[Les 8 zéros] Zéro Ordinaire

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[Les 8 zéros] Zéro Ordinaire

Message par Thomas Munier » 21 Jan 2013, 12:00

Lors de mon intervention précédente sur Silentdrift, j’ai expliqué que j’avais établi un modèle pour mon activité d’auteur indépendant, le modèle des huit zéros.

J’ai ressenti le besoin de modéliser à la fois pour mieux investir mon rôle d’auteur et pour savoir où aller et comment y aller. Mon absence de stratégie m’a coûté la voie de l’édition par le passé. Je ne souhaite pas faire la même erreur pour la voie de l’indépendance.

Le premier des huit zéros, Zéro Ordinaire, est une manière de justifier mon choix de l’indépendance. Il explique presque à lui tout seul pourquoi j’ai cessé d’envoyer des manuscrits ou des projets aux éditeurs et pourquoi bien des années des plus tard j’autoédite ces mêmes manuscrits et ces mêmes projets.

J’ai reçu une fois un retour détaillé par un éditeur. En 2000 ou 2001, l’éditeur Nestiveqnen, assez connu dans le milieu med-fan, SF, me renvoit le manuscrit de mon roman d’heroïc-fantasy, avec une foultitude de notes au crayon. A cette époque, j’avais 18 ans et j’étais dans une phase très difficile de ma vie, la classe préparatoire aux grandes écoles. J’avais délaissé ce roman depuis deux ans pour écrire dans d’autres genres de la fiction. Les remarques de Nestiveqnen, très justes dans leur ensemble, laissaient tout à fait espérer que moyennant une solide réécriture de ma part, ils étaient intéressés par mon boulot. Las ! J’étais passé à autre chose, je n’ai pas donné suite à leur courrier. C’était sans doute une grande erreur. Mais au regard du contexte de l’époque, c’était compréhensible.

J’ai écrit deux romans depuis, imprimé et envoyé 15 exemplaires de chaque et les ai envoyé à 15 éditeurs différents. Je n’ai jamais eu de réponse depuis, hormis des classiques « ne correspond pas à notre ligne éditoriale ». Ces deux romans, ce sont La Guerre en Silence (thriller conspirationniste / folklore urbain) que j’ai autoédité en novembre 2012, et Hors de la Chair (fantastique contemporain). Ils étaient bizarres, solipsistes, labyrinthiques. En fait, les grands éditeurs à qui je les ai naïvement envoyés n’avaient aucune raison d’être intéressés. J’ai envoyé à des éditeurs très connus (et assez peu spécialisés dans la littérature de genre parce que je pensais que c’était le chemin de moindre résistance. Si mes bouquins étaient bons, ils les publieraient. Point. En réalité, j’aurais dû m’y prendre autrement. Arpenter les salons de France et de Navarre pour rencontrer les petits éditeurs spécialisés et les séduire, envoyer des textes à tous les concours de SF possibles, poster des manuscrits partout, enquiller des lettres et des lettres de refus, utiliser la moindre remarque pour m’améliorer et attendre qu’un jour béni, un texte soit accepté. C’est ce que dicte le bon sens et ce que disent la plupart des auteurs. Mais à mes yeux, c’était tout sauf un chemin de moindre résistance. Je voulais passer ma vie à écrire. Je ne voulais pas passer ma vie dans des boutiques de reprographie chaudes et puantes, à dupliquer des tapuscrits pour les envoyer chez des éditeurs qui les placeraient sur une immense pile de trucs à lire ou plus probablement les enverraient directement au massicot.

J’ai alors abandonné l’idée d’être édité.

J’ai même abandonné la fiction linéaire. Après 2006, je n’écris plus ni roman, ni nouvelles ni poésie. En fait, ma seule activité de création de fiction est le jeu de rôle, en tant que joueur. Je conçois Millevaux, un univers forestier fait de peur et d’obscurité. Je m’y investis si bien que je montre le bébé en convention. De fil en aiguille, je rencontre Johan Scipion qui a la bienveillance de m’encourager à mettre ça par écrit. Millevaux est diffusé en PDF gratuit sur Terres Etranges en 2008. Je m’épanouis dans la fiction non linéaire. Une expérience d’écriture fascinante. Le récit disparaît pour faire place à la potentialité. Je n’imagine pas un instant que Millevaux puisse être édité. Cette désillusion m’a empêché d’abandonner le développement de cet univers.

Guidé par le plaisir de communiquer sur ma passion, je digresse jeu de rôle sur quelques forums. Je signe même deux articles pour le magazine Di6Dent. Je me rends compte qu’il est possible d’avoir un petit nom dans ce petit milieu si on est persévérant et qu’on apporte un service, alors qu’en littérature je n’étais personne.

Je suis spectateur du boom de l’autoédition et de l’impression à la demande, en jeu de rôle et en littérature. Deux sorties m’ont personnellement touché et inspiré. Quand Julien Clément autoédite Terra Incognita sur lulu.com, je réalise que des jeux de qualité professionnelle peuvent shunter la filière de l’édition traditionnelle. Quand j’aide ma sœur Géraldine à autoéditer son recueil de poésie Le Pavillon Mélancolique, je réalise que c’est à la portée de quelques clics.

Et en quelques clics j’autoédite trois livres en trois mois après quinze ans de traversée du désert éditorial.

Où est en ce que je veux en venir ? J’ai choisi l’autoédition parce que c’était mon chemin de moindre résistance. J’ai d’abord vu que c’était matériellement possible et qu’ensuite pour me promouvoir il me suffisait de faire ce que j’aime, c’est-à-dire écrire.

Je dis Zéro ordinaire pour deux choses.

D’abord parce que mon chemin de moindre résistance n’est pas ordinaire. La plupart des auteurs devraient faire ce que je n’ai pas fait. C’est-à-dire persévérer dans le jeu littéraire traditionnel, écrire à de nombreux éditeurs, développer son réseau, placer des nouvelles dans les revues, jusqu’à ce qu’à se faire publier. Romain d’Huissier explique dans le dernier Di6dent qu’il a essuyé des refus d’éditeurs avec son projet d’adaptation en JDR de La Brigade Chimérique. Ce n’était pas faute d’être une grande signature du milieu actuel du jeu de rôle ! Finalement, l’éditeur Sans Détour lui a accordé sa confiance. Pour la réussite que l’on sait. Romain a eu tout à fait raison de procéder ainsi. Il avait une solide bibliographie derrière lui, un concept très abouti, s’appuyant sur une licence de qualité. Il pouvait essuyer des refus mais il ne pouvait pas échouer. Par son réseau, en acceptant les œuvres de commande et par la richesse de son CV, Romain d’Huissier a aussi publié plusieurs romans. Attention, je ne prétends pas lire dans ses pensées ou dire quelle est sa stratégie. En me basant sur son article de Di6Dent n°6, son autobiographie sur le Grog et son bilan de l’année 2012 sur son blog, je dis juste qu’il connaît le succès éditorial dans le jeu de rôle et la littérature de genre en prenant tous les chemins que je n’ai pas empruntés. Je rajouterai qu’il a beaucoup plus de ressources que moi. En talent, en expérience, en persévérance, en humilité. C’est une comparaison toutes proportions mises à part. S’il s’est appuyé sur des licences ou des genres, c’est avant tout par passion mais ça a payé. C’est son parcours de publication qui est ordinaire. Une victoire ordinaire avec son lot de souffrances et de travail ordinaires.

Romain d’Huissier, dont j’admire le parcours, est taillé pour le monde de l’édition. Je lui souhaite de poursuivre dans cette voie, de continuer à rendre hommage aux genres et aux figures qu’il aime tout en y a apportant de plus en plus son univers personnel. En s’y prenant exactement comme il faut pour réussir dans ce milieu, il me démontre que je ne pourrai pas le faire.

Une autre différence notable entre le parcours de Romain d’Huissier et moi : Il connaît parfaitement les genres qu’il explore. Je me suis toujours lancé dans des genres sans en maîtriser les codes sur le bout des doigts. Je préfère offrir une approche fraîche et même naïve des genres, qu’ils soient le médiéval-fantastique, le fantastique, le thriller ou l’horreur. Je sais que j’écris des fictions bizarres. Je ne sais pas et je ne veux pas faire autrement. J’ai compris que ça ne convenait pas aux éditeurs. Ou alors seulement à des éditeurs tout aussi bizarres qui seraient trop difficiles à trouver pour moi qui n’ai pas de réseau. Cette bizarrerie, je continuerai à la cultiver. C’est ma patte. Mais c’est aussi ma croix. Privilégier le folklore à l’histoire, privilégier le doute aux faits, privilégier la quantité à la perfection, c’est un style qui se paie par la marginalité. La bonne nouvelle c’est que vous pouvez être marginal et vous diffuser. Qu’à ce point de marginalité, il devient plus simple d’aller démarcher directement les lecteurs que d’aller démarcher les éditeurs. Car c’est là mon chemin de moindre résistance.

La quantité des textes que j’ai en réserve n’est pas non plus ordinaire. Je me rappelle une discussion en 2001 avec Philippe Claudel. Je vous parle d’une grande plume. Prix Renaudot 2003, Prix Goncourt des Lycéens 2007. Il disait écrire plusieurs romans par an mais n’en publier qu’un seul par an. Il écrivait trop vite pour les éditeurs ! Quelque soit votre renommée, les éditeurs ont du mal à absorber une production prolifique parce que ça contredit le principe des rentrées littéraires. Si je publie un livre par mois pendant un an, je me démarque définitivement de l’ordinaire. Une démarche éditoriale marginale, un style d’écriture marginal, une productivité marginale sont les trois facteurs qui m’ont guidé vers l’indépendance.

Vous me direz que si j’avais un peu plus de plomb dans la cervelle, je pourrais corriger le tir, rentrer à nouveau dans le jeu littéraire et faire éditer en dix ans ce que j’ai dans mes tiroirs. Mais quand vous avez goûté au zéro ordinaire, il est difficile de revenir en arrière.
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Re: [Les 8 zéros] Zéro Ordinaire

Message par Christoph » 21 Jan 2013, 15:12

Salut Thomas

Merci pour ce retour ! Est-ce que tu pourrais nous en dire un peu plus sur ce que ça implique concernant tes projets de jeu de rôle, ou est-ce que peut-être tu aurais des questions sur comment continuer ton aventure ? Les règles de la rubrique essaient d'encourager des fils où une discussion peut avoir lieu sur un projet de jeu précis, et là tu nous parles plus de ton expérience globale. Ce contexte est très intéressant et inspirant, mais ça me semble manquer de pistes pour discuter d'un projet de publication, et ce n'est pas non plus un compte-rendu d'un projet terminé. Si tu ne sais pas comment emmancher une réponse à cette contrainte imposée par silentdrift, tu pourrais par exemple nous parler plus concrètement de l'impact escompté de cette démarche sur des buts précis de publication, par exemple en termes de tirage, de durabilité économique de ton entreprise, de pénétration du milieu rôliste, de la pérennité du support offert aux acheteurs de tes jeux, etc. Ou étoffer pourquoi, en matière de publication de jeux, il t'est difficile de revenir en arrière (il n'est pas du tout évident pour moi que la publication de nouvelles/romans doive suivre les mêmes chemins que la publication de jeux).

Ceci dit, je ne compte pas être aussi strict que dans d'autres rubriques, car Publication est en quelques sortes la moins mature, si tu trouves d'autres moyens pour t'inscrire dans cette approche pragmatique d'apprendre ou enseigner, on peut aussi essayer.
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Re: [Les 8 zéros] Zéro Ordinaire

Message par Thomas Munier » 21 Jan 2013, 16:07

OK,

Tu te doutes bien également que les choses ne sont pas forcément bien précises pour moi non plus. Ces articles des huit zéros sont pour moi des façons de réfléchir tout haut, d'accoucher mes propres idées, et bien sûr, de déclencher des réactions qui pourraient m'instruire.

Je vais recentrer le débat sur le JDR car c'est avant tout ce qui nous intéresse sur ce forum.

Pour la faire courte, le message lié à cet article est le suivant : si vous pensez que votre jeu de rôle est grand public (parce qu'il suit une licence, parce qu'il émule les codes d'un genre populaire), et je dis bien grand public à l'échelle du microcosme rôliste (ce qui est hyper en jdr est plus en fait marginal dans la culture populaire), bossez avec un éditeur, vous trouverez une équipe, un soutien, des moyens qui donnera à votre projet l'envergure nécessaire et le diffusera vers le public idoine.

ça va un peu contre le principe de Poussou (Thomas Poussou dit que si un éditeur veut bosser avec toi, c'est que ton projet est banquable et donc qu'il est plus rentable de s'autoéditer) mais j'ai eu quelques discussions avec Romain d'Huissier qui m'ont fait réfléchir. Quand tu as la même came qu'un certain nombre de gens, c'est plus intéressant de se regrouper. De monter une équipe autour d'un éditeur pour sortir un produit bien poussé avec un livre luxueux à destination des fans qui sont exigeants mais prêts à mettre la main au porte-monnaie si on leur propose un jeu qui rend vraiment hommage à ce qu'il aime.

J'en viens à penser que le jeu de rôle indépendant Tiamat de Konrad, avec un thème ultra populaire (les films d'arts martiaux) aurait peut-être gagné à trouver un éditeur, ou du moins, un distributeur pour les boutiques. Le projet de Frédéric, Bienvenue à Poudlard, ne trouverait-t-il pas avantage à se placer chez un éditeur qui avancerait le fric pour payer la licence Harry Potter et ainsi fournir un beau livre agrémenté d'illustrations ? Je serais curieux de connaître la position de Frédéric sur ce sujet.

Mon truc, c'est que mes projets de JDR ne rendent pas hommage à une culture, ils parlent de ma propre culture. L'univers de Millevaux me paraît suffisamment atypique pour que le passage chez un éditeur ne se solde ni par une augmentation notoire de la qualité ni par une meilleure espérance en terme de vente.

Quand tu es un auteur de JDR qui s'intéresse à des thèmes partagés par beaucoup, c'est rentable en terme artistique et en terme de game design de bosser avec un éditeur. Car l'éditeur il va payer de sa trésorerie et de son réseau pour te fournir une équipe d'experts. C'est valable sur des projets comme Qin, Yggdrasil, Keltia, l'Appel de Cthulhu, Dark Heresy.

Mais si toi auteur de JDR ton trip c'est de développer un univers et un game design complètement singulier et solipsiste, les éditeurs ils ne peuvent pas te fournir d'expert. Le seul expert de Millevaux, c'est moi.

Alors bien sûr, être indépendant n'interdit pas d'avoir une équipe. Sur Millevaux Sombre je m'appuie sur tout le staff de Terres Etranges, Johan Scipion en tête. Je fais relire mes bouquins. J'ai notamment eu l'aide d'un pro, en la personne de Colin Niaudet, qui a géré la traduction de la campagne Les Montagnes Hallucinées. Il a eu la bienveillance de relire mon scénario Punks of Wilderness. Je profite aussi de réseaux de compétences, telles que la Cellule ou Silentdrift.

Mais ça n'a rien à voir avec les dimensions que peuvent prendre des projets édités. Si le JDR indépendant peut espérer produire des ouvrages de qualité, il reste limité dans ces ambitions. Je n'ai pas en tête d'exemples de jeux à licence sortis en indépendant. Les gammes fournies me paraissent rarissimes (si l'on omet l'OVNI Nothingness), de même que les bouquins luxueux de 500 pages en quadrichromie.

ça me permet d'ailleurs de comprendre pourquoi les jeux indépendants sont souvent des jeux forgiens et pourquoi les jeux forgiens sont souvent des jeux indépendants. Tout ce qui est avant-gardiste ou singulier est plus adapté au modèle économique de l'indépendance que de l'édition. Avec la hypitude grandissante des jeux forgiens, je pense que d'ici quelques années les jeux forgiens auront pignon sur rue chez les éditeurs. Et les indépendants produiront encore d'autres types de jeux, avec des gameplay émergeants ou des visions exotiques.

Pour finir, j'en conclus que si un jour, je veux travailler sur quelque chose de populaire (ou que mon travail devienne populaire), j'aurai peut-être plus intérêt à démarcher des éditeurs.
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Re: [Les 8 zéros] Zéro Ordinaire

Message par Christoph » 23 Jan 2013, 13:00

Hello

Comme je m'étais plaint, je voulais quand même confirmer que le propos a été recadré sur le jeu de rôle. Est-ce que tu pourrais juste encore nous préciser le lien avec tes projets (en particulier Millevaux, mais pourquoi pas Inflorenza) ? À lire ton message je me retrouve à partir dans des généralités et des contre-exemples, ce qui ne serait pas très constructif de ma part je crois, mais en même temps il me manque un peu de matière pour comprendre pourquoi toi tu comptes publier en indépendant (du moins pour les jeux cités). Comme je l'expliquais chez Romaric, silentdrift s'intéresse plus aux jeux indépendants qu'aux auteurs (qui peuvent évidemment publier des jeux aussi bien indépendants que chez des éditeurs), et ton fil me semble plutôt exposer un manifeste d'auteur.

Pourquoi penses-tu que Millevaux n'est pas grand public ? Les genres post-apo, survivalist et zombie sont extrêmement populaires, au cinéma comme dans le jeu vidéo (à savoir que j'inclus des Silent Hill et 28 jours plus tard dans mes références, pour te donner une idée, je ne suis pas un grand spécialiste). La forêt comme élément renforçant l'horreur a été utilisé dans des films comme Blair Witch Project ou La Cabane dans les Bois. Beaucoup de nouveaux succès mainstream apportent une petite touche d'originalité en construisant sur une base éprouvée. Je n'essaie pas de dire que Millevaux n'est pas original, j'essaie juste de comprendre comment toi tu vois les choses (parce que c'est ça qui est important pour notre discussion).

Vu les éditeurs de nos jours (les tout grands noms des débuts ayant disparu depuis longtemps), à savoir quelques « grandes » structures comme 7e Cercle par exemple, mais beaucoup de plus petites structures publiant pas mal de choses confidentielles (y compris des jeux indépendants!), comme les 12 Singes, Écuries d'Augias, John Doe, etc. est-ce si clair que tu ne puisses pas trouver ton compte chez l'un d'entre eux pour cause de trop plein de bizarreries de tes jeux ? 2dsf ont publié Nobilis après tout. Il me semble que c'est une question d'appréciation personnelle (de toi et des éditeurs potentiels), pas tellement une question de l'état du marché (dont il faudrait avoir une bonne évaluation...) Si ton jeu n'était pas pris, ce serait plutôt un cas particulier d'avoir tout essayé et de t'être vu tout refuser (mais tu nous as expliqué que ce n'était pas ça), plutôt qu'un cas de principe.

En fait, j'ai l'impression que ça va plus loin que l'originalité de tes jeux. N'en va-t-il pas aussi de ta volonté de publier des suppléments (pas dans les habitudes de John Doe par exemple), et surtout comme toi tu l'entends (pas dans les habitudes d'un éditeur qui aurait son propre point de vue là-dessus) ? De ta volonté de choisir avec quels partenaires tu veux travailler (pas clair que tout le monde accepte que tu utilises le système de Sombre) ? Pour Millevaux en particulier, le jeu étant très avancé, en quoi aurais-tu besoin d'une équipe pour t'aider à le développer (cet argument ne tiendrait pas pour d'autres grands jeux que tu prévois et que tu n'as pas encore entamés) ?

Évidemment, de beaux gros livres-objets nécessitent des imprimeurs particuliers et des grands tirages pour être envisageables, mais qui nous dit que dans dix ans ce type de publication ne sera pas plus accessible ? Il y a dix ans, peu de gens publiaient via Lulu et maintenant c'est assez répandu (même 2dsf, parents du Grand Livre Blanc, ont recours à Lulu pour certains suppléments). La question de la production est une question technologique, plutôt que de principe, même si c'est tout à fait vrai que de nos jours, ça reste un atout tout à fait valable des éditeurs. De toute façon, ça ne semble pas entrer en ligne de compte pour Millevaux, ce n'est donc pas vraiment une considération importante, si je ne me trompe.
Innommable: hurlez.
Zombie Cinema, en français dans le texte.
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Re: [Les 8 zéros] Zéro Ordinaire

Message par Thomas Munier » 23 Jan 2013, 14:40

Pourquoi Millevaux et Inflorenza ne sont pas grand public ?

C'est une très bonne question. Disons que c'est du pur feeling de ma part et après tout je me fourre peut-être le doigt dans l'oeil jusqu'à l'os ! Je vais commencer par aller dans ton sens en admettant que le succès des Ombres d'Esteren , de Wasteland, ou plus anciennement de Hawkmoon laissent penser que le post-apo à la sauce européenne peut tout à fait rencontrer un succès mainstream.

Je pense juste que l'univers de Millevaux est plus singulier que ça. Je ne parle pas en qualité, je suis la dernière personne légitime pour en juger. Je pense juste qu'il y ait peu trop d'ingrédients bizarre pour que ça fonctionne sur un mode mainstream. Je mélange Lovecraft, William Burroughs, la forêt, le millénarisme, la dark fantasy, les musiques drone et sludgecore, le western spaghetti, le survivalisme, la sorcellerie, le réalisme magique, la SF et les légendes rurales. Si c'est pitchable en une ligne (post-apo, forestier, sludgecore pour Millevaux Sombre, héros, salauds et martyres dans l'enfer forestier pour Inflorenza), ça reste un sacré salmigondis. Quand j'ai pris le virage indépendant pour Millevaux, c'est en partie par crainte qu'un éditeur me demande de limer tout ça.

Il y a aussi des problèmes de système. Entre Sombre qui est indépendant et Inflorenza qui est d'inspiration forgienne !

Après, peut-être que je prends ça trop au sérieux ! Des univers autrement plus alambiqués ou exigents ont vu le jour chez les éditeurs. Nephilim, Talis Lanta, Empire of the Petal Throne. Quant aux systèmes, on a tout vu sous le soleil, et le succès de la Boîte à Heuhhh démontre que les rôlistes s'intéressent de plus en plus près aux jeux forgiens.

Je dois aussi considérer comme possible que ma motivation principale à l'indépendance soit l'orgueil !

Peut-être aussi que je ne sais pas encore par quel bout le prendre et que les arguments m'auraient manqué pour convaincre un éditeur. Un parcours en indépendant me permet d'expliciter l'univers à mon rythme, par le biais de la publication.

Ou encore tout est histoire de contrôler sa création. Que si un éditeur aurait accepté les choses dans leur moyenne, il aurait en revanche voulu retoucher trop de choses à mon goût.

Je continue l'inventaire à la Prévert. Je pense que quand on arrive à un certain degré de singularité, ça devient aussi simple (ou aussi compliqué) de convaincre chaque lecteur un par un que de convaincre un éditeur.

C'est peut-être lié à mon histoire personnelle. Mes déceptions en littérature m'ont amené à m'impliquer dans le jeu de rôle en amateur, puis en indépendant. Si j'avais envoyé 20 dossiers Millevaux à des éditeurs en 2007-2008, les choses auraient peut-être tourné autrement ? Le truc c'est que maintenant, je ne veux plus faire machine arrière car je n'ai envie d'attendre encore un ou trois ans que les premiers livres Millevaux sortent.

Enfin, c'est une question de besoin de ressources. Quand tu travaille sur un projet dont tu veux qu'il intéresse un grand public, et que dès le départ tu le réfléchis pour l'édition, tu le dimensionnes pour l'édition. Tu te crées des besoins de développement qui vont nécessiter une équipe élargie, pour sortir un bouquin super solide, expurgé de toute naïveté.
Quand tu commences tout seul, que tu vises un public confidentiel, que dès le départ tu as vu les choses en indépendant, tu te dimensionnes en indépendant. Du coup tu arrive à faire le livre avec une équipe et des moyens réduits. La vérité, c'est que je n'ai pas besoin de l'aide d'un éditeur pour Millevaux qui a ce type de positionnement.

Après, je ne sais pas quels seront mes prochains projets ! Ce pourrait être une expérience enrichissante de se dire, par exemple : "allez, l'année prochaine j'imagine un projet qui soit dimensionné pour l'édition et le grand public. Je trouve un éditeur et je vois ce que ça fait de bosser en équipe avec des gros moyens, de monter en responsabilité, de construire une vision à plusieurs plutôt que de faire un truc tout seul dans sa cave". Les questions que tu me poses Christoph, sont peut-être valable pour beaucoup d'indé. Après tout, Prosopopée, critiqué dans Casus Belli (c'est une institution, mais aussi ça se pose là en matière de mainstreamitude), n'aurait-il pas facilement trouvé un éditeur et/ou un distributeur ? N'aurait-ce pas profité à la diffusion du jeu ?

Tes questions me font avancer Christoph parce qu'elles me font dire que je n'ai certainement pas raison sur tous les points, et que je ne peux différencier des choix tactiques de choix purement émotionnels.
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