Le 7 mars j'ai effectué le troisième test de mon jeu lovecraftien, dans le cadre de la convention « Oniris » à Neuchâtel, charmante ville Suisse. Vous pouvez télécharger les règles telles qu'utilisées pour suivre ce rapport, mais je tenterai de rendre la chose aussi indépendante que possible.
Ce qui a changé (pour ceux qui suivent les versions)
- Les dés permettant aux joueurs de procéder à des narrations surnaturelles sont désormais distribués plus lentement et en moins grand nombre.
- Ces dés n'ont plus vocation d'être lancés. On les donne plus loin, ce qui permet à un joueur de faire un Monologue en en dépensant.
- Les Monologues ne sont plus là pour quémander des dés bonus (qui n'existent donc plus), mais pour faire des monologues via son personnage et introduire des "coïncidences" affectant les autres PJ.
- Chaque personnage a désormais un ancrage, mais ceci n'a aucun effet mécanique.
- J'ai inversé l'échelle de la santé mental et appelé cela l'aliénation, pour voir ce que ça donne.
Les gens
Il y avait mon frère Michael, Sammy qui avait joué une fois à Zombeja! Ovella! avec moi il y a un peu plus d'une année, ainsi que Daniel (dont c'était la deuxième partie de JdR) et Jérôme, enseignant de physique (donc pas mon ami Jérôme qui apparaît régulièrement). Je ne connaissais pas ces deux derniers. Sammy joue régulièrement avec Jérôme.
La partie
La situation mystérieuse était la même que celle de la première partie. Michael jouait un météorologue (ancrage: livre de relevés météorologiques transmis de père en fils depuis plusieurs générations), Sammy un ancien responsable de la sécurité à Tchernobyl (vieux flingue), Jérôme un ingénieur nucléaire (calculatrice) et Daniel un historien un peu mystique sur les bords (pendentif égyptien en forme d'ankh).
Ces gens ont une toute autre façon de jouer que mon groupe habituel, celui-même qui est co-responsable de l'existence du jeu. Michael parvient à naviguer entre les styles, mais n'a pas une longue culture de notre façon de jouer extrême et n'a pas du tout tenté de tirer de ce côté.
Du coup, comme le jeu utilise les joueurs pour cadencer la partie, mon estimation de trois heures pour la durée de la partie est passée à six...
J'ai été nettement plus sollicité qu'avec mon groupe de tarés habituels. Bien sûr, la version actuelle des règles induit une progression plus lente du surnaturel, mais les joueurs ont clairement attendu d'être dans le temple souterrain avant d'utiliser le premier dé de surnaturel, alors que rien ne les empêchait de le faire plus tôt.
Les joueurs, en particulier Jérôme (qui a une grande expérience du JdR, peut-être même plus que moi), ont pris pas mal de temps pour découvrir où ils se trouvaient, qui étaient les gens, faire les excavations archéologiques, proposer des interprétations scientifiques pour le mystère que représentait justement ce site, etc.
Ça faisait longtemps que je n'ai plus dû improviser autant de détails et de descriptions, mais c'était très intéressant, et le principe même de la situation mystérieuse demandait à ce que les informations soient essentiellement incohérentes, plutôt que cohérentes!
Puis progressivement, ça a basculé. Les joueurs ont arrêté de me poser des questions sur le décor et ont commencé à prendre des dés pour faire des rêves et ainsi ancrer leurs propres interprétations dans le jeu.
Ils ont mis du temps à percuter sur l'histoire des enfants handicapés qui se faisaient kidnapper, alors j'ai utilisé des événements surnaturels pour les avertir du danger (l'effroi collectif de ces enfants a créée une sorte d'appel au secours semi-visionnaire). Grâce aux rêves déjà vécus, cela s'est bien enchaîné et j'ai repris un bon nombre d'éléments introduits par les joueurs pour définir la forme de ces événements surnaturels.
Une fois la situation majoritairement découverte et intégrée par les joueurs, ils ont commencé à prendre les choses en main, surtout Michael et Daniel.
On a eu pas mal d'hallucinations, juste pour ajouter une source de complication. Il a fallu expliquer quelques comportements absurdes aux militaires venus empêcher les études de l'église souterraine. L'historien s'est retrouvé avec deux balles dans la cuisse suite à une altercation, tandis que le météorologue se baladait dans l'île à faire des mesures de radioactivité (un moyen de pression pour obliger les militaires à collaborer). Michael a utilisé un d12 pour trouver un vieux tome expliquant comment invoquer la vieille bête décrite dans les bas-reliefs du temple.
Le rythme s'est accru, et j'ai déposé le dernier d20 dans le bol, tandis que je trouvais des occasions pour faire des scènes de « mythe » toujours plus drastiques.
Le personnage de Daniel, ayant reçu des premiers soins, une attelle et de la morphine, et ayant particulièrement souffert des visions cauchemardesques (~70% d'Aliénation), décide de ne pas laisser les militaires invoquer le monstre. Il demande au météorologue de pouvoir lire le livre et se prépare à invoquer le monstre à leur place, pour qu'il puisse le contrôler et éviter le pire (les visions avertissaient d'un plan impliquant des ogives nucléaires).
Pendant ce temps, énervés par les tracasseries militaires, les persos de Sammy et Jérôme décident de quitter l'île (une fuite au sens technique).
Ce choix leur permettra d'aider Daniel et Michael a quelques reprises.
En effet, ces deux larrons, s'étant vu interdit l'accès au temple pendant une semaine le temps que les « expériences » des militaires se terminent, décident de faire intrusion pour effectuer l'invocation.
Tandis que l'incantation débute, le météorologue est contraint d'abattre un certain nombre de militaires qui auraient autrement entravé le bon déroulement de leur entreprise (jets échoués sans l'aide des deux joueurs sans persos).
Le météorologue s'enfuit avec les enfants handicapés qui peuvent le suivre, tandis que l'historien attend l'arrivée du monstre... Il est à 103% d'Aliénation, Daniel raconte donc la fin de son personnage. La créature anthropomorphe arrive, et dévore quelques soldats avec sa grosse gueule au niveau du thorax, suite à quoi elle fait signe à son invocateur de la suivre dans le tunnel menant à la base militaire.
Je continue à partir de là: quelques jours plus tard, un détachement militaire d'une autre base arrive au port, et quelques jours après cela, tous les sous-marins sont déplacés, la base complètement démantelée et aucun soldat du contingent d'origine ne sera plus jamais vu.
Réflexions
Ça ne change pas grand chose de parler de Santé Mentale ou d'Aliénation pour l'instant.
Personne n'a fait de Monologue: trop compliqué? trop similaire aux dés à prendre dans le bol pour vraiment inciter les gens à prendre? Peut-être tout simplement que pour une première partie, c'était une option de trop.
L'ancrage n'a pas été repris tant que ça en cours de partie. Pas étonnant, car il n'y avait aucun point de règle qui y fait référence. Sammy s'est quand même servi de cela pour jouer l'obsession de son personnage, qui autrement n'avait pas grande raison de participer à la fouille au vu de sa profession. Probablement qu'il faut être plus strict dans la définition des types de persos que l'on peut créer en fonction de la situation mystérieuse.
La partie avait un aspect nettement plus posé et plus « défini » (non-flou) que les autres. J'impute cela à Jérôme en particulier, très méticuleux dans sa façon de jouer un scientifique désemparé par toutes les observations contredisant les théories archéologiques les mieux fondées, ainsi qu'à la progression plus lente du nombre de dés dans le bol. En effet, cela donne plus de poids au MJ dans un premier temps, qui ensuite peut transférer la responsabilité à des joueurs qui se sont déjà imprégnés de la couleur de la situation. Et ça évite d'avoir des invocations ou de la magie en pleine phase initiale de la partie...
Les règles actuelles ne donnent pas assez de mordant au MJ. Je vais changer un point ou l'autre, par exemple ajouter le nom de chaque PJ sur la liste du sort dès le début, ainsi qu'une mention mythe. Ceci permettra au MJ de foutre des coups de pied aux culs des PJ dès le début.
Développements potentiels
Il y a deux aspects que je dois prendre en compte pour le développement futur des règles: l'apprentissage et l'approche.
En effet, je peux considérer que mon groupe habituel connaît toutes ces combines de prendre la parole pour introduire du matériel dans l'espace imaginé partagé (la "fiction") et connaît nettement mieux la couleur du jeu, puisque c'est ce groupe qui a amené notre "pratique de JdR lovecraftienne" au stade où j'ai voulu en écrire un jeu. Donc eux ont nettement moins besoin d'apprendre à jouer à Innommable que n'importe quel autre groupe imaginable. En revanche, le groupe de cette partie a probablement été surchargé par le niveau de détail des règles.
Mes joueurs habituels ont également une moins grande exigence au niveau des détails fournis par le MJ pour poser la situation initiale et préfèrent foncer tête baissée vers la folie. Pour cela, donner plus de mordant au MJ sera une bonne chose pour mettre en mouvement les joueurs plus délicats et accélérer le rythme (bien que les joueurs peuvent toujours décider de temporiser et empêcher le MJ de faire la révélation d'une étape).
Je vais tenter de trouver un moyen de mêler les ancrages et les monologues, et ainsi faire d'une pierre deux coups. Toute réflexion pour amener plus d'humanité des personnages dans la partie est la bienvenue! Je veux cela pour mieux contraster avec la folie qui se développe et qui, s'il n'y a pas de point de référence, peut paraître un peu creuse.
Julien (aka Silver), propose de limiter l'option de fuite jusqu'à un certain stade la partie. C'est une remarque pertinente, car une fois qu'on est allé « trop loin », la seule issue est la mort ou la folie, dans le cas des nouvelles de Lovecraft du moins.
Sachant que le MJ a entre 3 et 5 étapes de la situation mystérieuse à révéler, on pourrait imaginer que dès que la dernière a été dévoilée, les PJ ne peuvent plus fuir.
Ça risque de faire quelques sales coups aux joueurs, car le MJ peut dans le fond révéler la dernière étape sans crier gare.
Cela rejoint une autre réflexion que j'ai eue, qui consiste à désamorcer le côté enquête inéluctable dans ce type de scénarisation. Comme chaque étape révélée implique X dés, j'hésite à demander aux MJ de déjà donner un premier dé quand ils évoquent un premier indice menant à la révélation de la prochaine étape. Ainsi, l'enquête devient clairement inintéressante du point de vue du joueur, car il suffit de suivre les « cailloux du petit Poucet ». De même cela donne un indice supplémentaire pour le joueur désirant jouer la fuite.
J'ai encore un tas de petits points à préciser, j'espère sortir une édition spéciale « Orc'Idée » d'ici à ce weekend!