne même à des situations très difficile: comment agir face au fait que Soeur Hester est enceinte ? Que faire de l'enfant ? Doit-on reconnaître cette union, même si elle bafoue la foi, ou laisser Soeur Hester élever son enfant seule ? Que vaut-il mieux faire ? Voilà différents dilemmes, et les dilemmes sont souvent au cœur des démarches créatives narrativistes.
La problématique au cœur de DitV peut être formulée ainsi: « jusqu'à quel point peut-on faire appel à la violence pour imposer ses convictions ? » et c'est un autre aspect du jeu qui soutient une démarche créative narrativiste. Grâce au mécanisme d'Escalade, tu peux obtenir plus de dés en faisant appel à la violence ; de même, il n'y a pas de limitation à la puissance des armes (« et allez ! je m'équipe d'un flingue gros et d'excellente qualité pour 2d8 ! bim ! ») justement parce qu'en faisant ça le joueur se donne une tentation énorme de faire appel à la violence. Mais si un personnage fait appel à la violence, comment vont réagir les autres ? Et comment vont réagir les joueurs ? Est-ce que ça vaut la peine de tirer sur quelqu'un parce qu'il prélève des impôts excessifs ? Vaut-il mieux laisser la situation en place au nom du pacifisme ? Il n'y a jamais d'issue facile aux situations des jdr à démarche créative narrativiste.

Il est donc important, à mon sens, que les joueurs jouent en formulant leur propres jugements. Non seulement, ils en ont la liberté de le faire (pas de scénario) mais en plus c'est là que c'est le meilleur ! Les situations amenées par le meneur de jeu formulent des dilemmes et les joueurs y répondent. C'est là que le jeu devient vraiment puissant et transcende son statut de simple passe-temps, d'activité purement divertissante: les joueurs sont amenés à formuler des jugements eux-mêmes, comme personne humaine avec des convictions et des émotions ! C'est une des manières dont le jdr peut transformer une existence en nous faisant reconsidérer nos choix de vie et nos convictions ! (Je te conseille à ce propos chaleureusement Les Cordes Sensibles si ce genre de manière de jouer t'intéresse !).
Evidemment, les choses sont plus complexes que ça. DitV ne force personne à émettre ce type de jugement en son nom propre, on peut toujours se retrancher derrière son personnage et c'est tant mieux parce que si on est mal à l'aise avec certains sujets, on peut ainsi s'en distancer (« c'est mon personnage qui décide, pas moi »). Ce n'est pas non plus forcément quelque chose de très introspectif, on peut aussi jouer à DitV avec beaucoup d'action et de fun, façon western sauvage où ça tire dans tous les coins, tout en respectant la démarche créative (les jugements se formulent alors de manière moins explicite, mais ils sont toujours là).
Pour aller plus loin, je crois qu'il est possible d'utiliser son personnage pour changer son propre point de vue comme joueur. Si je veux expérimenter ce que ça fait d'être un pacifiste (comme l'a fait l'autre joueur qui a joué avec nous, dont j'ai malheureusement oublié le nom), je peux dire que mon personnage l'est et voir où ça me mène. C'est vrai pour de nombreuses positions éthiques ou morales qu'on peut ainsi éprouver, au double sens de « sentir » et de « mettre à l'épreuve ».

Est-ce que tout ceci répond à tes questions ? Je développe n'importe quel point avec plaisir à ta demande.
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Re: Dogs in the Vinyard : qui est juge ?

Message par shiryu » 05 Jan 2013, 18:00

Steve J a écrit : Vient la question, Eleazar doit-il appuyer sur la gâchette ?
Moi et l'autre joueur nous regardons. Nous commençons à discuter de la suite à apporter aux évènements. Je regarde Fabien en lui disant "mais ça serait cohérent avec mon personnage que je tire...".
Fabien à alors c'est quelques mots : L'important ce n'est pas ton personnage, c'est toi
BLAM ! "Alors est-ce que TOI, Steve, tu as envie d'appuyer sur la détente ?"
Eleazar a tiré. J'ai tiré. Ais-je tiré ?

Je vais juste me concentrer sur ce passage que je trouve excellent mais avant cela (et de dire pourquoi je trouve ce passage excellent), je veux juste dire que le CR est bien, il y a l'essentiel il me semble pour comprendre le dilemme et comme Fabien n'a rien ajouté, je vais partir du principe que j'ai donc tous les éléments pour répondre : donc bravo pour le CR.
Ensuite, pas sûr que ce soit une partie planté de Ditv, au contraire et je développe de suite :

Pourquoi c'est excellent :
DitV est là pour confronter des jeunes premiers de classe tout fraichement sortis de leur école à des situations réelles. Et là, dans le Livre de la Vie, on dit bien comment chacun devrait vivre pour que le monde soit idéal mais pas comment y remédier si ce n'est pas le cas. Et en plus, on met en scène des personnes que nos personnages connaissent et apprécient ! Ah les vaches ! Je dirai qu'une partie de DitV est pour moi (je précise car ça n'est pas le cas pour tout le monde) plantée si justement un joueur se trouve totalement détaché des PNJ, de son personnage, des liens qu'il a et des conséquences de ses actes. Donc ce que vous avez vécu en tant que joueur est très exactement ce que je cherche à vivre en tant que joueur ou à faire vivre quand je suis MJ (donc bravo Fabien).

Comment le vivre ?
Je rejoins Fabien sur "l'important, c'est toi et pas ton personnage" (en gros car tu admets toi-même ne plus te souvenir de la phrase exacte et ça n'a plus d'importance maintenant pour cette discussion). Mais cela ne veut pas dire "est-ce que toi steve, tu as envie d'appuyer ?" mais "est-ce que toi steve, tu as envie que ton personnage appuie sur la détente ? est-ce que tu as envie de lui faire franchir ce pas et de jouer la suite, c'est-à-dire comment ton personnage va vivre avec le fait qu'il ait appuyé sur la détente ou tu préfères qu'il se soit retenu et qu'il vive avec ça ?". Et la question s'adresse bien à toi. Et pas à ton perso car lui, si on s'occupait de ce qu'il voudrait, on se ferait chier à mourir :
"j'arrive dans le village. je retrouve frère machin, mon modèle. On tape la discussion devant un lait de chèvre chaud et j'ai grande fierté de lui montrer à quel point je connais bien le livre. le lendemain, nous découvrons que machine a volé 3 pommes. Je vais lui parler et lui dit que ce n'est pas bien. "Oh oui, vous avez raison, grâce à la lumière dont vous m'avez éclairée, je ne pêcherai plus". frère machin me dit qu'il sait que je ferai un bon dog car j'ai su parfaitement gérer le problème.". Ca c'est la version petite maison dans la prairie. Dogs, y a plus de larmes (quoique dans mes souvenirs, ils passent leur temps à chialer dans la série).
Donc toi, steve, le joueur assis à la table, tu es là pour exploiter dans le sens que tu voudras les situations conflictuelles que te propose le MJ mais c'est toi qui fait l'histoire. A la différence d'un film ou d'un roman qui doit faire des compromis commerciaux pour plaire à un nombre suffisant, tu es le seul spectateur donc tu peux plonger ton personnage dans les choix que toi tu souhaites.
Ton personnage va vivre avec des regrets et des remords. Certains viendront du fait que le joueur a mal évalué les conséquences de ses actes, parfois ça viendra d'une série de jets de dés pourris mais parfois, ça viendra de toi, en ton âme et conscience.
Comme Fabien, j'en reparle avec plaisir si besoin.

Qui est juge ?
Bon, c'est pas tout ça mais on va essayer de répondre à la question quand même ! La réponse, tu l'avais en plus. Je requote :
Steve J a écrit : Vient la question, Eleazar doit-il appuyer sur la gâchette ?
Moi et l'autre joueur nous regardons. Nous commençons à discuter de la suite à apporter aux évènement.

A un mot près : joueur. Et si la scène ne s'était pas arrêtée. Si c'était les 2 personnages qui s'étaient regardé et qui avaient discuté ? DitV est parfait pour ça (à condition de jouer avec plus d'un joueur). Peut on dire que le conflit contre frère machin était fini ? voilà un beau conflit entre joueurs avec pour enjeu la vie de frère machin. L'autre personnage ne s'est pas bien mouillé sur cette scène dramatique. Dans un conflit, aurait-il sorti son flingue pour te faire ranger le tien. Il semblait pacifiste je crois : aurait-il laisser commettre un crime sous ses yeux ? aurait-il commis un crime pour en empêcher un autre ?
Donc là, pour moi, la réponse est clair : ce sont les personnages qui sont juges, les dogs (c'est ce qu'on joue, c'est pas pour rien) et par définition du système de jeu, celui qui gagne le conflit. Que le joueur ou le personnage pense que voler 3 pommes ce n'est pas grave et que frapper sa femme l'est bien plus, c'est un point de départ. Mais si ton perso perd un conflit contre un mec qui lui dira qu'il doit absolument arrêter le voleur de pommes parce que c'est grave pour X raison et hop, ton perso est bon pour y voir une priorité. Si ton perso perd le conflit contre le mari qui frappe sa femme parce qu'elle a été infidèle et que grâce à cette petite mise au point, tout rentrera dans l'ordre, ton perso sera bien obligé d'accepter ce mal nécessaire (évidemment, si ça recommence, il pourra dire que le problème ne semble pas réglé et donc qu'il faut faire autre chose). Les PNJ peuvent essayer de t'imposer leur point de vue, leur priorité, mais au final, c'est le personnage qui rendra justice (et pas le joueur qui doit accepter les résultats des conflits, même quand son personnage perd. A noter que le joueur peut faire perdre volontairement un conflit à son personnage, ou à abandonner le conflit, s'il trouve ça plus intéressant, sans que ça soit de l'anti-jeu pour autant, contrairement à un jeu ludique comme DD4).
shiryu
 
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Re: Dogs in the Vinyard : qui est juge ?

Message par Steve J » 06 Jan 2013, 13:43

Avant tout je souhaite lever une incompréhension sur la partie "plantée".
La partie dont je parle sur ce topic était une partie excellente. Je ne pense pas que qui que ce soit (Fabien, Mathieu ou moi) l'ayons planté.
Par contre, quelques jours plus tard j'ai mené une partie de Ditv avec deux amis et ce fut un franc échec. J'ai l'intention de parler de cette deuxième partie mais pas ici : j'ouvrirai un deuxième topic.

Quand j'ai entendu Fabien me dire "l'important ce n'est pas ton personnage, mais toi" alors que mon personnage pointait sur arme sur un homme à terre en envisageant fortement de tirer, je dois dire que je l'ai pris comme un "prononces toi en ton nom propre" ce qui me mettait dans une situation impossible (en mon nom propre je trouve que c'est une très mauvaise idée de donner une charge de dogs à des jeunes adultes de 18-20 ans !). J'ai résolu cette situation en cherchant à entrer dans la tête de mon personnage.

Ceci étant dit, là où j'ai trouvé le jeu génial c'est que les règles nous amènent justement à entrer dans la tête de notre personnage. L'exigence de cohérence de l'utilisation des traits nous force à nous identifier à notre PJ, à entrer dans sa logique, son mode de raisonnement. Quand j'utilisais un trait comme "je lis le monde au travers des textes du Livre de la Vie", ce livre prenait une signification énorme qui allait au delà du bonus systématique qu'il m'apportait aux dés.

Deux exemples tirés de la partie où je me rends compte que je pensais autant en tant qu’interprète de mon personnage qu'en tant que Steve :
1) le conflit entre Obadiah et Eleazar autour de le personne à nommer intendant à la suite de frère Azariah.
Obadiah proposait son père, frère Virgil, qui avait été le second d'Azariah depuis des années.
Eleazar proposait frère Cyrus, descendant du peuple de la montagne (et donc victime de racisme) et lié à mon personnage par un "frère Cyrus m'a appris la tolérance envers le peuple de la montagne".

Je ne sais pas ce que Mathieu, le joueur, pensait de la position de son personnage mais ce conflit m'importait réellement en tant que joueur (notons que pour le coup c'était assez facile, la position de Steve étant très proche de celle d'Eleazar). Je suis allé jusqu'à escalader le conflit en utilisant l'ensemble des règles (à la grande surprise de Mathieu quand j'ai commencé à envoyer le poing d'Eleazar dans le nez d'Obadiah m'a t'il semblé !).

2) l’exécution de frère Azariah
Comme je l'ai dit, la décision d'appuyer sur la détente faisait suite à un conflit assez éprouvant. L'incontestable supériorité de nos deux personnages dans le conflit précédent (beaucoup plus de dés qu'Azariah, dès le premier tirage il était clair que nous le dominions) me donnait un sentiment très étrange à moi joueur.
D'ailleurs si j'ai choisi d'appuyer sur la détente, frère Elijah s'est jeté sur mon personnage, mon coup de feu est parti dans le vide (nous avions entamé un conflit).
Dès cet échec initial j'ai abandonné le conflit, il m'aurait été difficile en tant que joueur de le continuer.

PS : Fabien tu as raison de dire que la théorie GNS n'est pas évidente à maitriser. J'avais lues il y a longtemps les définitions G, N et S mais l'article de Frédéric me fait prendre conscience que je faisais un contre sens et sur la notion de simulationisme et sur la notion de narrativisme. Je vais me tenir éloigné quelques temps des textes de cette théorie pour m'éviter des désillusions sur l'emploi du terme "ludisme" (ça serait dommage, ce que je pensais comprendre du narrativisme et du simulationisme n'impactait pas tellement mes parties mais la définition du ludisme à véritablement modifié ma pratique).

Edit : Je me rends compte que j'élude un peu la question en ajoutant mes deux exemples. S'ils sont intéressants en eux-même, ils ne nous permettent pas de comprendre ce qui se passe dans la tête du joueur au moment d'effectuer des choix pour ses personnages.
Dans ces deux exemples, j'étais -en tant que joueur- d'accord avec les motivations et les actes de mon personnage (nommer un descendant du peuple de la montagne intendant et épargner frère Azariah après que son fil ait dévié mon coup de feu).
Ma décision de lancer un conflit visant à tirer dans la tête d'un homme au sol est plus intéressante. Si on me demande calmement* si la bonne sentence pour un gouvernant ayant abusé de son autorité et frappé sa femme c'est de le frapper jusqu'à obtenir des aveux avant de l'abattre d'une balle dans la tête, je répondrai "non". Pourtant j'ai quand même choisi de tirer.
Il me semble qu'il y avait plus dans mon choix qu'une application mécanique des principes de mon personnage, en tant que joueur je souhaitais véritablement en finir avec ce que représentais frère Azariah. Par contre ma décision était plus symbolique, plus abstraite, que celle de frère Eleazar.
Pour le PJ il s'agissait de tuer un homme au sol d'une balle dans la tête.
Pour moi, le joueur, il s'agissait de supprimer un personnage de la fiction que nous étions en train de créer collectivement.

*et soyons clairs, aussi intense que fut la partie je pense qu'on peut considérer qu'être en face de Fabien (qui a l'air très gentil) aux caves Alliées en train de jouer à Ditv est une situation plus calme que de se retrouver dans le désert, un flingue à la main, devant un homme qui bat sa femme.
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Re: Dogs in the Vinyard : qui est juge ?

Message par Thomas Munier » 07 Jan 2013, 11:46

A mon sens, un système est abouti quand il soutient les intentions du jeu.

On peut considérer, se basant sur sa réputation, que le système de DitV est abouti.

Si le système laisse au joueur le choix sur une action de son personnage, c'est que l'intention du jeu était que le joueur s'intéresse à ce choix. Qu'il prenne plaisir à réfléchir sur quel choix faire et qu'il prenne plaisir à voir les conséquences du choix.

Si le système ne te dit pas quel prisme utiliser pour faire ce choix, c'est qu'il te laisse libre de juger quel prisme utiliser. Le choix de ce prisme pour savoir comment choisir entre tirer et ne pas tirer est aussi important que le choix de tirer ou de ne pas tirer.

Vas-tu te baser sur les faits qui ont précédé ? Sur ce que tu imagines être la psyché du personnage ? Sur la façon dont le personnage utilise son expérience personnelle ? Sur tes propres valeurs morales ? Ou sur la qualité narrative des conséquences ?
Millevaux. Post-apocalyptique. Forestier. Sludgecore.

Outsider. Folklore personnel. Auto-édition (un livre par mois). Articles invités sur le processus créatif.
http://www.facebook.com/folkloreoutsider
https://twitter.com/Outsider_Daily
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Re: Dogs in the Vinyard : qui est juge ?

Message par Frédéric » 20 Jan 2013, 16:36

Yes, excellent rapport de partie, Steve !

L'un des éléments truculents de Dogs, c'est qu'en nous faisant juger les péchés d'une société pieuse, on se retrouve face à des jugements paradoxaux : dans une partie que nous avons jouée, des villageois avaient du sexe librement. Pour les Dogs, c'est censé être un crime. Mais pour nous joueurs, c'était plutôt souhaitable. Et devoir faire des choix dans ce genre de contexte a quelque chose de vraiment savoureux.

Par rapport aux points de discussion soulevés, je pense que (re)lire l'article de Ron Edwards sur les postures pourrait t'apporter un éclairage par rapport à la relation joueur/personnage dans cette partie : http://ptgptb.free.fr/index.php/le-lns-chapitre-3/
Edit : Une chose importante à garder à l'esprit, c'est que le personnage n'existe pas. Donc, forcément les participants à la table sont toujours responsables des choix attribués au personnage.

Si jamais tu voulais un nouvel éclairage sur le ludisme, j'en parle un peu dans ce sujet sur Monostatos : viewtopic.php?f=19&t=2745 ;)
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