Je me dis depuis quelque temps : "il faut que je teste une partie de Démiurges sans scénario".
J'ai réfléchi à comment éventuellement éviter d'être en "roue libre" en structurant la façon dont on allait démarrer la partie et ce que le MJ (moi) devrait faire pour faire avancer l'histoire.
Démarrage : le joueur choisit un objectif à atteindre
MJ : négocier les situations et dresser des obstacles entre l'objectif du PJ et lui.
Démiurges possède une structure assez classique et j'ai donc voulu tester avec son système qui offre une grande créativité aux joueurs, une partie dénuée de préparation, pensant que la grande part de créativité compenserait l'absence de préparation.
Romaric a été mon malheureux Cobaye...
Il a créé un arithmancien manipulant la foudre.
Il a créé plusieurs buts dont celui qu'on a choisi pour le playtest :
"Cherche à deviner l'avenir par la foudre".
Premier bug : cela n'est pas une faculté possible pour les arithmanciens, même à haut niveau, cela nécessite donc la pierre philosophale pour y parvenir... bon, je me dis : tentons quand même.
Je demande à Romaric ce que son personnage veut mettre en place pour y parvenir, il décide de filmer et photographier la foudre en 3d avec une équipe de photographes amateurs.
Là, on joue une réunion avec ces gars qui s'enlise en négociations, car l'un d'entre eux a peur que le PJ (président d'EDF) n'abuse d'eux pour des recherches à but industriel.
Néanmoins, le système de conflit par discussion fonctionne bien, car malgré le manque d'intérêt de celui-ci, il y a eu de la tension (électrique, haha).
Bon, ensuite, on joue la scène de l'orage, ok, tranquillou, on estime le niveau de réussite de l'entreprise pour la suite, puis Romaric décide de modéliser en 3d la foudre d'après les clichés et mets son personnel (d'EDF) à contribution. Il réunit aussi un maximum de journaux et de faits et met sa femme à contribution...
Et puis, j'ai décidé de monter une petite intrigue improvisée : espionnage industriel, le disque dur de son ordi au boulot a été volé la veille.
Enquête de police, entretiens du pdg avec une employée...
On a arrêté parce que je m'endormais assis... Bon, je n'avais pas assez dormi les nuits précédentes, et on était à la fin du séjour de Rom à Poitiers, donc ça n'aide pas. Je tenais le cap malgré tout, mais voici les deux leçons que j'en tire :
- J'ai adoré l'esprit de la partie, bien que les scènes molles, on aurait du les couper au montage (genre la négociation avec les photographes...), je veux donc conserver le principe de scènes que l'on pourrait jouer autour de l'objectif d'un personnage. L'aspect "savant fou" genre : je monte un projet improbable pour faire progresser la science par les moyens démiurgiques, j'ai trouvé ça excellent. Maintenant, ça aurait fonctionné avec de bonnes idées de ma part, qui n'ont pas vraiment été au rendez-vous...
- C'est intenable sans un minimum de scénario : il n'y a rien qui stimule narrativement la partie, car tout le système de résolution est basé sur une emprise sur la fiction (objets, énergies, esprit) et sur les capacités techniques des personnages (compétences). On en vient donc à jouer des scènes interminables et inutiles dont on ne sait pas où elles pourraient nous mener. Romaric a été brillant de par ses choix pour éprouver tous les défauts de la pratique. ;)
Plus précisément, voici des éléments qui freinent le jeu sans scénar avec ce système :
1 - Le joueur doit toujours s'arrêter aux intentions de ses personnages en attendant l'acquiescement du MJ ou du système, ce qui freine terriblement la narration.
2 - Les résolutions sont technicistes, mais c'est ce qui rend les pouvoirs intéressants (attention, Démiurges garde un système simplissime pour un jeu de son genre).
3 - Le MJ détenant une grosse part d'autorité sur la fiction, il se doit de garantir la crédibilité des faits et évènements et du contenu de la partie.
4 - Je note en plus que pour démarrer, le MJ devrait planter une scène avec pour seul contrainte : démarrer vers l'objectif du joueur, car les négociations entre Rom et moi donnaient lieu à des incertitudes concernant son autorité.
5 - Le MJ est le garant de la narration, du moins de la dynamique et de la structure narrative de la partie, donc sans un bon support, c'est très très sportif, surtout avec des thèmes aussi complexes que ceux de Démiurges !
Pour éviter que le jeu ne subisse trop la fatigue ou le manque de concentration du MJ et pour éviter qu'il ne devienne mou, un scénar est nécessaire.
Les scénars que j'ai prévu pour Démiurges, je les appelle "canevas", il s'agit de descriptions d'éléments de contenu (PNJ, lieux, indices etc.) qui sont liés entre eux par un schéma de lignes de tension dont le centre est : les PJ.
C'est une façon particulière de gérer les "bacs à sable".
En plus, le MJ peut facilement préparer un peu avant la partie des idées de scènes croustillantes autour des objectifs des PJ. Car c'est bien ça qui manque : sans scénar, il est extrêmement difficile de créer de l'intérêt en impro quand l'ensemble du système n'est pas noué dans une dynamique de stimulation de la croustillance !!!
Ce qui est drôle, c'est que c'est encore surprenant pour moi, alors que Psychodrame est le comble de la croustillance non scénarisée et je me rends compte de l'incroyable portée de la différence de dynamique entre un trait et une compétence...
L'intérêt du canevas est également de permettre aux joueurs de prendre toutes les tangentes qu'ils veulent, car le scénar peut les attendre autant de temps qu'il faudra et sera suffisamment malléable pour servir quoi qu'il advienne.
Je n'ai pas encore eu la chance de tester une partie qui mélange les deux, mais je pense que c'est ce que ce jeu peut offrir de mieux.
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Autre chose :
Je me heurte à un problème concernant les objectifs isolés pendant les parties : je sais qu'un jeu comme The Pool permet de gérer efficacement l'absence de "groupe" parmis les PJ, mais Démiurges met l'accent sur la complexité de la résolution des conflits et des épreuves (c'est ce qui est jouissif, car ça produit des moments intenses d'exploration et de créativité). Il arrive donc qu'un joueur seul passe plus de 30 min de temps de jeu à régler une discussion qui tourne mal. C'est passionnant à jouer, oui mais et les autres pendant ce temps ?
Je ne me vois pas interdire les objectifs isolés, mais comment faire pour éviter que les autres joueurs ne se fassent chier ?
Bien sûr, il est important de garder à l'esprit que les joueurs seront certainement partisans et qu'il est donc hors de question de leur faire jouer une partie de l'adversité...
Avez-vous des pistes ?
J'ai pensé à une idée de transmission sensorielle qui permettrait aux joueurs de communiquer et de conseiller leur pote, ce qui aurait l'avantage de rester dans le canon du Démiurges et sa démarche créative (idée de Phaerimm à l'origine dans un thread sur ce forum).
J'ai aussi pensé simplement à laisser les joueurs se donner des conseils et des idées même si les PJ ne sont pas ensemble... Mais ça n'a pas été hyper efficace.
Je m'inquiète aussi de la tournure potentielle des fins de campagnes où les PJ seraient tous en conflit les uns avec les autres, qu'ils ne se veraient plus que pour se foutre sur la gueule avec leurs pouvoirs de fous furieux... (encore que les choses devraient se régler d'autant plus vite que les pouvoirs seront énormes)...