Pendant ces vacances, j'ai eu le plaisir de jouer une nouvelle partie de Prosopopée, selon le texte actuel.
Les joueurs et leurs personnages :
- Magali (28 ans, co-auteure de Psychodrame, pratique le JDR depuis qu'on s'est rencontrés, essentiellement en tant que joueuse et de façon occasionnelle) jouait Celle dont la sève coule dans les veines
- Renaud (16 ans, deux parties de JDR maîtrisées par moi à son actif en tant que joueur) jouait Celui dont les mouvements produisent de la musique
- Laura (19 ans, une partie de JDR maîtrisée par Magali et moi à son actif) jouait Celui qui n'a pas de sexe
- Je jouais Celui dont les yeux sont des miroirs
On a lancé un dé pour déterminer le joueur qui commencerait la narration, c'est tombé sur moi, zut, j'ai demandé de relancer le dé en ne participant pas au tirage au sort, afin qu'un des autres joueurs commence, pour que je n'influence pas trop la fiction dès le début.
Renaud commence donc (je réécris les phrases de mémoire, donc les mots ne sont pas d'origine) :
"- Celui dont les mouvements produisent de la musique, marche dans la forêt, les arbres n'ont pas feuillage et sont creux. Le vent en s'y engouffrant produit de la musique" (Renaud est tenté de poursuivre sa narration qui était nettement moins concise que ce que j'en rapporte, mais je lui explique qu'il peut s'arrêter quand il veut, voire qu'il est important pour le jeu qu'il ne s'éternise pas, hop, une chose à ajouter dans le texte du jeu).
J'aime cette idée d'arbres creux qui font de la musique, je lui donne un dé de récompense (dR), ce faisant, j'explique cela aux autres joueurs pour leur montrer le fonctionnement du jeu.
Magali poursuit, je leur avais précisé qu'il n'était pas nécessaire que nos PJ partagent la même scène, bien que le Problème est commun.
"- Celle dont la sève coule dans les veines se rend au bord de la rivière, à l'endroit qu'elle affectionne et où elle se rend régulièrement. Elle sort un radeau d'une cabane qu'elle s'est elle-même fabriquée. Mais impossible d'accéder à l'eau, une sorte de mur invisible empêche de passer."
Renaud donne un dR à Magali et Laura place un dé de Quête (dQ) sur le Cercle des Substances (elle propose ce faisant que le problème prenne la voie initiée par Magali) elle a repris le personnage de Magali pour poursuivre la narration pour justifier son dQ, mais je lui explique que d'une part le PJ de Magali lui appartient (ajouter un point de règle dans le texte du jeu) et que sa narration pour le dQ doit se limiter à la description du problème. Elle dit donc que le mur semble s'étendre sur une grande distance et met la difficulté à 4 sur la Substance Éléments... le mur semble donc élémentaire.
Je prends la parole (Je tiens à préciser qu'il y a eu beaucoup d'écoute et aucune prise de parole ne m'a semblé empiéter sur celle d'un autre joueur) :
« Celui dont les yeux sont des miroirs entend un son qui lui fait penser à une sorte de musique. Il recherche sa provenance et entend bientôt deux musiques qui se superposent. C'est là qu'il découvre Celui dont les mouvements produisent de la musique ».
Puis je parle à la place de mon personnage :
« Bonjour, c'est très joli ce que vous faites. »
Et là s'en est suivi un échange un peu invraisemblable où Renaud décrivait les sentiments de son personnage sans jamais répondre à mes paroles.
Au bout du compte, on a appris que Celui dont les mouvements produisent de la musique a l'habitude de venir dans ce lieu pour jouer de la musique avec les arbres qui ont toujours été creux et qui ont toujours produit de la musique, mais qui n'ont perdu leurs feuilles que récemment.
Au bout d'un moment, il a fait la remarque à Celui dont les yeux sont des miroirs qu'il était perturbant de parler à quelqu'un en se voyant dans ses yeux (huhu).
J'ai l'impression que pour certains joueurs, le passage d'une narration de metteur en scène à une narration d'acteur est difficile ; j'avais eu la même impression pour Romaric qui ne quittait jamais le rôle de son perso : « vous entendez, même les animaux ont disparu de la forêt » alors qu'il aurait très bien pu dire à la place : « aucun bruit d'animaux ne se fait entendre », il va falloir que je me penche là-dessus... j'aime beaucoup la façon dont Polaris décrit différentes façons de narrer (une à la 3è personne, une à la première personne et une par gestuelle...)
Celui dont les yeux sont des miroirs trouve la mélodie des arbres très mélancolique, il remarque que les rainures de l'écorce des arbres forment des visages grimaçant de peine. Il s'adresse à eux pour leur demander la nature de leur problème. (Tout cela épaulé par Renaud).
Et là, j'ai tenté un truc, j'ai terminé ma narration comme suit :
« Et là, l'arbre répondit... » et j'ai laissé les autres joueurs décider.
Ça a bien fonctionné, les joueurs attendaient la suite avec curiosité et finalement, à la fois pris au dépourvu et contents de pouvoir décider d'un truc aussi important pour l'histoire, Laura a donc choisit de faire parler l'arbre et il a raconté que quelque chose de froid était apparu sous ses racines. (hop, un dQ de plus dans la Substance Éléments).
J'ai demandé aux arbres d'où le froid est arrivé, ils m'ont indiqué une direction que j'ai suivie (et Renaud a expliqué ensuite qu'il m'avait également suivi) et qui m'a amené jusqu'à la rivière où se trouvait Celle dont la sève coule dans les veines, du moins sur l'autre berge (ça c'est Magali qui l'a rajouté parce que selon elle, son personnage ne pouvait pas se trouver du côté des arbres musiciens où l'on se trouvait. Ce qui est drôle, c'est que dans un sens ou dans l'autre, ça n'aurait pas entamé la cohérence de l'histoire, mais pour Magali, c'était important. On a donc acquiescé et poursuivi).
Magali a beaucoup apprécié que je relie les deux histoires et m'en a récompensé d'un dR.
Il faut noter que le fait d'employer dans sa narration des éléments plantés préalablement par d'autres est un excellent moyen de gagner des dR (je noterai ça dans le texte du jeu).
Celle dont la sève coule dans les veines nous a expliqué qu'un mur invisible (qui est devenu transparent pour Renaud ^^) l'empêchait de traverser la rivière.
Celui dont les mouvements produisent de la musique a donc poussé un arbre qui en tombant a formé un pont sur la rivière, neutralisant le mur. Celle dont la sève coule dans les veines a rejoint les deux autres PJ.
Le mur faisait partie du problème, il avait un dQ, cela peut paraître bizarre qu'on s'en débarrasse ainsi. En réalité, comme on a décidé que c'était la rivière elle-même qui avait un problème dont le mur n'était qu'un morceau, ça ne posait pas du tout problème, il aurait pu également revenir sans difficulté si on le voulait.
Celui dont les yeux sont des miroirs lui a montré que sous l'arbre déraciné se trouvait comme une épaisse couche de glace qui visiblement assoiffait les arbres, d'où leur tristesse et la perte de leur feuillage.
Là, Laura me dit : « j'ai dit que ça leur gelait les racines, pas que ça les assoiffait ». Mais j'ai le droit de rajouter ce que je veux tant que ça semble logique et que ça ne contredit pas ce qui a été narré avant (en y réfléchissant, je préfère éviter les mécanismes de censure qui rendrait le jeu moins « amical »).
La question se posait : comment régler cela.
Laura a introduit son PJ à ce moment là :
« C'est alors que celui qui n'a pas de sexe descend de l'arbre » cela nous a bien fait rire et elle a reçu un dR de Magali.
Je lui ai demandé s'il était un homme ou une femme, il m'a répondu ni l'un ni l'autre, et il nous a confirmé que le mal venait bien de la nappe phréatique.
Puis la rivière s'est mise à bouger bizarrement, ce qui a causé un nouveau dQ en guise de problème sur la Substance Animale.
Renaud fait remarquer comme il est curieux que des gens aussi spéciaux se rencontrent ainsi. Hormis celle dont la sève coule dans les veines, car son attribut étrange n'était pas visible...
Celle-ci explique son attribut.
J'interviens alors en lui demandant si je pouvais voir ça (curiosité naturelle car mon personnage avait tout du scientifique). Elle se pique le doigt et fait couler une goutte que je récupère dans un flacon.
J'avais à ce moment là suffisamment de dR pour régler le problème (appelé déséquilibre dans le texte du jeu).
J'ai donc utilisé la Médiation Science sur la Substance Animale :
J'ai une théorie, il est fort possible que la créature qui hante cette rivière s'abreuve de sève, si nous lui donnions un peu de la votre... hop, je verse la goutte dans la rivière... (Je lance les dés : succès parfait, je narre les conséquences) et là une immense forme dresse son ventre bedonnant sur deux longues jambes, son corps est transparent comme de l'eau, il dit qu'il est rassasié et s'en va hanter une autre rivière en enjambant les arbres (cette narration m'a valu un dR supplémentaire de la part de Renaud).
La glace du sous sol s'est mise à fondre, la rivière a retrouvé son eau, les arbres ont recouvré leurs feuillages luxuriants et leur musique est redevenue joyeuse.
Ce succès me donne le droit de gagner un nouvel attribut étrange ou d'augmenter celui que je possède.
Je choisis donc ceci :
La créature en s'enfuyant a laissé une grosse goutte. Je la met dans mon flacon et la bois... mon visage entier devient alors une surface miroitante.
***
On a arrêté là, après 45 minutes de jeu.
Bon, première réflexion, c'est moi qui ai mené la partie tout le long, l'expérience du JDR m'aidant et le fait d'être le créateur du jeu m'évite de douter de la possibilité de narrer certaines choses.
Cependant, toutes les interventions ont été importantes pour la partie et tout le monde s'est amusé malgré une inégalité de participation.
Bon, en plus je me souviens mieux de ce que j'ai dit que ce dont les autres joueurs sont à l'origine, ça biaise forcément le compte-rendu...
Il y a trois choses que j'ai remarquées :
1- quand les joueurs se mettent à parler à la place de leur personnage, ils ont du mal à décrire le monde.
2- du coup, ils oublient un peu de gérer les problèmes en donnant des dQ, voire en décrivant des choses problématiques.
3- Je trouve un peu difficile de séparer les PJ (qui sont des êtres vraiment très particuliers), mais en avoir 3 ou 4 toujours ensemble, ça n'est pas très élégant pour la fiction (à moins que j'invente une raison à leur compagnonnage).
Autrement, la partie a plu à tout le monde et je trouve que l'histoire qui en est née est réjouissante.
Beaucoup de choses ressemblent aux deux parties précédentes que j'ai faites (créature qui hante une rivière dans une vieille version du jeu, arbre triste qui a perdu ses feuilles, encore et toujours de la forêt...) et elles ne sont pas toutes de mon fait.
A croire que l'imaginaire collectif dans la couleur de ce jeu est assez homogène.
Je travaille à des points de règles ou de background qui permettraient aux joueurs de dépeindre des lieux et des PNJ différents.
Voilà, commentaires bienvenus !