[Millevaux / Inflorenza] Le pélérinage des morts

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[Millevaux / Inflorenza] Le pélérinage des morts

Message par Thomas Munier » 23 Déc 2012, 12:24

Le pélérinage des morts

"Un homme, ça peut être détruit, mais pas vaincu.", Ernest Hemingway

J'ai toujours joué à Millevaux de deux façons. En premier lieu, j'ai fait du survival horrifique, d'abord avec le basic system puis sous Sombre qui s'est avéré bien mieux adapté. Mais j'ai également souvent exploré Millevaux sur le mode héroïque. J'appelais ça de l'horreur épique. Les personnages étaient puissants, disposant de grands pouvoirs et de grandes responsabilités, ils étaient le centre de violentes intrigues de coeur et de cour et affrontaient des entités mythologiques dévastatrices. J'utilisais pour cela le basic system en le customisant au fur et à mesure pour rajouter des écoles d'escrime, des tableaux de diplomatie, des pouvoirs psy et des tableaux de décoctions. Il y avait un système de combat très complexe, avec des actions multiples et des points de souffle. ça a donné quelques campagnes épiques et dantesques. On explorait toujours Millevaux mais d'une façon complètement différente. Ce basic system revisité à la sauce épique avait sans doute beaucoup à voir avec le system d'Anima : Beyond Fantasy. Aussi ambitieux que boursouflé.

Puis je me suis spécialisé dans le Millevaux motorisé sous Sombre. J'ai laissé le basic system aux oubliettes. Je me disais que d'ici quelques années, je proposerai un supplément pour explorer Millevaux en mode épique, peut-être sous dK system ou Sombre max. J'avais quelques vagues idées de système maison, mais rien de concret.

Le temps a passé et j'ai commencé à m'intéresser aux jeux indie et à tout ce qui se fait d'expérimental dans le jeu de rôle. Sans en pratiquer forcément beaucoup, j'ai pas mal appris sur le sujet, en lisant les forums, les blogs, en écoutant des podcasts.

J'ai fini, un peu fortuitement, par agréger tout ce qu'il y avait dans l'air. J'ai imaginé Inflorenza, un système pour jouer des tragédies avec des héros, des salauds et des martyrs dans l'enfer forestier de Millevaux. Un système centré sur le personnage, favorisant la démarche créative narrativiste. J'ai fait hier soir le premier playtest d'une longue série.

Dans Inflorenza, la feuille de personnage et son background ne sont pas dissociées. La feuille de personnage EST la feuille de background. Un personnage se définit par 3 à 12 phrases (des Sentences) sur son histoire, ses sentiments, ses projets. Un personnage démarre avec 3 Sentences et va en gagner tout au long de sa carrière. Il y a une sentence par thème d'univers et 12 thèmes d'univers (ou infloressences) : la chair, la mémoire, la nature, la corruption, l'égrégore, la société, le clan, la religion, la science, l'amour, la pulsion, la folie. Une sentence est une phrase qui se rapporte à une infloressence, d'une façon ou d'une autre. Exemple avec le personnage de Georges pour l'inflorescence 10 (amour) : "je suis fasciné par Frère Auguste" puis "J'ai accepté de mentir pour suivre Frère Auguste" puis "je me suis détaché d'Auguste depuis qu'il est un moine défroqué" puis "l'Inquisitrice quitte les ordres pour me demander en mariage". Chaque sentence dispose d'un grade. Il y a quatre grades : accompli, héroïque, vaincu, détruit. Un personnage meurt s'il atteint 3 sentences au grade détruit. (le Prince de Clèves meurt de chagrin, Hector meurt de la main d'Achille, Hamlet se suicide). S'il atteint 6 sentences au grade accompli, sa geste se conclut en apothéose (Ulysse retrouve Ithaque et Pénélope, Conan devient roi). Les personnages sont créés avec trois sentences au grade héroïque.

C'est un jeu avec MJ mais le pouvoir narratif du MJ est faible, il sert surtout à cadrer, à s'assurer que les situations soient dans la couleur de l'univers et à aider les joueurs en panne d'inspiration à développer des situations intéressantes. A mon sens il est même possible de jouer sans MJ mais il faut que je le vérifie avec une session de playtest.
Dans ce premier playtest, joué dans les Vosges le samedi 22 décembre, j'incarne un personnage de moine pélerin illuminé, Frère Auguste, tandis que ma soeur Géraldine incarne un autre pélerin, Georges, un pélerin lambda qui va être embarqué par Frère Auguste, puis deviendra un nécromant et enfin un saint.

On joue en Tour, un Tour par joueur. Lors de son Tour, le joueur imagine un Conflit qui part d'une de ses sentence. Il définit l'objectif que cherche à atteindre son personnage (séduire un PNJ, convaincre un PJ, vaincre un adversaire au combat, traverser la mer...). Il compte le nombre de ses sentences qui sont impliquées dans le conflit (quitte à etoffer la description des actes de son personnage pour faire rentrer une sentence dans le conflit), chaque sentence impliquée lui donne un d12. Il jette son pool de d12. Chaque 12 ou groupe de dés (sauf les 1) dont la somme fait 12 donne une réussite. Chaque 1 donne une complication. Pour remporter le conflit, il faut au moins une réussite. Chaque réussite modifie une sentence et la fait augmenter d'un grade, ou crée une nouvelle sentence au grade héroïque. Chaque complication modifie une sentence et la fait diminuer d'un grade, ou crée une nouvelle sentence au grade vaincu. Toute sentence ainsi modifiée ou créé raconte l'issue du conflit. Ainsi, gérer sa fiche de personnage est indissociable de raconter la geste du personnage.

La fiction, donc.
J'ai joué Frère Auguste en solo pendant une demi heure puis Georges, le personnage de Géraldine a rejoint la geste et nous avons continué avec ces deux PJ pendant 2 heures et demie. Nous avons conclu l'histoire à ce terme. Georges était arrivé à 4 accomplis et Frère Auguste à 2 détruit, mais la conclusion se dessinait bien.

Pour vous raconter la fiction, je vais reprendre les feuilles de personnages en développant juste un tout petit peu. Je raconte d'abord l'histoire de Frère Auguste puis celle de Georges.

La fiction était très intéressante, je crois que Géraldine a apprécié. Il y avait plein de petites règles que je n'ai pas testées, j'ai aussi eu tendance à trop cadrer les conflits de Géraldine, bref à trop "faire le MJ". J'ai constaté que les conflits étaient quasiment toujours remportés par les joueurs. En moyenne, ils avaient souvent 5 à 6 dés pour les conflits parce qu'on écrivait des sentences très cohérentes entre elles (tournant autour de la foi, des miracles, des morts-vivants, de l'amour), c'est très facile d'avoir des 12, surtout avec les combinaisons. Il faut que je voie par d'autre playtests si cette abandance de réussite pose problème ou pas. ça encourage les joueurs à explorer une ligne directrice pour leur personnage, mais est-ce que cette facilité à réussir ne tue-t-elle pas le plaisir de joueur ? Je jouais à la fois le rôle de MJ et de PJ. Passer en mode sans MJ ne va-t-il pas aller contre le principe de Czege (on ne doit pas jouer son personnage et l'adversité en même temps) ? Je n'ai pas les réponses pour l'instant.

La geste de Frère Auguste :

Ma geste commence dans la forêt d'Aquitaine.
Je suis un moine pélerin en route vers St Jacques de Compostelle. J'avais trouvé un compagnon de route mais il a été tué lors d'une attaque de bandits de grands chemin. Sa tête a roulé à mes pieds, je me suis enfui en gardant sa tête comme la relique d'un martyre de Compostelle. J'ai rejoint d'autres pélerins. Ils m'ont humilié et frappé comme passage rituel pour intégrer leur communauté. j'ai décidé de me venger d'eux en devenant leur maître spirituel quitte à les conduire à leur perte. Je les ai persuadé que je serais leur guide contre la corruption. Mon visage tuméfié, mon discours illuminé, la tête de martyre que je brandis, les a convaincus de se ranger sous ma croix. Je les ai fait quitter la route pour éviter les bandits, nous nous sommes enfoncés dans la forêt. Nous avons trouvé une chapelle abandonnée. J'ai ouvert le tombeau d'un saint et j'ai touché son corps resté intact. L'âme du saint a alors pris possession de moi et j'ai su que je pourrais accomplir des miracles. Ivre de puissance, brandissant la tête du martyre, j'ai mené mes frères pélerins à l'assaut du camp des brigands. Les brigands ont massacré tous mes frères et m'ont fait prisonnier. J'ai été enfermé avec trois autres personnes. Line est une Corax, une femme en osmose avec les corbeaux. Le Docteur Aloysus, un savant fasciné par la corruption. Othello, un pauvre veuf en conflit avec ses désirs les plus noirs. [J'ai créé ces PJ que j'ai joué un temps avant que Géraldine rejoigne la geste. J'ai donc contrôlé quatre PJ pendant quelques temps]. Line nous a fait évader par je ne sais quel moyen. Lors de notre fuite, je remaque que Docteur Aloysus fait un détour dans une roulotte de brigands ou ils ont entreposé des livres maudits. Je le rattrappe et l'admoneste. Hormis la Bible, les livres sont mensongers et démoniaques. Je mets le feu à la roulotte et rattrappe mes compagnons, ivre de cet autodafé.

Nous arrivons à Rift, l'ancienne Bordeaux. La Gironde est un large fleuve chargé d'embarcations. La ville n'est que deux falaises creusées de maisons troglodytes penchées sur le fleuve. Nous demandons asile à l'Abbaye des Ursulines, qui accueille les pélerins. J'y rerouve Janice, j'ai été mariée par le passé avec elle, la mémoire me revient à présent. La guerre nous avait séparé et tous les deux nous étions rentré dans les ordres, de chagrin. Mon coeur bat la chamade, je la croyais morte et je la retrouve encore plus belle qu'avant. L'austérité et la tristesse l'ont rendu plus désirable que jamais. Je suis partagé car Line, la femme corbeau, me fascine également. Je crois que Line est une sainte.

Mais Othello, pauvre brebis égarée, remarque aussi Soeur Janice. Il vient la visiter dans sa cellule la nuit tombée. Il lui demande de lui accorder la rédemption, puis lui avoue son désir pour elle. Elle le repousse alors comme il ne peut lui faire l'amour il lui enfonce un couteau dans le ventre. Puis il l'enterre dans le jardin de l'Abbaye et s'enfuit.

Je cherche Soeur Janice et ne la trouve pas. Je comprends qu'il est arrivé quelque chose de grave. Je demande à Line de m'aider à la chercher. Nous découvrons un tas de terre retournée dans le jardin. Nous creuson et découvrons le corps ensanglanté de Janice. Son visage que le sang a déjà quitté est troublant de sérénité.

Je prends la main de Line pour appeler sa sainteté au secours. J'appuie ma main sur le front de Janice et la rappelle d'entre les morts. Un autre pélerin qui ne trouvait pas le sommeil nous a vus : il s'agit de Georges [le PJ de Géraldine, qui vient d'entrer dans la geste]. Je ne veux pas que les Ursulines apprennnent mon miracle. J'ai peur du bûcher et j'ai peur de perdre Janice à nouveau. Je convincs George que je suis un saint. N'ai-je pas fait ce que le Christ fit pour Lazare ? Si Georges le veut, je le guiderai vers Compostelle. Il accepte de devenir notre complice et fuit avec Line et moi. Nous volons une barque et partons sur la Gironde, quittant la ville de Rift et ses deux falaises illuminées de la fiévreuse activité humaine.

Au petit matin, alors que Georges tient la barre, nous entrons dans la partie la plus vaste de l'estuaire. Le brouillard bouche toute visibilité. Soudain, une galère de pirates apparaît devant nous. Déjà plusieurs sautent dans la barque. Georges en pousse un dans l'eau avec sa sagaie. Il ne remonte pas. Je dis à Georges de cesser cette violence. Je parle aux pirates et leur révèle que je suis l'envoyé du Christ et qu'ils seront mon vaisseau sacré pour Compostelle. Les pirates se rallient à ma croix et nous montons à bord de leur galère. Le capitaine pirate est un bonhomme hideux, sa barbe n'est que varech. Il m'insulte et blasphème, agite son bras crochu. Je lui demande de céder ses pouvoirs de capitaine à Georges. Le pirate refuse et sort un pistolet. "Pauvre fou, cette arme est démoniaque, tu blasphèmes". J'allume mon briquet en amadou et je le pose contre le canon de son pistolet. Le pistolet se couvre d'un feu sacré, le feu se communique au pirate. Il meurt en hurlant et se jette à l'eau. L'eau est hanté par les noyés qui se repaissent aussitôt de son corps.

Nous cabotons le long des côtes atlantiques. Je confectionne une robe blanche dans une voile de marine et j'allume des bougies sur le pont. Je demande à Georges, le nouveau capitaine, de me marier avec Janice. Nous quittons les ordres de fait mais une grande destinée d'amour et de foi nous attend. Avec Janice nous nous enfermons dans notre cabine et célébrons notre nuit de noces au rythme du roulis de l'océan.

Au matin, je suis reveillé par les rumeurs de la ville et par des odeurs du sud. Nous sommes déjà arrivé à Compostelle. Je comprends que les choses ne sont pas normales. A mes côtés, Janice est troublante de beauté mais commence à pourir. Elle réenfile sa robe de mariée à la hâte. Je monte sur le pont et vois qu'une Inquisitrice inspecte les navires un par un !
Je descends aux bancs des galériens et je découvre que des cadavres de noyés, immondes, boursouflés, ont ramé toute la nuit. Les pirates se sont réveillés à leurs côté et poussent des hurlements de terreur. Je les calme par quelques prières et leur ordonne de jeter les noyés à la mer.
Je retourne dans ma cabine et j'impose les mains sur Janice pour régénérer son corps. Par la grâce de Dieu, cela fonctionne mais la pourriture gagne mes mains. Je les enfouis sous ma chasuble.

L'Inquisitrice monte à bord et s'entretient avec Georges le capitaine. Georges vient me voir avec elle. Il me semble qu'il l'a séduit par quelque démoniaque magie. L'Inquisitrice ne me fait aucun reproche mais Georges annonce qu'il ne veut plus subir mon influence et que nos chemins se séparent.

Si près du but ! Je ne supporte pas cette humiliation supplémentaire, je ne supporte pas la trahison de Georges.

Accompagné de Janice et de Line, je prends en filature Georges et l'Inquisitrice à travers la ville cosmopolite de Compostelle, encombrée de pélerins à l'allure misérable et déchue. Ils dépassent la file d'attente des pélerins et pénètrent dans la majestueuse basilique de Compostelle érigée sur une pointe face à l'Océan. C'est un grand édifice de pierre, de vitraux, de coquillage, au toit fait de la charpente d'un bateau. La lumière coule dans ce lieu saint comme un baume. L'inquisitrice et Georges traversent la basilique et atteignent l'autel et l'évêque qui bénit les miséreux et guérit les impotents.

Je me rue vers Georges armé d'un couteau, je hurle ma déception en pleurant. Georges et moi échangeons des injures, évoquant les pactes passés, chacun trahi, chacun révélé aux oreilles des pélerins qui s'exclament de consternation.

La lumière des vitraux se pose sur Soeur Janice et dévoile sa pourriture. Elle pousse un seul cri et se décompose en un instant. Line sent que les choses se gâtent et m'abandonne.

Je lâche mon couteau. Georges et l'Inquisitrice me pardonnent. L'éveque les marie et me bénit. Il guérit mes mains.

Mais c'est trop tard. J'ai perdu la raison. Je répète sans cesse : "Compostelle... Compostelle... Compostelle...".


La geste de Georges :

Je suis un artisan qui a quitté sa boutique pour traverser la forêt et accomplir le pélérinage de Compostelle. Au terme d'un long et dangereux périple, je suis arrivé à Rift et j'ai trouvé asile chez les Ursulines. La nuit, ne trouvant pas le sommeil, j'arpente le jardin. Je découvre Line et Auguste qui déterrent le cadavre d'une nonne. Auguste ressuscite Janice. La morte se tourne alors vers moi. Elle me dit qu'elle aime Auguste mais que sa nature de morte la pousse à se vouer au mal. Elle tente de me posséder. Je porte sur moi une fiole contenant la sève d'un arbre qui a poussé sur une tombe, il me protège des morts et la tentative de possession échoue.

Je m'apprête à tout raconter aux Ursulines mais Auguste me dit de ne rien à faire. Son charisme me fascine. Il doit être un saint. J'accepte de tout lâcher pour le suivre sur la Gironde avec Line et Janice. Janice me dit qu'Othello l'a tué par concupiscence mais je ne le révèle pas à Auguste, ne sachant pas comment me servir de cette information. Je sais juste que désormais je peux parler aux morts en pensée et ça me fait peur et me fascine à la fois.

Quand les pirates sautent sur notre barque, j'entre en communication avec les cadavres des noyés qui sont au fond de l'eau. ils sont en colère contre les pirates qui les ont tué. Je leur offre un pirate en échange de leur protection.

Les choses s'arrangent pour moi, et grâce à Auguste je deviens même capitaine du bateau. Après quelques jours passé à me former, je mène les pirates vers une crique au nord des Pyrénnées. je ne veux pas qu'ils se nourissent en attaquant les autres bateaux qui cabotent, alors je les mène à la chasse. Dans la forêt, les morts me révèlent l'emplacement d'un cimetière de cervidés et nous pouvons nous repaître de deux carcasses de cerfs. Ils étaient peut-être un peu avancés car un pirate décédera de dysenterie.

Je pense que cette traversée de l'océan vers Compostelle ne devrait pas s'attarder. Alors je prie les noyés de m'aider à aller plus vite. La nuit quand les pirates dorment, ils montent dans la galère et rament à leur place. Au petit matin, nous sommes arrivés à la ville sainte.

Une Inquisitrice monte à bord mais Auguste a déjà escamoté les morts-vivants. Je séduis l'Inquisitrice et nous faisons l'amour dans le bateau. Ensuite je me sépare d'Auguste, je n'ai plus besoin de lui.

L'Inquisitrice me mène à la basilique. Auguste fait un scandale mais ça ne sert qu'à me faire passer pour un saint aux yeux des pélerins. Je me marie avec l'Inquisitrice et dans ma clémence je pardonne à Auguste.
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Re: [Millevaux / Inflorenza] Le pélérinage des morts

Message par Fabien | L'Alcyon » 26 Déc 2012, 16:00

Salut Thomas, merci pour ton rapport de partie !

J'aime beaucoup le titre "Inflorenza", qui correspond bien à l'esthétique forestière de Millevaux !

Est-ce que tu as des points précis sur lesquels tu aimerais qu'on t'aide à développer cette version-là ? Des questions ?
Je te propose mes questions et réflexions comme amorce:
  • lors du Tour d'un joueur, que font les autres joueurs ? ils jouent leurs personnages ? ont-ils d'autres responsabilités (dans ce sens-là) ? comment peuvent-ils faire appel aux règles ?
  • pourquoi est-ce au joueur d'imaginer son Conflit ? quand doit-il le faire dans son Tour ? Dans Les Cordes Sensibles, c'est un autre participant qui crée la scène autour d'un personnage, lorsque celui-ci va au-devant d'un conflit, de manière à ce qu'il fasse face à une adversité que son joueur n'a pas prévue, pour le déstabiliser et le remettre en cause ; comment cela s'est-il passé de ce point de vue-là dans ce test ?
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Re: [Millevaux / Inflorenza] Le pélérinage des morts

Message par Thomas Munier » 27 Déc 2012, 12:53

Bonjour Fabien et merci beaucoup pour tes remarques !

Je vais commencer à tenter de répondre à tes questions. Je te remercie parce que les questions me viennent peu à l'esprit naturellement. J'ai besoin que les autres me fassent des remarques ou que les playtests me révèlent des points problématiques. Ce sont de bonnes questions car elles abordent des points que je n'ai pas vraiment tranchés, ni à l'étape de la conception, ni à l'étape du playtest. Mais je réponds d'abord à la deuxième question puis à la première.

* Lors du Tour d'un joueur, les responsabilités dont tu parles sont partagées entre le joueur et le MJ. Tout est négocié entre les deux. (à tel point que peut-être la notion de MJ disparaîtra du sytème à l'avenir). Je suis sur un modèle "le joueur propose, le MJ dispose". Si le joueur est à court d'idée ou ne souhaite pas exercer de responsabilité, le MJ propose, le joueur amende la proposition, le MJ dispose. Le MJ doit avoir une bonne raison pour refuser la proposition du joueur. On s'écarte du modèle traditionnel où le joueur propose rarement le contenu de la fiction. A ta question "pourquoi ?", je te répondrai "parce c'est ce qui me paraît intéressant à faire".

Si je reprends point par point, lors d'un Conflit, les responsabilités évoquées dans l'article de Frédéric.
Qui décide de ce qui compose le monde ?
On part sur des références communes : Millevaux se base sur les ruines de l'Europe, tous les lieux de l'Europe sont susceptibles d'exister, à la sauce forestière post-apocalyptique. Les inflorescences (religion, égrégore, société) font l'objet d'une description qui doit être lue aux joueurs avant de joueur, posant les bases de l'univers. Exemple : religion : la foi à Millevaux est marquée par la résurgence des religions du Livre, par l'animisme et par l'apparition d'hérésies millénaristes. Quand j'explique la feuille de personnage, je donne en fait les références communes que vont manipuler les joueurs. Sur cette base, si un joueur crée, pour l'inflorescence Religion, la sentence suivante : "Je suis un pélerin qui se dirige vers Compostelle", il propose au MJ l'existence de Compostelle et la persistence du pélérinage vers ce lieu saint. Le MJ valide ou refuse.

Qui révèle l’intrigue?
En remportant un conflit, le joueur peut révéler l'intrigue. Ainsi, si j'interroge un prisionnier et que j'obtiens une réussite, je vais pouvoir modifier une de mes sentences pour y écrire la réponse du prisonnier. le joueur propose, le MJ valide. Si j'obtiens une complication, je peux en déduire que le suspect m'a dit un mensonge. Je vais modifier une de mes sentences pour y écrire le mensonge du prisonnier, que mon PJ croit être la vérité. Le joueur propose, le MJ valide. Si j'ai à la fois une réussite et une complication, j'ai pu obtenir une part de vérité et une part de mensonge.

Qui compose les situations ? De quelle manière ?
C'est le joueur qui annonce la situation à l'origine du conflit. C'est à lui de voir la part de détail qu'il décide et la part qu'il laisse à l'appréciation du MJ. Je joue le Moine, je décide que ma sentence "je suis en pélérinage vers Compostelle" va amorcer un conflit. Je peux m'arrêter là, ou continuer avec cette proposition : "le conflit intervient alors que je me dirige vers Compostelle", où détailler encore plus : "Nous faisons étape dans une auberge louche" ou "une troupe d'écorcheurs nous attaque". Je peux aller jusqu'à raconter ce qui se passe dans l'auberge, ou quelle trogne ont les écorcheurs. Et ainsi de suite, surenchérir dans les détails jusqu'à lancer les dés. A tout moment, je peux m'arrêter et laisser le MJ prendre le relais de la narration. Une fois que le MJ a pris le relais, je peux encore intervenir dans la narration en précisant que telle ou telle de mes sentences est impliquée. Mettons que le MJ annonce que les brigands se jettent sur moi. Pour impliquer ma sentence "je transporte la tête de mon compagnon mort en pélérinage", je décrète que mon personnage brandit la tête de son compagnon en récitant des évangiles pour impressionner les brigands. Ainsi de suite, jusqu'à ce que je n'ai plus de sentence à impliquer et que je lance les dés.

Qui détermine si une action échoue ou réussit ?
Le joueur et le MJ négocient ensemble l'enjeu du conflit. par exemple, sur une attaque de brigands, l'enjeu peut être : "mon personnage sort indemne de l'attaque de brigands". Si à l'issue du lancer de dés, j'obtiens au moins une réussite (un 12 ou une somme de dés donannt 12), je remporte l'enjeu du conflit. Si je n'en obtiens pas, mon personnage va être blessé ou capturé. On ne peut pas décider qu'il meurt, sauf si 3 sentences arrivent au grade détruit. Si j'obtiens un 12 (une réussite) et un 1 (une complication), j'ai un effet proche du "seulement si" du Polaris de Ben Lehman. Exemple si j'un ai 12 ou un 1 : je sors indemne de l'attaque parce que les brigands me prennent pour un saint mais tous mes compagnons (PNJ, l'issue d'un conflit ne peut tuer des PJ) se font tuer.

Pour résumé, le joueur et le MJ déterminent l'enjeu de l'action, les dés décident si l'action échoue et réussit. Il n'y a pas de notion de difficulté, l'adversité n'a pas de caractéristiques, le MJ ne lance pas de dés.

Qui raconte le résultat des actions
Le résultat des actions, c'est l'écriture d'une nouvelle sentence ou la réécriture d'une sentence. Le guide d'écriture, c'est le grade. Si j'obtiens une complication sur la sentence 8 qui est en grade héroïque, je dois réécrire la sentence 8 en la faisant passer en grade vaincu. Si je dois créer la sentence 3 à l'issue d'une complication, je crée la sentence 3 en grade vaincu. A partir de ce guide, le joueur propose une nouvelle sentence, le MJ la valide.

Quelles parties des PJ, des PNJ ou du monde, les autres ont-ils le droit de modifier ?
Si je n'ai pas tranché sur la question des autres des PJ, je pense en revanche que le joueur a le droit de modifier les PNJ ou le monde. Ainsi, dans mon playtest, Frère Auguste crée le conflit suivant : "un Inquisiteur arrive pour inspecter le navire. L'enjeu du conflit est le suivant : je veux empêcher l'inquisiteur de découvrir des morts-vivants dans le navire.". Frère Auguste remporte le conflit : il fait jeter les noyés à la mer et masque la décomposition de Soeur Janice. C'est ensuite le Tour de Georges. Il décide du conflit suivant : "L'inquisiteur veut m'interroger. L'enjeu du conflit est le suivant : je veux mettre l'inquisiteur de mon côté.". Georges remporte le conflit avec une réussite sur la sentence de chair. La joueuse de George trouve intéressant que George ait séduit charnellement l'inquisiteur. Mais cela impliquerait que Georges et l'inquisiteur soient homosexuels, ce qui l'incommode. Elle demande alors à ce que l'inquisiteur soit en fait une inquisitrice. En tant que MJ, je valide en disant qu'il s'agit d'une mère supérieure qui s'est vu allouer des fonctions d'ordinaire réservées à l'inquisition. Georges modifie ainsi sa sentence de chair : "j'ai fait l'amour avec l'inquisitrice dans ma cabine". Donc là, le joueur a carrément fait changer le sexe d'un PNJ !
Si on veut changer les parties d'un autres PJ (je n'ai pas encore testé), je suppose que le joueur concerné doit entrer dans la négociation.


* Lors du Tour d'un joueur, que font les autres joueurs ?

En premier lieu, ils interprètent leurs personnages. ça peut déjà modifier la nature du conflit. Par exemple, si Frère Auguste propose le conflit suivant : "des écorcheurs nous attaquent. Je veux m'en sortir indemne. " Si un autre PJ dit alors "nous ne fuirons pas et tuerons ces brigands !", Frère Auguste peut décider d'amender le conflit "des écorcheurs nous attaquent. Je veux que nous les tuions tous".

En second lieu, le joueur dont c'est le Tour, au lieu de faire un conflit contre une adversité extérieure, peut demander un conflit contre un autre joueur (et un seul). On parle de conflit duel. Ainsi, Frère Auguste demande le conflit suivant : "je veux persuader Georges de ne pas me dénoncer comme nécromant aux Ursulines et de me prendre la fuite avec moi". Alors je lance mes dés, et Georges lance aussi ses dés. Celui qui remporte le plus de réussites (si égalité, avantage au joueur qui a initié le conflit) remporte le conflit duel. Chacun modifie une ou des sentences en conséquence.

En troisième lieu, un joueur dont ce n'est pas le Tour peut challenger le joueur dont c'est le Tour. Exemple : "Nous sommes à la cour du Doge. Mercutio, mon personnage, veut persuader le Doge de donner la direction du quartier de San Marco à ma famille." Un autre joueur intervient. Son personnage, Adelante s'immisce dans la conversation avec le Doge pour défendre les intérêts de sa propre famille. Le conflit est modifié : "Nous Sommes à la cour du Doge. Mercutio, mon personnage veut persuader le Doge de donner la direction du quartier de San Marco à ma famille plutôt qu'à celle d'Adelante". Mercutio et Adelante lance leurs dés. Celui qui remporte le plus de réussites remporte le conflit duel (si égalité, avantage au joueur qui a initié le conflit duel, ici c'est Adelante) . Chacun modifie une ou des sentences en conséquence.

En quatrième lieu, un joueur peut apporter son aide dans un conflit. Supposons que le Cardinal Atorezzi, un autre PJ, décide de se joindre à la conversation pour prêter main-forte à Mercutio. Atorezzi ne va pas lancer de dés mais donner au joueur de Mercutio autant de dé qu'il a de sentences impliquées (exemple : "j'ai promis à Mercutio de l'aider en politique", "J'ai la confiance du Doge", "je déteste Adelante', etc...). Le joueur qui lance des dés peut appliquer ses complications au PJ qui l'a aidé : aider un joueur dans un conflit n'est pas sans risque.

En cas de conflit duel, tous les autres joueurs peuvent décider d'apporter leur aide. Pour éviter l'effet brouette de dés, la somme des dés jetés ne peut jamais dépasser 12. D'abord le joueur dont c'est le Tour pose ses dés. Ensuite le joueur en conflit contre lui. Ensuite les joueurs qui aident celui qui a initié le conflit duel apportent leurs dés. Puis les joueurs qui aident celui qui est provoqué en duel apportent leur dés.

En cinquième lieu, à l'issue d'un conflit, un joueur peut soigner le joueur dont c'est le Tour. Pour cela, il dégrade une de ses sentences pour lui permettre de regrader une des siennes. Exemple, supposons que le Doge ait confié le quartier de San Marco a Adelante. Atorezzi décide de soigner Mercutio. Il dégrade sa sentence de société ("j'ai perdu mon influence sur le Doge" et regrade la sentence de religion de Mercutio "le Cardinal m'a nommé Grand Inquisiteur".

En sixième lieu, le MJ ou un joueur peut transformer un conflit simple en conflit complexe. Tous les joueurs sont alors impliqués dans un même conflit, ils vont tous jeter les dés à tour de rôle. Exemple : les brigands attaquent les PJ. Conflit Complexe : l'enjeu du conflit est le même pour chaque PJ : sortir indemne de l'attaque. Dans les conflits complexes, il n'est pas possible de déclarer des conflits duels ou d'aider d'autres joueurs.
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Re: [Millevaux / Inflorenza] Le pélérinage des morts

Message par Fabien | L'Alcyon » 30 Déc 2012, 19:44

OK, ça semble bien tourner. Si ça t'intéresse, je serais quand même curieux de voir ce que donnerait le jeu avec quelqu'un d'autre qui fixe le conflit de la scène, ou qui met en place la scène, de manière à accentuer l'adversité.

Deux autres questions qui me viennent à l'esprit:
  • comment l'univers est-il « transmis » ? c'est-à-dire, comment quelqu'un qui ne connaît rien de l'univers peut-il se l'approprier, notamment ses codes sociaux, ses différents groupes humains et les possibilités (et interdictions) qu'il offre ? C'est une question que je me suis beaucoup posée en développant Monostatos parce que l'univers y est aussi dense et bien particulier. Dans un jdr traditionnel, c'est en général le meneur qui transmet l'univers aux joueurs ; dans des jdr à narration partagée, soit l'univers est axiomatisé (par exemple dans Prosopopée, il est résumé par le fait que c'est un univers dans le passé et sans nom propre, ce qui est essentiel pour son esthétique), soit il reste relativement simple et les participants peuvent y ajouter des éléments en cours de jeu (par exemple dans Bliss Stage de Ben Lehman, c'est un monde post-apo rempli de drones aliens, dans un lieu que connaissent bien les joueurs). Dans Monostatos, il y a une transmission de la part du meneur lorsqu'il décrit l'univers en début de partie lorsqu'il lit le lieu qu'il a créé, et les joueurs peuvent également s'emparer de l'univers via les descriptions pour gagner des points de Puissance. Comment cela se passe-t-il pour Inflorenza ?
  • est-ce que ce n'est pas trop lourd de tout le temps réécrire les phrases de son personnage ? en termes d'ergonomie, peut-être que tu pourrais utiliser un système de cartes ou de bouts de papier à ajouter ou à retrancher d'une sentence immuable ? bon c'est mineur, hein, mais je me posais la question en te lisant.
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Re: [Millevaux / Inflorenza] Le pélérinage des morts

Message par Thomas Munier » 30 Déc 2012, 21:53

Merci pour ton intérêt et tes suggestions, Fabien.

Lors du deuxième playtest (que je vais poster dans la foulée), la narration était négociée entre tous les joueurs, même si le joueur dont c'est le Tour avait le dernier mot.
Mais je peux essayer de faire comme tu dis, c'est-à-dire définir clairement qui cadre le conflit à chaque Tour, en laissant moins de contrôle au joueur dont c'est le Tour. Je pense que tu fais référence au principe de Czege (ce n'est pas intéressant de jouer son personnage et l'adversité en même temps). A la lumière du deuxième playtest, j'ai néanmoins le sentiment que les joueurs sont incités à se mettre en danger. J'ai notamment demandé à ce que l'enjeu d'un conflit soit la vie de mon personnage. Mais c'est vrai que si j'ai proposé cela, cela a été amené par une négociation de la narration, c"est un autre joueur qui a proposé que ma vie soit en danger (en suggérant que j'allais être condamé à la décapitation pour un crime plutot qu'emprisonné ou chassé).

Pour la transmission de l'univers, la feuille de personnage remplit en grande partie ce rôle puisque les 12 inflorescences (chair, égrégore, nature, folie...) sont censées être les 12 aspects de l'univers. Lors du briefing, on explique donc les bases de l'univers en même temps qu'on explique comment fonctionne la feuille de personnage : une synergie qui permet de gagner du temps. Lors de ce playtest, l'univers était très peu décrit. C'est en temps que MJ que j'ai introduit les lieux de Compostelle et de Rift dans la narration.
Lors du deuxième playtest, j'ai demandé aux joueurs dans quelle région ils voulaient jouer. Ils m'ont répondu la Russie, alors je leur ai lu le chapitre correspondant de l'Atlas de Millevaux (supplément à paraître. Je m'arrangerai pour qu'il paraisse avant Inflorenza). Ils ont utilisé les infos de ce chapitre pour créer la fiction et j'ai même repris tel quel un des personnages.

dans l'absolu, on peut se contenter de savoir que c'est l'Europe post-apocalyptique forestière, et connaître les 12 thèmes. Les joueurs créent leur propre Millevaux en cours de partie. C'est flagrant dans ce premier playtest : je n'avais jamais exploré Rift en détail auparavant et je n'avais même pas imaginé l'existence de Compostelle et du pélérinage.

Je peux prévoir à l'avenir d'écrire la description des 12 thèmes directement sur la feuille de persos. Et proposer une méthode de création commune de la région de jeu à partir des 12 thèmes.

Je ne trouve pas que l'écriture des phrases soit lourde. Tu écris les phrases en même temps que tu modèle la fiction, c'est très organique. Il n'y a pas énormément de conflits, une demi-douzaine par joueur au cours d'une séance, au plus. ça fait une douzaine de sentences à écrire. A côté de ça, ça t'affranchit de prendre des notes (puisque la feuille de personnage est la feuille de notes), tu as interdiction de rédiger un background à l'avance, et à la fin de la partie les sentences retracent ton historique. C'est très plaisant pour retracer de façon exacte le déroulé de la partie. Je m'en rends compte quand je rédige le compte-rendu : je n'ai jamais retranscris aussi fidèlement une partie. En jeu, j'ai trouvé ça vraiment léger. Rajouter des cartes ou du matériel ne ferait qu'alourdir à mon avis.
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Re: [Millevaux / Inflorenza] Le pélérinage des morts

Message par Fabien | L'Alcyon » 30 Déc 2012, 23:18

OK, ça marche, merci de ta réponse.
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Re: [Millevaux / Inflorenza] Le pélérinage des morts

Message par Frédéric » 24 Jan 2013, 15:22

Salut Thomas, excellent rapport de partie.
Content de voir naître un nouveau jeu ! Il a l'air bien avancé et prometteur !

1) Si j'ai bien compris, on commence toujours une scène sur un conflit. Le fait de commencer une scène sur un conflit me semble limiter le développement de l'histoire. Toute histoire, même les plus mouvementées, ont besoin d'une respiration : des phases calmes, posées, puis des phases de forte tension dramatique (voir ce CR sur Monostatos et ce sujet également). Les phases calmes permettent de découvrir le problème de la situation et en interagissant librement avec d'autres participants, de choisir comment l'appréhender (c'est à dire se positionner face à la situation). Mais aussi de présenter d'autres aspects du personnage que sa lutte contre ses adversaires.
Si on commence immédiatement un conflit, il sera artificiel et obligera le joueur à se battre pour un problème qu'il aurait peut-être voulu contourner, ou tenté d'arranger en discutant, etc.
De même, je pense qu'il est toujours dommageable à la qualité de l'histoire et du positionnement des joueurs d'imposer des conflits

2) Le principe de Czege : jouer un personnage et son adversité en même temps, c'est ennuyeux.
Ce qu'on appelle « jeux sans MJ » est trompeur. Il y a toujours quelqu'un qui va jouer l'adversité d'un ou de plusieurs autres. Ce peut être que chaque joueur alterne entre jouer son personnage et jouer l'adversité des autres, mais cela ne fonctionne vraiment bien que si les PJ ne sont pas un groupe soudé qui cherche à accomplir le même but (sans quoi on se retrouve à devoir tirer contre son propre camp, en tant que joueur, c'est assez faiblard).
Donc, pour pouvoir jouer de manière dynamique « sans MJ », il faut que les joueurs se partagent l'adversité à tour de rôle, contre les autres PJ.

Exemple : dans Les Cordes Sensibles, à chaque scène, un joueur est le Protagoniste. Le premier participant restant qui a une idée, cadre une scène pour le Protagoniste (il devient Metteur en scène) dans laquelle il amène un enjeu en relation avec le problème ou les traits du personnage. Puis il joue les personnages à la source de l'enjeu de la scène jusqu'à ce qu'on décide de la clore. Il peut y avoir un Conflit si les choses s'enveniment ou si un personnage veut obtenir quelque chose d'un autre, mais ce n'est pas du tout obligatoire, voire, dans les meilleures parties, il arrive que l'on joue longtemps avant de voir le moindre Conflit (voir ce CR de Christoph). Le Protagoniste n'a qu'à jouer son personnage en réaction à la situation, mais il décrit le décor autant que les autres joueurs une fois la scène cadrée.

Autre cas de figure : dans Monostatos, un joueur commence à raconter le début de sa scène et le MJ prend la parole pour intégrer de nouveaux éléments. Le MJ va intégrer de l'adversité, mais aussi des alliés. De cette manière, le joueur indique rapidement l'action qu'il veut mener à son terme et le MJ lui oppose des obstacles, ajoute parfois de l'eau à son moulin, lui donne du grain à moudre (pour poursuivre dans les métaphores meunières).
Un Conflit n'est jamais aussi stimulant pour un joueur que lorsqu'il est déclenché avec l'aval des deux participants en conflit et qu'il a de vraies bonnes raisons d'y participer.
Le conflit doit être une conséquence de l'évolution d'une situation, pas un but en soi.

3) Le partage des responsabilités m'a l'air très bon.

4) Le passage sur la sentence de la chair, avec séduction de l'inquisiteur me paraît problématique : j'ai le sentiment que la mécanique établissant les conséquences peut créer des incohérences avec la situation établie : a priori, si l'inquisiteur est un homme et que le joueur ne souhaite pas de relation homosexuelle, on ne devrait pas en déduire une modification de sentence de la chair.
C'est plutôt les événements du conflit qui devraient déterminer la nature des conséquences qu'il inflige. On peut l'estimer a posteriori, mais je me demande si ce n'est pas le fait d'établir le conflit a priori qui pose ce genre de paradoxes.

5) En passant, je trouve les étapes de « déchéance » des sentences plutôt intéressantes.

6)J'aime beaucoup l'histoire de la résurrection de Janice, frère Auguste est semblable à Orphée et son combat pour sa bien aimée a quelque chose de tragique et de touchant.

Attention, mes remarques 1) 2) et 4) n'empêchent pas le jeu de tourner, mais elles permettraient, je crois, au système général de devenir plus organique et moins mécanique.

Je suis désolé, je n'ai pas encore lu ton deuxième compte-rendu, je compte m'y mettre bientôt, mais j'avais commencé d'écrire ces réponses. Si les points que je soulève ne sont plus d'actualité, ignores-les.
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Re: [Millevaux / Inflorenza] Le pélérinage des morts

Message par Thomas Munier » 24 Jan 2013, 16:37

Merci Frédéric pour t'être penché sur ce jeu !

en effet, il y a eu pas mal d'évolutions depuis ce CR, mais je vais quand même répondre à tes questions, à l'aulne du système actuel (que j'estime en phase III : robuste).

1) Christoph m'a aussi mis en garde contre le syndrome orphelin du tout conflit. Maintenant, on peut jouer une instance sans conflit. Narration libre + lancer d'un dé pour connaître l'inflorescence + écriture d'une sentence inspirée de ce dé, racontant l'issue de la narration sans conflit. En plus, ça a résolu un autre problème de mon jeu donc c'est cool.

2) Principe de Czege. A l'heure actuelle, il n'y a plus du tout de MJ. Les joueurs peuvent donner des idées de narration et de conflits au joueur en instance, qui garde le dernier mot. En fait, l'adversité est fourni par les autres personnages. Le PVP est un gros moteur du jeu. Que ce soit du PVP frontal ou du PVP subtil avec un objectif commun mais une bataille pour les ressources (sentences) ou les honneurs (réussites). Quand tu crées un personnage, le système d'impose de lui définir un but ("vouloir" dans la première sentence) et un lien avec un autre personnage. ça articule la séance autour d'objectifs / macguffins / antagonistes communs. L'absence de MJ fait tourner les intrigues dans un vase clos character centered, ça exacerbe les relations entre PJ, ce qui nourrit l'adversité PvP. En fait, c'est une optique très jeu de plateau à l'allemande. (le fait que les sentences soient autant des ressources que des PV que des marqueurs de progression, je le tire vraiment du JDP à l'allemande)
Pour finir, le système dispose désormais d'une soupape de ressources/dés qu'il faut gérer et surtout tu risques de perdre des sentences à l'issue d'un conflit. Le système automatise alors la sensation de tension et de risque.
Je pense que ça suffit parce que j'arrive à jouer tout seul avec de bonnes sensations.

4) je reprends l'exemple. Géraldine établit que l'inquisiteur veut interroger son personnage (Georges) en tant que capitaine. C'est son conflit. Géraldine définit pour enjeu du conflit : "je parviens à détourner les soupçons de l'inquisiteur". Elle jette les dés et obtient une réussite en chair. Chair = santé, combat, sexe. Géraldine aurait pu dire qu'elle réussissait en frappant l'inquisiteur, en l'empoisonnant... ou en le séduisant. Elle trouvait intéressant de le séduire (jusqu'à présent, Georges n'avait agressé personne indirectement) mais ne voulait pas qu'il s'agisse d'une relation homosexuelle. On aurait pu admettre que le visage angélique de Georges trompait l'inquisiteur (ça reste cohérent avec la chair), mais on a trouvé plus intéressant de féminiser l'inquisiteur et d'amener les choses jusqu'à l'acte charnel. Le rôle des conflits et de la colorisation des conséquences par le tableau des inflorescences, c'est de fertiliser l'imaginaire. Faire naître des situations inattendues. Tu dis ce que tu veux réussir, le lancer de dés te dit si tu vas réussir et sous quelle forme. C'est d'ailleurs pour ça que je ne voudrais pas supprimer les dés. Les dés et les inflorescences apportent des contraintes stylistiques fertiles.

5) en fait, les sentences n'ont plus de grade. On commence à 1 sentence et on finit à 12. On peut perdre des sentences aussi bien qu'on peut en gagner. Si on retombe à 0 sentences, on ne peut plus jouer son personnage (il est mort, fou ou incapacité).

6) Cette histoire entre Frère Auguste et Janice est un pur produit du système. L'absence de compétence fait que tout est possible mais que rien n'est irréversible. Comme il n'y avait pas de compétence, j'ai pu déduire que Frère Auguste pouvait ressusciter Soeur Janice du moment qu'il le voulait. Le système le lui a permis autant qu'il lui en a ensuite fait payer le prix. Inflorenza est comme un supermarché narratif où les PJ entrent sans un sou en poche. Ils peuvent prendre tous les articles qu'ils désirent, en caisse on note ça sur leur ardoise. Mais un jour on revient leur demander le compte et comme ils n'ont toujours pas un sou en poche, les ennuis commencent.
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