J'ouvre un thread sur une difficulté que j'éprouve à ma table de jeu. Je ne peux pas donner un exemple de scène particulier, mais je donne quelques éléments de scènes vécues et liées entre elles par le thème de cette dificulté pour qu'on puisse rebondir sur ces éléments le cas échéant.
Il y a une cohérence dans les parties que nous jouons sur Toulouse avec mon groupe. Une cohérence puisqu'en effet, je suis le seul à maîtriser, ne jouant que lorsque je visite exceptionnellement une autre table, ce que je fais rarement, au final. Les joueurs ne maîtrisent pas, soit parce qu'ils ne s'en sentent pas capables, soit parce qu'il n'ont pas le temps, soit parce qu'ils pensent qu'ils ne seront pas à la hauteur vis-à-vis de ce que j'ai déjà proposé, soit qu'ils n'en n'ont pas envie. J'ai fini par faire mon deuil bien que je leur ai promis que je les forcerais un de ces quatre à jouer un jeu à narration partagée (j'ai récupéré à cet effet, tout récemment, "Mortal coil"). En revanche, j'attends d'eux un investissement évidemment émotionnel, mais aussi descriptif. Ils sont assez attentifs à ce que je propose, mais ne franchissent jamais le pas consistant à oser ajouter par eux-même un élément descriptif, voire même un élément de narration.
Je prends un exemple : nous jouons à Vampire, de longues parties en temps réel : 8 heures de nuit = huit heures de jeu, où nous jouons l'éveil des vampires, jusqu'à leurs déplacements. C'est typiquement un cadre où ils sont très libres, car le rythme est très lent. Avant qu'un pnj ne visite leur refuge pour déclencher des éléments scénaristiques ou qu'un des leurs n'arrive pour raconter ce qu'il a fait durant une interpartie et amener un ressort scénaristique à son tour, il leur est habituel de se souhaiter la bonne nuit, de dire qu'ils vont chasser, de parler à leurs serviteurs et leur donner des ordres, etc... Or, en des années de jeu, aucun d'eux n'a osé arriver au refuge avec un mortel puissamment dominé pour servir de compagnon sexuel ou de calice ou d'allié. Evidemment, ils auraient tôt fait de me dire : "ça ne va pas ? c'est dangereux ! il faut préserver notre mascarade ! et puis, les conséquences ?". Mais à la vérité, leur vraie raison est plutôt, pour autant que je suis lucide sur ce sujet, double : d'une part la crainte d'entrer en conflit avec mes propositions, et d'autre part, je le crois, une forme de paresse. Evidemment, certains psychologues parlant d'enfants disent que la paresse n'existe pas, et qu'il n'y a au fond que des enfants qui ne travaillent pas parce qu'ils ne voient pas l'intérêt. Aussi pourrais-je poser qu'ils ne le font pas, simplement parce qu'ils ne voient pas l'intérêt. Mais alors, comment puis-je les pousser à saisir cet intérêt ? L'un pourrait fort bien venir au refuge commun, un soir, et amener un animal, un nouveau compagnon dressé via son pouvoir d'animalisme. -t-il besoin de mon consentement pour conditionner une bête qu'il peut de facto soumettre à sa volonté ? L'un des joueurs l'a fait, mais il m'a demandé auparavant la permission !
Or, dans tous les jeux que nous pratiquons, ou presque, j'ai autorisé en plus les joueurs à utiliser leurs points d'héroisme/destin/expérience/whatever, pour acheter des éléments de contexte, avoir droit à un chandelier à porte de main pour se défendre, faire trébucher celui qui va prendre un taxi et le prendre à sa place, etc... Or, même avec cette proposition contractuelle, ils ne le font pas ! L'un d'eux s'est même demandé pourquoi sans parvenir à amener une réponse.
J'y vois une explication. Je joue des parties cinématographiques, comme je l'ai déjà dit. Je décrit les scènes comme au cinéma, allant jusqu'à décrire des travelling ou des mouvements de caméra. Je décris par exemple deux scènes de personnages à la table, et je passe de l'un à l'autre en disant que le "regard" ou la "caméra" circule d'une pièce à l'autre (procédé de décloisonnement des pièces qu'on utilise souvent au cinéma). Les joueurs en sont friands, car effectivement, cela donne des scènes "comme au cinéma" ou dans lesquelles "on s'y croirait", et c'est fécond pour la dynamique de la "filmique" de la fiction. Mais le souci, me dis-je, c'est que comme je prends en main ce canon formel, il se peut qu'à force ils se reposent dessus. Aucune intention de l'abandonner, ce serait nier mon style, et je n'entends pas maîtriser autrement. Mais j'ai besoin de diagnostiquer le problème, savoir si c'est cette forme qui les y pousse ou autre chose, et trouver un moyen technique qui permettrait d'encourager leur investissement. Je précise que je n'attends pas qu'ils deviennent des meneurs partiels, mais je souhaite que les joueurs sachent prendre les rênes de la fiction lorsqu'ils comprennent que cela ne bouleversera pas le scénario, sans que cela soit trop formel (je n'envisage pas de mettre un panneau sur l'écran avec marqué "là, vous pouvez ajouter quelque chose" ; s'il le faut, je le ferai, remarque, mais bon...).
Pour préciser ce que j'attends de ce thread : qu'on m'aide à identifier et cerner le problème, et qu'on me propose si possible des solutions de "métasystème", c'est à dire des éléments de contrat social ou de système technique qui puisse s'adapter à une bonne part des règles de jeu, comme des points d'héroïsme visant à acheter des éléments de narration. Je pense à une chose, au moment où j'écris ces lignes : donner à des joueurs des jetons qu'ils dépenseraient pour acheter le droit à faire aboyer un chien ou faire entrer une mouche dans une pièce ; des "points de narration" qui par leur côté tactile pourraient leur faire songer à les dépenser et qui ne serviraient qu'à cela, mais dont les conditions de donation auraient besoin d'être clarifiées, du coup... What else... ?