Créer une partie en surfant sur la vague de l'improvisation

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Créer une partie en surfant sur la vague de l'improvisation

Message par Meta » 23 Juil 2010, 22:13

Bon, alors je reviens sur ma proposition, et j'en choisis une qui me sera utile : la partie qu'on va jouer demain.

On joue dans Glorantha. Contrairement à d'autres jeux, je ne prépare quasiment pas les scénarii. Je ne fais que lire, lire, et lire encore des parties de la cinquantaine (si, si !) de bouquins que je possède sur Glorantha. Je décide de quelques mouvements de PNJs, je prends connaissance de deux ou trois lieux, je décide d'un thème, d'un enjeu, et de l'issue probable en laissant ouvertes les possibilités. Pourquoi faire ainsi ? Dans Glorantha, je ne peux pas improviser totalement pour deux raisons : d'abord je veux respecter le monde qui a une cohérence et une unité ; ensuite nous jouons dans une campagne, et celle-ci se développe selon un canevas imprécis mais clair, tendu vers un aboutissement : les personnages doivent devenir des Héros, ce qui signifie dans Glorantha, des Demi-dieux, au sens mythologique du terme : Persée tuant Méduse par exemple. Il faut imaginer que si je dois faire jouer le choc des titans, je ne décide donc pas de ce que dira tel dieu, tel roi, tel personnage, je ne dessine pas le plan du repaire de Méduse. Je sais simplement où est Méduse, j'ai une représentation mentale du lieu, du temps pour y parvenir, des difficultés pour le trouver, du fait que les joueurs devront tracter avec des sorcières pour avoir l'information. Je ne décide pas de ce qu'il faudra tracter avec ces sorcières, les joueurs devront proposer, et connaissant le background des sorcières, je déciderai des conséquences pour celles-ci.

Maintenant, je prends un exemple concret, une partie de Herowars jouée la semaine dernière, que je raconte ici. Les personnages doivent aller dans la Cité Machine pour trouver un artefact leur permettant de voler, ils l'ignorent, mais j'ai prévu qu'ils trouvent une sorte de mongolfière. J'ai la description de la cité machine 700 ans avant. J'ai lu en très rapide le bouquin. Je ne fais pas de plan,j'ai juste une idée vague de la cité elle-même, par contre, j'ai en tête une représentation de l'ambiance et du ton. J'ai décidé que le scénario commencerai sur une plage, à l'abri des regards de l'empire ennemi, en un lieu dangereux, mais en un sens sûr, devant une dune derrière laquelle se trouve une végétation luxuriante et un marais infesté de zombies, et dans lequel vit une sorcière millénaire. Ils avaient échoué sur cette plage par le passé. Le scénario commence lorsqu'ils arrivent sur la plage en longeant la côté à pier. L'enjeu est pour eux d'atteindre la cité machine ; il leur faut donc une embarcation, et doivent la construire en un mois. Dès lors, ils ont la lattitude : prendre des branchages, s'enfoncer dans le marais pour trouver d'anciennes épaves au risque de trouver des zombies, aller au culot voir la sorcière pour lui demander de l'aide. Les joueurs ont choisi de rester sur la plage, de trouver de petites carcasses et des arbres pour construire seul leur navire (il y a aussi 10 PNJs avec eux, leurs compagnons). Les joueurs ont un peu le choix de jouer les scènes qu'ils veulent, je fais des propositions, et eux aussi, on "improvise" en fait ce qu'on veut jouer. On se connaît bien, donc inutile de dire "tu veux jouer cette scène ci ou pas ?", cela se fait tout seul, au feeling. Quand je sens qu'un joueur n'a plus de matière, je dis "trois jours plus tard, vous rentrez du marais épuisé, et vous préparez un feu. Hop. Je leur donne l'occasion de s'entretenir sur leurs difficultés, de parler de leur périple passé, de leurs craintes quant à la cité, de leur aspirations et destin de héros. Dans les faits, on a joué le repas durant près d'une heure, les joueurs décrivaient la préparation et leurs discussions. Puis, un joueur a voulu tester un PNJ qui se revendiquait pourfendeur d'un ennemi. Il y a eu violence d'entraînement. Un autre s'est isolé avec un PNJ, un peu trop près du marais, j'ai alors improvisé quelque chose de logique : l'angoisse des bruits du marais, la présence des zombies, et j'ai utilisé ce qui me sert de support pour l'impro : mes playlists musicales préparées par thème pour investir en un clic une ambiance, des bruitages (bruits d'eau, d'oiseaux étranges, etc...). Il y a eu un écueil : l'ambiance se veut Héroïque façon Thésée/Achille, faire ce bateau, c'est un peu construire un Cheval de Troie. Mais deux joueurs se sont accroché via leurs personnages, et sont entrés dans un psychologisme qui ferait sens à Vampire ou Unknown armies, mais pas à Herowars : l'un a dit à l'autre "es-tu capable de t'excuser pour ce que tu as dit à cette personne ? " l'autre PJ a dit que non et s'est mis à bouder u bon quart d'heure (et le joueur aussi, un peu ; synesthésie, quand tu nous tiens...). Evidemment, cela ne serait pas arrivé avec un discours extrêmement cadré, une scène préparée dans ses moindres détails pour renforcer de toutes parts l'ambiance héroïque, mais en même temps, j'ai pu remarquer qu'en préparant à la lettre, on entre dans un récit tellement détaillé qu'il ne sert pas une fiction mythologique où tout doit au fond paraître un peu irréel, à la fois clair et imprécis comme le sont les mythes grecs (vous voyez ce que je veux dire ?). J'enchâine ensuite sur le bâteau prêt à partir, et je me dis qu'il faut décrire la traversée, ce que je fais. Les joueurs sentent un moment de latence et investissent le truc : décrivant leurs postures pendant le voyage, leur rapport à la mer et au bateau. Puis je décris trois jours après l'arrivée à la cité, une sorte d'île des morts. Je les laisse mijoter et décrire à nouveau leurs postures. Comme rien n'est écrit, je laisse monter la pression, joue sur la musique, mêle les descriptions aux réactions des personnages pour y trouver l'inspiration des éléments de mes descriptions. Puis, ils entrent dans la cité submergée. Je sais qu'il y a des gardiens. Mais quels gardiens ? Des Jolantis qu'auraient laissé jadis des Mostalis (sortes de nains). Banco, un Jolanti sortira des eaux, et à eux de trouver un moyen de s'en tirer. Surprenez moi, joueurs ! Pour les aider, je pose que le Jolanti haut de 100 m n'en veut qu'à l'embarcation ; ils doivent lutter contre une catastrophe et non contre une intelligence. On joue la scène, les personnages s'organisent, les joueurs jettent les dés , et moi aussi ; ils gèrent leurs compagnons (ils ont 3 PNJs chacun à gérer en terme de fiches). Les dés écident et orientent ma description comme les actions des personnages. Le postulat est le suivant, au fond : de la contingence jaillira l'inspiration comme le veut la pratique de l'art : créer l'accident, la catastrophe, pour que l'inconscient de chacun soit libéré de son contrôle rationnel et laisse parler son génie créatif. Soit dit en passant, c'est là la question de mon mémoire de Master 2 : ce que le hasard apporte à la création artistique, et en quoi l'accident contingent est une nécessité pour aboutir à une oeuvre réussie. Les joueurs ont aimé la scène, elle était intense, et à aucun moment ils n'ont senti que je voulais les mener quelque part, je n'avais pas décidé que le Jolanti devait en tuer ou s'en sortir ; de fait, le Jolanti ne pouvait pas être tué. L'enjeu était donc : "faites comme vous voulez, mais faites quelque chose, nous allons raconter comme vous vous êtes sorti de cette catastrophe". La fiction une fois achevée raconte donc comment les danseurs se sont sortis de la difficulté, comme une toile raconte comment le peintre a réussi à gérer le brouillage de peinture qu'il avait au départ lancée au hasard sur le tableau. Je ne raconte pas la fin, le reste est du même tonneau.

Ce que j'en retiens : dans un univers mythologique, ce qui compte, ce sont les postures, le ton de clarté, de symbolique et d'imprécision, imprécisin qui permet justement une résonance des actes et leur interprétation. Si on prépare tout à l'avance, on obtient de la précision, on risque des cassures, des points de contestation entre ce que prévoit le meneur et ce qu'envisagent les joueurs, de sorte que le scénario joué peut devenir une série de pliures qui sont plus adéquates dans un thriller psychologique. Un scénar mythologique doit être déroulé comme la trajectoire d'une flèche, il me semble, et l'improvisation tient dans le fait de laisser libre la manière de tirer et décocher la flèche, laisser libre le cours du vent et la résistance de la cible. Seul importe l'établissement préalable de point de départ, de la direction et du point d'arrivée.

je ne prétends aucunement que ce procédé est propre à une campagne mythologique. Je mène deux autres campagnes actuellement, une à Vampire et une à Blue Planet, et si Vampire fonctionne selon un tout autre mode, Blue Planet fonctionne, dans sa préparation, un peu comme Herowars. Je vais détailler un peu Blue Planet pour qu'on ait un point de comparaison sur des méthodes proches. Pour info : http://www.legrog.org/jeu.jsp?id=501

Blue Planet est un monde de SF réaliste, un des plus géniaux que j'aie jamais lus. On peut tout y faire : du western spaghetti, du ghost in the shell, du lovecraft-like, du predator-like, etc... bref, de l'aventure, de l'horreur comme de l'aventure. Je prépare une partie. Les personnages font partie d'une unité d'intervention de l'ONU. Le cadre : j'ai décidé qu'ils seraient en vacances. C'est un scénario court : 5-6 heures maxi qu'on joue en une soirée. Je m'inspire d'un scénario de la série animée et du manga "Cobra", l'épisode "Les belles errantes" : je reprends simplement un concept : l'idée d'une trentaine de femmes couvertes de bijoux coincées dans un courant froid à 30m de fond. L'idée me paraît belle, j'ai simplement l'image de ces femmes et des joueurs partant à la recherche de leur trésor, et découvrant ces belles errantes. Comment y arriver ? Qu'improviser ? Que préparer ? Et que laisser aux joueurs comme latitude ? Le scénario sera en quatre temps. Position du problème, mise en oeuvre des moyens, approche du dénouement, gestion du dénouement. Je prépare le début et décide qu'ils sont poussés en un lieu par un PNJ qui connaît l'histoire en jeu. Il la connaît ? Donc, il en a entendu parler ; elle est donc connue. Connue parce que ? Connue parce que ces femmes étaient les épouses d'un émir, et que le vaisseau de l'émir s'est écrasé en mer. Il était riche et couvrait ses femmes de bijoux. Le PNJ s'offre donc des vacances aventurières. Soit. Du coup, je pioche parmi la section de l'ONU et je choisis le PNJ qui correspond. Je ne décide de rien d'autre concernant ses motivations, peut-être les éléments joués éclaireront sa motivation profonde. Mais il lui faut des infos. Où les trouver ? Sur le lieu du début du scénar ? Mais alors, on entre dans de l'enquête, et je ne veux pas. Non, mieux : il a les infos, il lui manque un moyen. Il faudra monnayer le moyen. Mais pourquoi un moyen ? J'y suis : parce que les belles errantes se terrent en un lieu qui n'est pas accessible aisément. Pourquoi ? Je farfouille dans mes livres, et je trouve : une île de l'archipel principal est un no man's land où l'ONU n'a pas droit d'entrée. S'ils y vont comme ça, ils seront repérés. Il faut donc y aller incognito.Comment échapper aux radars ? En ayant une raison d'être là. Quelle raison ? Je lis : une course a lieu chaque année. Le PNJ entend profiter de cette course. Hop ! Ils vont dans le lieu de début pour trouver la personne qui leur fournira un catamaran. Que dois-je alors préparer ? Lire le lieu (une île casino et relaxation ; je vais pouvoir proposer une ambiance casino à la Cobra ou James Bond ou Cowboy Bebop, avec musique jazzy années 70) ; pour mettre en valeur le lieu, pas besoin de préparer les descriptions, la musique et les films suffiront à guider mon imagination et j'espère que les joueurs réagiront positivement. Mais il faut autre chose pour les motiver : ce sera une femme, la soeur d'une des belles errantes qui suit le type que le PNJ de l'ONU entend contacter avec lequel il veut s'allier ; elle cherche sa soeur, mais va se faire passer pour une prostituée de luxe qui s'amourache d'un personnage. Lequel ? Tout dépendra des joueurs et de leurs choix. Ensuite, je prépare la course ; je prépare quelques PNJs : le favori, le chasseur de prime qui cherche le vaisseau de l'émir, les hommes du parti politique de l'émir qui ont eu la même idée que les PJs et queles joueurs vont identifier de suite sinon ce ne serait pas drôle et on ne serait pas dans du "pulp années 70", quelques éléments basiques : des enfants qui mendient, un bar agité, etc... Puis, je prépare la course, l'ordre vraisemblable de marche, mais j'ignore comment les joueurs vont gérer l'ordre (faire la course ou volontairement être derniers pour facilement se détacher et aller sur le lieu dit). Enfin, l'agencement du lieu : des montagnes/rochers qui sortent de l'eau, un lieu isolé... mais je reste évasif à ce sujet : suivant le ton, le lieu sera plus ou moins glauque. Le ton sera donné par les joueurs.

On joue la partie. L'effet est immédiat. La musique de la BO de "Lupin the third"(= "Edgar détective cambrioleur") et de Cobra fait son office, mes descriptions sont en accord : la station thermale-casino (oui, pendant le scénario, c'est devenu aussi une station thermale au vu des réactions de mes joueurs, il fallait des femmes en maillot) est colorée, gavée de gadgets virtuels. Un joueur découvre sa chambre, s'assoit sur son lit lourdement et "fatigué" dit-il. Fatigué ? Je rebondis : un "djinn" façon aladdin sort d'une lampe, illusion d'optique, le djinn est une publicité. La soirée : c'est rapidement le délire : la musique fait "vraiment" son office. Les joueurs ont envie de déconner, de faire la fête comme leurs personnages. Ok. Je rebondis : cela ne sera donc pas une tractation à la James Bond, un peu tendue, mais un délire à la Cobra : le type qui a une embarcation et va faire la course, et qui est recherché et que le PNJ veut faire chanter avec la complicité des joueurs, est un gars malin mais pas glauque, un joueur est abordé par la soeur d'une des belles errantes. Il réagit bien ; je décide donc qu'elle va coucher avec lui, et je sais que le joueur est persuadé qu'elle veut le trésor (mais pas le personnage, que le joueur joue naïf). Comme il y a de l'ambiance, j'en rajoute : une petite vieille que les joueurs ont déjà croisée est là, façon personnage récurrent, qui n'a rien à faire là mais s'y trouve "parce que" nécessité de ton, et non logique du monde, oblige. La scène dure un peu. Devant une telle effervescence, une joueuse sent qu'elle doit se lâcher. Elle attend le PNJ du groupe alors que le PJ qui sort avec la soeur la raille sur le fait qu'elle doit être un peu frigide à le gronder de partir avec une prostituée. Elle attend le type dans la chambre et lui saute dessus (je passe les détails, c'était à la fois subtil et de bon ton). C'est la fin de la soirée ; mais c'est un ton "délirant", et je n'envisage pas un lendemain compliqué, ce n'est pas l'ambiance. Aussi, c'est décidé : ce fan de vinyles d'il y a deux siècles, qui a toujours le bon mot et adore les plans chasse au trésor durant ses vacances est gay. Désolé Caro ! Le lendemain, scène suivante, l'arrivée sur l'île de la course. Les joueurs sont libres. Ils décrivent leurs préparatifs, l'un choisit de se faire avoir par les gamins vendeurs de babioles, un autre retourne s'accoupler avec celle qu'il sait devoir les trahir, mais son personnage demeure naïf, un autre repère les difficultés (le chasseur de primes, l'équipe de secours de l'émir mort). Je passe les détails, mais je laisse les joueurs animer eux-mêmes leur investissement du lieu. Puis, dès que je sens qu'ils n'ont plus envie de créer des liens avec des PNJs ou l'endroit, je passe au lendemain, la course. Je pose que la soeur d'une des belles errantes a choisi de rejoindre amoureusement le favori (pour le tuer et lui piquer son bateau). Je vois que le trajet de celle-ci est plus calme, voire même plus tendu, stressant. Parfait ! Comme leur hystérie est retombée avec les préparatifs, je choisis de plomber l'ambiance avec le PNJ qui revient sur des événements étranges survenus sur la planète et dont ils ont été les témoins (la planète et ses océans renferme bien des secrets...). Le rapport mystique de l'homme à une nature qu'il ne connaît pas est un des thèmes principaux de Blue Planet. Le joueurs choisissent ensuite leur stratégie. Ils se mettent dans les derniers, et sortent de la course au bout de deux jours, dès qu'ils sont à proximité de l'îlot où se trouverait l'épave. Puisqu'ils sont suivis, je décris une ambiance à la Ennio Morricone (avec la musique qu'il faut), car les voilà suivis par la soeur, les hommes de l'émirat, et le chasseur de prime. Je passe les détails stratégiques et épiques, mais les joueurs discutent de la manière dont ils vont gérer leurs ennemis et leur approche du navire. ça part un peu en couille, comme dans tout bon western spaghetti, avec hésitations, violence soudaine, et soleil de plomb. Puis, la plongée. On entre dans le dernier moment du scénario ; l'ambiance devient lourde, comme lors de chaque plongée dans les eaux de la planète Poséidon. Ambiance errance dans l'inconnu à la Lovecraft, musique de Ligeti obligatoire. Les joueurs trouvent l'épave, plus de pilotes, pas d'émir, pas de bijoux, mais les senseurs révèlent la présence d'une trentaine de formes en déplacement. Là, je n'impose donc qu'un cadre, aucune action, ni réaction. Ils vont être confrontés à l'horreur, à l'absoluité de l'angoisse. L'enjeu est de savoir comment ils veulent le jouer, comment ils vont le gérer. C'est angoissant car ils font face à de l'illogique ; or, tout l'univers se veut réaliste et logique (hormis quelques délires esthétiques comme au début du scénario). Qui a donc placé ces femmes dans cette posture, bouche ouverte, errant dans un courant glacé sans décomposition ? Ils choisissent de rester dans le vaisseau coulé. Parfait, me dis-je, je vais donc décrire le passage progressif des belles en évoquant leurs têtes passant devant le hublot. Notez bien ce point : si j'avais préparé le scénario à la lettre, j'aurais sans doute prévu la manière dont ils découvraient le passage des belles, et j'aurais sans doute proposé une vision de haut de leur déambulation, je n'aurais pas eu l'idée, je crois de les voir passer devant ce hublot ; et pourtant, combien cela a fait flipper les joueurs !! Autrement dit, de la contingence a encore jailli une réactivité de ma part et de leur part, et cette contingence est une co-production d'un agencement global. Je passe sur la manière dont furent gérés les ennemis avant cette scène, comment ils trouvèrent la soeur médusée et suffocante de peur pour préparer cette rencontre finale avec l'étrange et l'angoissant. La scène suivante a été impliquée par les joueurs : ils n'ont plus rien à dire, ils sont médusés. Dès lors, l'épilogue est une scène de pensée, de contemplation angoissante en quittant l'inconnu. Vous vous souvenez de la dernière scène de "The Thing" ? Je mets la musique de Carpenter. Sur les tonnantes et sinistres basses de son synthé, de propose aux joueurs, sur leur bateau quittant les lieux, sans le moindre sou, de s'interroger, regardant la soeur plongée dans la catatonie, et de prononcer les derniers mots qui vont clore le scénario avant l'écran noir du générique.

Ce que je retiens : c'est que Blue Planet ne doit pas être scénarisé à la lettre non plus, tout comme Herowars. Et il ne faut pas non plus décrire à la lettre des scènes. On joue sur plusieurs journées ; le temps doit donc être relatif, et relatif aux décisions et propositions narratives des joueurs. Il faut un synopsis, connaître les moyens techniques du monde, la géographie de celui-ci, bien connaître ses joueurs (indispensable, ici) pour savoir si chaque proposition globale de scène fera sens dans le scénario grâce à leur type de réactivité attendue. Le danger, tel qu'il m'apparaît : si le meneur qui applique ces techniques n'est pas expérimenté, il risque je pense de grands dysfonctionnements : une mauvaise adaptation ou réaction, et le scénario peut basculer vers du n'importe quoi. Imaginons que je sois débutant, et que je me dise, tiens, je vais faire en sorte que les organisateurs de la course se rendent compte que les personnages ne sont pas des concurrents, que se passe-t-il ? Dans l'immédiat, cela peut faire une bonne scène ; mais nous sommes en format réaliste. Les organisateurs sont entourés d'autorités ; je peux ne plus pouvoir relâcher logiquement les personnages, et cela peut m'amener à faire des entorses à la logique du monde pour les mener malgré tout au "trésor". Un seul mot, du coup : le "bon sens". Et ce bon sens, le fait de toujours faire la bonne proposition, en tant que meneur, ne vient je crois qu'au bout de nombreuses années de pratique, en plus d'une parfaite conscience de ce qu'on veut produire et de ce qu'induit le monde.

Dernier exemple : Vampire. Je vais maintenant faire une comparaison avec une autre campagne, celle de Vampire-Requiem à Budapest en 2005. Là, je ne prépare pas mes scénarii la veuille en me fondant sur ce que je sais du monde. D'abord, j'ai moi-même créé la ville, et certains de ses agencements sont encore en développement. Mais d'autre part, chose fondamentale : nous jouons en temps réel. Qu'est-ce qu'implique le temps réel ? Que les joueurs ne peuvent souffler et se reposer sur le meneur qui dire "on zappe et on passe 3 jours.... hmmm non, disons 5 jours plus tard". Non. Là, chaque minute de jeu = chaque minute de vie des personnages, globalement. Si les joueurs disent "on va à telle boîte de nuit", je ne peux pas les laisser y aller s'il n'y a rien à y faire. Du coup, si je n'ai pas bien préparé mon scénario, ils peuvent se demander quoi faire et entreprendre une action que je ne peux leur refuser mais qui ne mènera à rien, et ce rien sera joué puisque le contrat implique du temps réel, et dès lors ce "rien" signifiera ennui. Vous rappelez-vous la partie de Vampire Londres que vous aviez commentée et que j'avais chroniquée ici, où les joueurs ne savaient comment débuter la partie parce que les propositions n'étaient pas claires ? Voilà donc ce qu'il faut éviter, et voilà donc pourquoi il faut préparer avec soin la partie. Mais cela ne veut pas dire prévoir ce que dira chaque PNJ ou quelles actions auront lieu. Je ne sais pas encore ce que présente Robin D Laws dans son supplément Cthulhu avec ses "Armitage files" que je n'ai pas encore lus ; mais j'imagine que j'utilise un mode d'improvisation/préparation semblable. En fait, à vampire, je "prépare activement mon improvisation". Qu'est-ce que cela veut dire ? Que je connais parfaitement mes PNJs, leurs intérêts, leur background. Que je connais les lieux de ma ville. Je sais lorsque débute le scénario qui se trouvera dans chaque lieu clef, et qui pourra aiguiller les personnages vers tel ou tel élément fondamental de l'histoire. Et à vampire, je travaille sur des modes d'exploration non linéaire. Ce n'est pas le système des "Masques de Nyarlathotep" où l'aspect non linéaire vient de ce que les personnages choisissent au final quel continent visiter en premier et quel PNJ visiter d'abord. En fait, l'enjeu, c'est de décider d'un final, et d'un départ, de faire graviter des éléments dans la ville que je maîtrise parfaitement, et les joueurs auront tout loisir de se repérer dans ces éléments, dans l'ordre qu'il leur semblera bon et de la manière qu'ils jugeront adéquate. Il ne s'agit pas d'enquête, mais d'exploration d'une réalité sociale et secrète, ainsi qu'une quête de leur passé, puisque dans cette campagne, les personnages fraîchement éveillés après des siècles de sommeil sont à moitié amnésiques.

Je m'en tiens là. Cela fait beaucoup de matière je crois. Je suis apte à revenir sur chacune de ces parties, ou des points que tu jugeras bon d'investir. J'ai moins développé Vampire à dessein, justement parce qu'il me faudrait des dizaines de pages pour en parler comme des deux autres jeux, et que je préfère pour vampire des questions orientées si tu en as, Fred.
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Re: Créer une partie en surfant sur la vague de l'improvisat

Message par Christoph » 27 Juil 2010, 13:14

Hello Axel

Malgré l'invitation de Frédéric à illustrer avec des exemples concrets, j'interviens pour faire de ton triptyque un fil à part entière, que l'on pourra considérer comme compagnon à Création au pied levé et préparation. Ce dernier fil ayant mis du temps à décoller, je pense que c'est une raison de plus de partir sur de nouvelles bases avec tes propres comptes rendus.
Vos expériences et conceptions théoriques étant fort différentes, je pense que ce sera plus aisé de voir développer deux fils, l'un dirigé par Fréd, l'autre par toi, et les lecteurs intéressés pourront tirer des comparaisons et des généralités de cette manière.

Ce n'est en aucun cas un blâme: dans ce contexte il n'était pas clair s'il fallait ou non ouvrir un nouveau fil, c'est donc une décision « éditoriale ».

Je t'invite à renommer complètement le fil (ou de me communiquer le nom que tu veux lui donner) et, si tu le veux, préciser ce que tu veux conserver du fil de Frédéric si le bouturage te semble avoir coupé le lien sur lequel tu comptais. Je prends un peu de temps pour réfléchir à ton rapport, que je trouve très intéressant.
Christoph
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Re: Créer une partie en surfant sur la vague de l'improvisat

Message par Meta » 27 Juil 2010, 18:58

Titre : "Créer une partie en surfant sur la vague de l'improvisation" ? ou un truc du genre. Je ne suis pas fétichiste des titres. Si cela ne te semble pas assez clair, modifie à ta convenance.

Du coup, je ne sais pas trop comment orientr le fil. Je n'ai pas de questions, personnellement, puisque ces parties étaient fonctionnelles par rapport à mes attentes, et que je faisais des distinctions de contexte pour montrer ce que l'impro implique dans des contextes différents et surtout des modes de jeux et des enjeux différents.

Donc, ce serait bien que des gens posent des questions ou que tu me proposes un champ d'orientation. Ou que Fred le fasse par rapport à la question qui le taraude.
Meta
 
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Re: Créer une partie en surfant sur la vague de l'improvisat

Message par Frédéric » 28 Juil 2010, 02:46

Si je comprends bien, la préparation détaillée de l'univers constitue en soi une aide à l'impro pour le MJ mais pour les joueurs, ça permet de cadrer l'esthétique de la partie.
Pour tes joueurs, qu'est-ce qui change fondamentalement en terme d'exploration
Ron Edwards a écrit :Exploration : The imagination of fictional events, established through communicating among one another. Exploration includes five Components: Character, Setting, Situation, System, and Color.
Dans ces trois parties ?
Penses-tu qu'il y ait des différences d'implication ou d'immersion liées à cette densité d'univers ?

J'apprécie la manière dont tu expliques la façon dont tes références en terme de fiction viennent s'insérer dans l'espace imaginé et partagé. Dans la partie de Blue Planet. Pour moi, ça résonne avec l'idée que le JDR fonctionne grâce à nos références fictionnelles communes (cf. Les Forges de la fiction d'Olivier Caïra, il cite je ne sais plus qui à ce propos).
Le principe de "contingence" que tu décris au sujet du hublot et des jeunes filles dans le courant glacé lors de la partie de Blue Planet me parle. Ça donne un bon exemple de l'importance de la participation de chacun, y compris dans une histoire scénarisée.
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Re: Créer une partie en surfant sur la vague de l'improvisat

Message par Meta » 28 Juil 2010, 12:46

Frédéric (Démiurge) a écrit :Si je comprends bien, la préparation détaillée de l'univers constitue en soi une aide à l'impro pour le MJ mais pour les joueurs, ça permet de cadrer l'esthétique de la partie.
Pour tes joueurs, qu'est-ce qui change fondamentalement en terme d'exploration
Ron Edwards a écrit :Exploration : The imagination of fictional events, established through communicating among one another. Exploration includes five Components: Character, Setting, Situation, System, and Color.
Dans ces trois parties ?
Penses-tu qu'il y ait des différences d'implication ou d'immersion liées à cette densité d'univers ?


En fait, les joueurs pourront d'autant plus improviser qu'ils connaîtront l'univers. La première partie, ils étaient plutôt discrets, en attente, tandis que dans la partie que je décris, certains prenaient les devants sur des relations avec les PNJs. Au fond, ils connaissent mieux l'univers et peuvent davantage improviser, "eux".

Maintenant, qu'est-ce que cela implique pour l'exploration des joueurs de préparer la partie de cette manière ? A mon sens, les joueurs doivent sentir que l'univers est mouvant et non rigidifié par un scénario. Même un scénario non linéaire est rigide, puisqu'il propose 3 ou 4 ou 5 options, mais enferme toujours les possibilités. Dans mes scénarii, il n'y a rarement plus de deux ou trois issues possibles (je dis issues, et pas option). Les joueurs sont libres de leurs attitudes, mais une scène doit advenir du moment que je l'ai préparée, car ce serait comme si le lecteur d'un roman choisissait de passer outre un chapitre : il peut ne pas être fondamental pour l'histoire, mais cela la gâche d'un point de vue esthétique ; si j'ai préparé une scène, c'est qu'elle fait sens dans le scénario. Dans les parties que je décris, l'enjeu n'est pas de savoir ce qu'il va se passer, mais comment les joueurs vont enrichir ce qui va se passer et comment ils vont le vivre ; il participent à la ligne générale, à la trame, et se concentre sur les implications pour leurs personnages. Du coup, l'univers est souple même s'il y a un arc souple mais ayant une direction assez claire, à suivre. Donc, je crois que c'est une question de "feeling", les joueurs sentent que l'univers est bien clair dans ma tête, et que je suis en mesure de répondre à leurs propositions. Mon souci, c'est qu'ils ne prennent pas assez l'initiative pour infléchir le sens des événements (cf. : http://www.silentdrift.net/forum/viewtopic.php?f=19&t=2143). Mais voilà, pour te répondre, je crois que c'est une "impression" qui se dégage, un sentiment, le sentiment que les choses ne sont pas figées bien que solidement pensées par mes soins. Je me dis que cette réponse n'est peut-être pas assez fournie et satisfaisante. Qu'en penses-tu ?
Meta
 
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Re: Créer une partie en surfant sur la vague de l'improvisat

Message par Frédéric » 28 Juil 2010, 13:43

C'est déjà utile. C'est une partie de ce qui m'interrogeait.

J'ai juste une difficulté à comprendre de quelles parties tu parles là :
La première partie, ils étaient plutôt discrets, en attente, tandis que dans la partie que je décris, certains prenaient les devants sur des relations avec les PNJs.
Frédéric
 
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Re: Créer une partie en surfant sur la vague de l'improvisat

Message par Meta » 28 Juil 2010, 14:00

Frédéric (Démiurge) a écrit :C'est déjà utile. C'est une partie de ce qui m'interrogeait.

J'ai juste une difficulté à comprendre de quelles parties tu parles là :
La première partie, ils étaient plutôt discrets, en attente, tandis que dans la partie que je décris, certains prenaient les devants sur des relations avec les PNJs.


Oui, je parlais de la première partie qu'on a joué à Blue Planet (non décrite ici). C'est vrai pour tous les jeux auxquels on joue : en découvrant, les joueurs sont plus méfiants, ou marchent un peu sur des oeufs, c'est tout à fait normal. La "partie que je décris", c'est la partie Blue Planet dont je fais le résumé.
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Re: Créer une partie en surfant sur la vague de l'improvisat

Message par Frédéric » 28 Juil 2010, 15:46

Ok, donc le fait de ne pas avoir un univers trop "fermé", aide les joueurs à être entreprenants ou créatifs quand ils commencent à bien le connaître ?

Ça ne paraît pas révolutionnaire, mais c'est important de le garder à l'esprit : j'ai joué une partie hier où j'ai bêtement oublié de briefer les joueurs sur certains aspects de l'univers , le résultat est qu'ils se sont retrouvés à plusieurs reprises à ne pas savoir comment faire ce qu'ils voulaient faire et à se trouver bloqués.
Je n'avais pas été suffisamment explicite notamment parce qu'il y avait la créatrice du jeu et un joueur qui avait déjà joué, donc j'avais pas jugé ça utile, sauf qu'on s'est rendus compte que je n'avais pas la même conception de l'univers qu'elle, donc j'ai écrit un scénar très ouvert et peu téléguidé puisque l'univers lui même était plus souple. Donc j'attendais d'eux qu'ils soient très entreprenants et très créatifs en conséquence, alors qu'ils avaient une représentation du-dit univers trop partielle pour savoir ce qu'il était possible de faire. ^^
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