Au coeur du JdR

Les archives des discussions théoriques.

Au coeur du JdR

Message par Antoine » 07 Fév 2007, 19:33

Bonjour,

Voici un article que j'ai écrit il y a peu sur ce que je pense être au coeur du jdr : la liberté de choix offerte aux joueurs.
http://imaginez.net.free.fr/jeu/jdr/auc ... rdujeu.htm
Puisse-t-il inspirer de longues et passionnantes discussions !

A+
Antoine.
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Message par phaerimm » 07 Fév 2007, 20:08

Ha c'est donc toi ! je connais. J'adore ton site.

Je poste autre chose que ces commentaires sympathiques mais ineptes dès que j'ai un peu plus de temps, promis.

=D
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Message par Frédéric » 08 Fév 2007, 02:32

Je crois avoir déjà lu cet essai. Dans mon souvenir, il était très bien écrit !
Je vais le relire sous peu. A première vue, il me semble que tu explores vraiment le JDR sous sa forme classique, ce qui pour moi est dommage... m'enfin, je t'en reparlerai après lecture.
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Message par phaerimm » 08 Fév 2007, 20:54

Suite à la lecture de ton texte, je décide de consacrer un peu de temps pour essayer d’aborder certains points avec toi (et avec ceux qui auront envie de discuter avec nous).

Je suppose que si tu as posté ici c’est justement pour ça.

C’est un texte assez sympa, ta démarche est plutôt plaisante et louable.
Je pense pouvoir dire que ton texte est une tentative de définition largement développée, qui se place à la fois dans la vulgarisation (rendre le texte compréhensible pour d’éventuels néophytes), dans la critique (recherche analytique de particularités spécifiques) et dans l’éthique (politique du mieux).

Ce qui fait la force de ton texte c’est son aspect consensuel et apologique.
C’est aussi ce qui fait sa faiblesse.

(En dehors du fait que tu devrais aérer un peu plus sa masse en allant à la ligne et en laissant des espaces, moi je m’en fout un peu mais beaucoup de lecteurs sont allergiques aux gros blocs ; et tu as laissé quelques petites fautes d’orthographe)

Au final, critique et éthique se perdent un peu dans la description des différents aspects de la définition.
Ce qui à pour effet de les noyer.
Ce qui reviens à la fois à les cacher et à les faire passer plus facilement.

Certaines affirmations, si on les résumes, apparaissent comme assez engagées, donc discutables.
(Ce qui ne signifie pas que j’ai simplement relevé mes points de désaccord. Au contraire, certaines affirmations me plaisent au plus haut point, et je serais prêt à militer pour elles.)

Soit ton texte ne va pas assez loin, soit il s’engage trop.
Tu veux que tout le monde s’y reconnaisse, ou tu milites pour des idées ?
Tes intuitions sont pertinentes, mais tu ne cites aucune référence, aucun auteur.
J’en déduis donc que tu as fait tout ça tout seul, empiriquement, ou que tu préfères ne pas citer ce qui a pu t’aider à structurer ta pensée.

Comme je ne pense pas que tu souhaites réellement te cantonner à une banale grosse définition consensuelle des JdR, on va faire le tour de ce que j’ai pu relever de significatif.

Ensuite, sujet par sujet nous pourront essayer d’avancer.

Liste des principaux sujets de controverse relevés par Phaerimm.

-Le choix comme caractéristique centrale et distinctive.
-La règle comme élément subsidiaire à la liberté.
-La victoire comme objectif peu signifiant.
-La distanciation émotionnelle et identitaire.
-La « représentation », définition et importance.
-La sociabilité comme règle implicite, voire paradigme.

Bien sûr il existe d’autres sujets intéressants à aborder, mais soit leur traitement me convenait tout à fait, soit leur aspect controversé ne m’intéresse pas assez pour que je les relève.

Je te laisse choisir un sujet si tu as envie.
Ils auraient tous besoin au moins de quelques clarifications ou précisions.
Ou d’un livre entier.
Selon les cas je serais moi même plus ou moins engagé ou documenté (qualifié).
Ma proposition n’est pas tant de te corriger que de faire simplement avancer nos idées.

Note : Les deux premiers sujets sont indissociables.

Sinon j’aurais certainement des absences, mais on n’est pas pressés.

Sur ce forum, sur un autre, ou par mail…
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Message par Christoph » 09 Fév 2007, 01:25

Je pense que tu trouveras matière à faire sur ce forum, d'après ta position prise dans le texte!

Je pense que tu as vu juste quand tu pose la question des choix comme élément fondamental du jeu de rôle. Ce n'est de loin pas trivial et je trouve que c'est une excellente problématique pour poser la base d'un tel texte.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec tous les développements, mais d'autres m'ont fait sourire de complicité.

On dirait que Phaerimm est sur une piste similaire à la mienne, je vais donc principalement laisser la discussion à vous deux pour l'instant et suivre passivement.
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Message par Antoine » 13 Fév 2007, 15:35

Hello,

Merci de votre intérêt. Ce texte est effectivement, au sens propre, une "soutenance de thèse", la thèse en question étant que l'élément qui définit le "jeu de rôle" est sa façon de traiter "la prise de décision". Je reconnaît bien volontiers que beaucuop d'élément du texte partent en vrille. Dieu sait que c'est difficile de couper les parties inutiles dans son propre texte, lui qui a écrit la bible. Ca sera sûrement un exercice intéressant quand ma réflexion se sera étoffée.

Ce texte découle d'une question très simple : "Pourquoi aime-je jouer au Jdr ?" et pas aux échecs, au Monopoly, au Trivial Pursuit au football ou à World of Warcraft. Non pas que je ne joue qu'au JdR, mais quand même, c'est pas pareil. Ajoutez à cela ma croyance dogmatique dans le Jeu de rôle comme "nouvelle forme de jeu", il fallait bien, ne serait-ce que pour mon équilibre psychique personnel, que ça vienne d'une caractéristique propre au JdR.
Les définitions actuelles étant pour moi plus des "descriptions des pratiques tournant autour de l'activité appelée Jeu de rôle" que des définitions discriminantes, je me devais d'étudier le problème.

Enfin, pour répondre à Phaerimm, mes sources sont diverses et variées: en tant que traducteur de PTGPTB, j'ai vu passser pas mal de textes, mais je suis ingrat et j'oublie les noms des auteurs. Quand même, j'aime bien Greg Costykyan et mon concepteur de jeu préféré est John Tynes.

Trève de blabla. :-°

Le choix comme caractéristique centrale et distinctive.


C'est tout le cœur du problème. La possibilité de faire des choix et d'en explorer les conséquences est naturellement rendu possible par l'aspect interactif du jeu (par opposition au spectacle, où il y a une dichotomie forte entre acteurs et spectateurs).
Toutefois, je me permets d'aller plus loin en clamant que seul le jeu "de rôle " place ces décisions au centre de sa problématique. Ou encore: "Jouer au jeu de rôle", c'est mettre au centre des priorités les décisions des joueurs.

Tous les jeux de stratégie "souffrent" du biais des conditions de victoire. Celles-ci, en fixant un but au jeu, orientent toutes les décisions de joueurs vers ce but. C'est la capacité du joueur de discriminer entre les bonnes et mauvaises décisions qui est jugée. On pourra arguer qu'il est toujours possible de choisir entre plusieurs décisions celle qui sera "la plus sûre", ou la plus risquée", ou "la plus rapide". Mais l'optique reste celle de l'efficacité vis-à-vis de la réussite et de tels choix tiennent plus de l'exercice de style que du principe du jeu lui-même. En pratique, tout joueur qui ne joue pas pour gagner va à l'encontre du jeu lui-même. Tous les joueurs de poker vous diront que les parties sans enjeu financier n'ont absolument pas la même qualité que les parties avec enjeu. Si un joueur ne suis plus le but commun, il devient imprévisible. S'il est imprévisible, toute réflexion quant à son comportement est inutile toute stratégie est caduque. Le jeu tombe à l'eau.

Notons que les conditions de victoires peuvent être implicites. Dans D&D, les récompenses des joueurs sont gagnées en surmontant les obstacles. On attend donc bien du joueur qu'il "gagne", et donc qu'il emploie la meilleure stratégie pour y parvenir. Selon moi (sans jugement de valeur), cette approche relève du jeu « de stratégie » et non du jeu « de rôle ». Non pas qu'une approche stratégique soit exclue, mais elle se fait, dans une jeu "de rôle" selon le point de vue du personnage ("Mon personnage veut surmonter un obstacle. Quelle est la meilleure solution qu’il envisage pour cela ?"), et non du joueur. Sinon, où serait la différence entre un wargame où un joueur contrôle une armée et un jeu où il ne contrôle qu’un seul personnage ?
Selon moi, le Ludisme du LNS n’a simplement aucun sens dans le cadre d’un jeu de rôle « idéal ». Je reconnais bien volontiers que c’est un aspect important de la pratique des joueurs mais pas un élément de définition distinctif. Au contraire, il entretient la confusion d’origine historique entre le wargame et le JdR.

Ce faisant, je me rends bien compte que ce que j'appelle "jeu de rôle" est bien loin de la pratique effective de ce qu'on appelle "jeu de rôle". J‘explique cette différence par le fait qu’il y a confusion entre le « jeu de rôle » et le « jouet de rôle ».

Quand on parle de jeux sans condition de victoire, on pense à des formes de jeux de construction du type Lego, ou encore des jeux de gestion comme Sim City. C’est ce que fait Greg Costikyan (ici : http://ptgptb.free.fr/costik/nowords.htm ) quand il différencie les « jouets » des « jeux » qui impliquent des règles et des conditions de victoire. On peut ainsi à partir d’un même jouet faire plusieurs jeux différents en fonction des règles qui régissent le comportement des joueurs.
Pour faciliter la lecture, voici le paragraphe de GC concernant les jeux :

Selon Will Wright [auteur de Sim city] , son Sim City n’est pas du tout un jeu, mais un jouet. Wright propose, pour nous éclairer, la comparaison avec une balle : elle offre plein de comportements intéressants, que vous pouvez explorer. Vous pouvez la faire rebondir, la faire tourner, la lancer, dribler avec. Et, si vous le voulez, vous pouvez l’utiliser dans un jeu : foot, basket-ball, ou ce que vous voulez. Mais le jeu n’est pas intrinsèque au jouet ; il est un ensemble d’objectifs définis par des joueurs et surimposé au jouet.

Tout comme Sim City. Comme beaucoup de jeux d’ordinateur, il crée un monde que le joueur peut manipuler, mais à l’inverse d’un vrai jeu, il ne fournit pas d’objectifs. Bien sûr, vous pouvez en choisir un : essayer de construire une ville sans quartier pauvres, peut-être. Mais Sim City en lui-même n’a pas de conditions de victoires, pas d’objectifs. C’est un « logiciel-jouet ».

Un jouet est interactif. Mais un jeu a des objectifs.


On peut faire un parallèle extrêmement intéressant avec le jeu de rôle. En effet, supposons l’ensemble des règles de simulation d’un JdR et la description de l’univers de jeu. Si je mets de côté les références directe au comportement du joueur durant la partie, j’obtiens un ensemble (plus ou moins) cohérent d’éléments qui présentent le monde et ses habitants et les mécanismes qui régissent leurs interactions (interactions personnages-personnages et personnages-environnement). Cet ensemble, qui n’a pas besoin de joueurs pour exister, n’est pas très différent d’une boîte de Legos à assembler, avec des exemples de scènes prêtes à monter. C’est en réalité une sorte de… « Jouet de rôle » !
Ce qui le transforme en jeu, ce sont les objectifs des joueurs et les règles qu’ils s’imposent. Je m’oppose ici à Costikyan qui dit que les objectifs du JdR viennent des motivations des personnages. Un paquet de cartes devient un jeu de cartes non pas à cause des objectifs des cartes, mais à cause des objectifs des joueurs ! Un jouet de rôle devient jeu de rôle parce que les objectifs des joueurs sont d'interpréter un personnage.
Si ces objectifs sont de nature stratégique alors on en fait un jeu de stratégie. Si les joueurs ont pour objectif d’interpréter les personnages alors on en fait effectivement un jeu de rôle. On peut imaginer utiliser ce jouet de rôle pour raconter des histoires. On aura alors encore autre chose (un jeu de narration ?).
De fait, je distingue alors deux types de règles :
- les mécanismes de simulation qui régissent les éléments du monde fictif, sans faire explicitement référence aux joueurs.
- les règles du jeu à proprement parler, qui fixent les objectifs des joueurs et les interactions entre joueurs. Ce sont elles qui font qu’un jeu est un jeu de rôle ou autre chose. Notons que ces règles peuvent permettre aux joueurs d’intervenir directement sur l’univers de jeu (cas des « points de Destin » par exemple).
Ces deux ensembles ne sont pas forcément indépendants. Les mécanismes de simulation sont, dans l’idéal, censés couvrir l’ensemble des événements qui peuvent se dérouler lors d’une partie. En pratique, on peut mettre l’accent sur tel ou tel aspects, pour favoriser tel ou tel objectifs. Toutefois, ce sont selon moi les objectifs des joueurs (les vraies règles du jeu) qui vont fixer la nature du jeu et si ce jeu est de rôle ou pas.

Comment, alors que l'on se fixe pour objectif d'étudier les tenants et aboutissants des décisions des joueurs, fixer des conditions de victoire ? Ou alors en établissant des critères moraux ??? Personnellement, je m'en garderais bien. De fait, les « conditions de victoire », telles qu’on les entend dans les jeux classiques fixent les objectifs des joueurs sans ambiguïté vers la victoire (d’où le nom) et donc vers l’optimisation stratégique, ce qui en fait donc un jeu de stratégie.

On peut alors se poser la question : « comment fixer les (vraies) règles de façon à mettre en valeur l’objectif « Rôle » » ou même encore « Quels sont tous les objectifs que l’on peut se fixer en ayant en main un jouet de rôle ? »

To be continued...

Antoine.
PS : d’aucun auront remarqué que ma pensée a sensiblement évolué par rapport à mon texte de base. Je vous prie de bien vouloir m'en excuser, mais ça va continuer !!!
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Message par Christoph » 15 Fév 2007, 15:53

Ne t'excuses pas de changer d'avis! C'est tout à fait normal. Tant que tu nous en avertis clairement, comme tu le fais, y a aucun souci. Je dirais même que ça peut être très intéressant de voir le cheminement qui se fait.

Je trouve ta réflexion très intéressante, mais je suis biaisé: je trouve qu'elle ressemble à celle de Ron Edwards, si on change les termes. (Venant de moi, c'est à prendre comme un compliment!)

Ce que tu appelles "jouet de rôle", il l'appelle Exploration (ou tout simplement, il reprend aussi volontiers le terme historique... "jeu de rôle", plutôt que de se mettre les trois-quarts des joueurs sur le dos).
Là où tu appelles D&D un jeu de stratégie, il parle de Ludisme.
Ensuite, dans les deux autres formes que tu distingues, on retrouve le Narrativisme et le Simulationnisme, mais je ne suis pas très sûr lequel est lequel chez toi ou si ce sont des combinaisons particulières (peu importe pour le moment de toute façon).

Ron distinguerait Warhammer Battle réduit à deux trois figurines de Donjon et Dragon principalement par le fait que dans Warhammer Battle, il n'y a pas à proprement parler, d'espace imaginaire partagé. Les joueurs s'informent de l'emploi judicieux des règles purement par les règles elles-mêmes et les paramètres sur le plateau (distances, ligne de vue, etc.).
Dans un jeu de rôle, c'est l'imaginaire qui informe l'utilisation des règles, et est donc ouvert à des possibilités extrêmement vastes. Même dans D&D, l'histoire joue un rôle.

Dans les faits, je suis d'accord que certains jouent à Warhammer Battle comme à un jeu de rôle et certains jouent sûrement à D&D comme à un jeu de plateau, prêts à négliger l'espace imaginaire pour purement appliquer les règles et les conditions de victoire.


Bref, tout cela pour dire que je suis entièrement d'accord avec l'histoire du "support imaginaire" qui peut servir à des objectifs différents, caractérisés par le type de prise de décisions qui est mis en priorité.


Après, on peut dire qu'on préfère certaines formes à d'autres, mais je ne pense pas que cela serve qui que ce soit de dire que D&D n'est pas du jeu de rôle.


Bon, assez digressé, j'attends sagement la suite et les réflexions de Phaerimm.
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Message par phaerimm » 19 Fév 2007, 18:34

Le jeu comme symbole du monde.

Lucien Goldmann, dans « Pour une sociologie du roman » suggère que le héro romanesque (et le roman lui-même) effectue une recherche dégradée des « valeurs véritables » qui organisent le monde.
Une oeuvre littéraire est l'expression d'une vision du monde, qui est toujours le fruit d'un groupe d'individu et jamais d'un individu seul.
Et il ajoute : "toute création culturelle est à la fois un phénomène individuel et social et s'insère dans les structures constituées par la personnalité du créateur et le groupe social dans lequel ont été élaborés les catégories mentales qui la structurent".
(Cherchez sur le net pour plus d’infos sur l’auteur et ses théories).

J’avancerais avec lui qu’un jeu de rôle pose un monde imaginaire dans lequel certaines valeurs existent et que le jeu va consister en majeure partie à identifier et rechercher ces valeurs.

Le « Game » de « Role playing Game » signifie système de jeu (ludisme).
Il crée justement, et précisément, des valeurs.
Même les valeurs chiffrées sont une indication d’une chose qui possède son importance propre dans ce monde-jeu.
Le Game pose son propre système de valeur, par des niveaux, des rangs, des compétences, des points.
Il est lui-même l’expression d’une vision du monde.

Augmenter ces valeurs est en soit un objectif implicite au sein du jeu, secondaire ou non, et finalement partagé par l’immense majorité des joueurs dans le monde entier.

Les joueurs veulent progresser dans ce qui a de la valeur dans le jeu.
Ils veulent devenir meilleurs, ou plus puissants.
Ce système de « récompense » par « l’expérience » n’est pas à négliger si l’on souhaite s’interroger sur les objectifs et les motivations à l’intérieur du jeu.

Quand aux autres valeurs, celles non dites, non chiffrées, leur recherche va justement constituer un autre aspect du jeu, comme dans le roman.

Les scénarios posent comme valeur de trouver la réponse à des énigmes et à des problèmes.
Les joueurs utilisent leurs capacités pour résoudre ces énigmes et ces problèmes.
(Il sera difficile de trouver des parties ou ce ne sera pas le cas.)
Le héro est d’ailleurs depuis toujours, par définition, celui qui révèle des secrets cachés et résout des problèmes qui sont souvent hors de portée du commun des mortels.
Pour son audace il sera d’ailleurs souvent punis ou mal vu par les autorités, les dieux ou le destin.

Enfin si la campagne ou l’historique des personnages posent des valeurs quelconques elles posent donc des déterminismes qui s’érigent assez rapidement en objectifs.
Cela ira bien sûr jusqu’à la possibilité d’imposer des objectifs, secondaires ou non, aux joueurs.

Tous ces éléments posent, qu’on le veuille ou non, un ensemble de valeurs qui sont autant de déterminismes possibles.

Le joueur possède t’il vraiment le choix de se soumettre ou non à ces objectifs implicites ?


La liberté et la règle

Les travaux théoriques sérieux sur le jeu sont une denrée rare.
Tout le monde cite Huizinga ou Caillois, mais franchement, ça date.
Mais il se trouve qu’un philosophe moderne a revisité l’ensemble de la question et nous a livré un ouvrage précieux à ce sujet.
Il fait désormais référence et est cité dans certaines thèses universitaires ou sur Wikipédia alors que son travail a à peine dix ans.
Son nom est Colas Duflo, et l’ouvrage qui nous intéresse se nomme « Jouer et philosopher » (PUF).

Alors je ne compte pas réécrire son livre ici. (!)
Mais son objectif principal était de proposer une définition philosophique du jeu.

« Invention d’une liberté, dans, et par une légalité ».

Légalité signifie ici règle.
Dans cette définition, c’est la règle qui FONDE le jeu.
De fait, il n’existe pas de jeu sans règles fondatrices.
Puis la règle vient encadrer le jeu en lui fixant à la fois des limites et des possibilités.

La thèse qui est également soutenue par ailleurs par Duflo est que plus un jeu possède de règles plus il offre de libertés.

Il nomme ces libertés « légalibertés ».
Soit la liberté de faire ce qui est prévu par les règles.

La liberté créée par le jeu est inédite.
Elle n’existe pas sans la règle qui la fonde.
(La liberté de jouer aux échecs n’existe pas sans les règles des échecs.)

La liberté de jouer consistera donc à se soumettre à une règle.

Une fois de plus, déterminisme ou liberté de choix ?

Décidément il nous faut faire un tour vers les bases.



Liberté, choix, déterminisme, légaliberté.

Sans citer Morpheus et le Mérovingien, le problème du choix opposé à celui de la causalité est vieux comme l’histoire de la philosophie.
C’est le problème philosophique de la liberté.

Alors faut-il reposer ce problème ici ?

Il semble bien que oui, d’une certaine manière. En effet Antoine oppose le déterminisme des jeux en général à la liberté de choix propre aux JDRs.

Certains jeux seraient donc plus déterminés que d’autres.

Cela nous semble exact.

Prenons l’exemple du jeu « pile ou face ».
Il n’existe que deux possibilités et seul le hasard tranchera.
Un seul choix : choisir pile ou face.

Prenons World of Warcraft.
Il existe des milliards de combinaisons.
Vous ferez des choix à longueur de temps.

Pourtant, dans un cas comme dans l’autre on restera dans la légaliberté.
Vous ferez des choses prévues et fondées par les règles.

Cela rejoins la critique des grands moralistes sur la liberté, qui dit qu’il n’existe pas de libertés sans limites. Il faut se fixer des règles pour être libre.

Dans cette conception philosophique de la liberté, les limites ne sont pas des limites contraignant la liberté de la volonté humaine ; ces limites définissent en réalité un domaine d'action où la liberté peut exister, ce qui est tout autre chose.

Et, dans une certaine mesure, la vision des philosophes du déterminisme qui affirment que pour être libre il faut également une réelle autonomie intérieure par laquelle nous nous donnons volontairement des règles d'actions.

D’une certaine manière, être libre consisterait à choisir (et à être capable de choisir) son propre déterminisme.
C'est-à-dire choisir les règles que l’on s’impose.

On observera que jouer, selon la définition de Cola Duflo c’est très exactement cela.
« Inventer une liberté dans, et par, une légalité ».

Que l’on soit dans un jeu ou dans la vie, on choisis donc de suivre un certain nombre de règles pour y inventer une liberté.
La différence essentielle est que les règles de vie concernent la vie mais ne la crée pas.
Alors que les règles du jeu créent le jeu.


Découvrir ses choix

Tout jdr pose un certain nombre de valeurs.
Le scénario ou la campagne en posera d’autres.
Le MD en posera aussi, ainsi que les autres joueurs.

Faire l’expérience de la liberté ludique c’est se soumettre à des règles pour y réinventer une liberté.

Il me semble que la seule « particularité » des JDR serait la variété possible de ces choix.

Ou pour être plus précis, que les JDR possèderaient la particularité de proposer en permanence de nombreuses valeurs et règles, différentes les unes des autres.
Ils instaureraient donc la possibilité de choisir sa valeur et donc sa règle, et ce à différentes occasions dans le jeu.

Dans cette optique le système (le Game, le ludisme) serait comme l’instauration d’un minimum.
Minimum très important pour les débutants.
Le système introduit des valeurs obligatoires.
On peut s’y cantonner ou progressivement découvrir que l’activité propose bien d’autres valeurs à explorer, bien d’autres règles cachées où il est possible d’inventer sa liberté ludique.

Alors soit, les jeux de rôle proposent de nombreuses valeurs, de nombreuses règles et donc de nombreux choix.
Dans quelle mesure est-ce réellement une spécificité ?


Mon avis sur la question

Ce qui fait la spécificité des jeux de rôle c’est en fait la possibilité de glisser d’une valeur à l’autre, d’une règle à l’autre, dans des domaines extrêmement variés.

A un même moment du jeu, les joueurs peuvent se focaliser sur différentes manières de jouer, de « mettre en valeur » ou d’utiliser tel ou tel aspect de l’activité.

Antoine, si tu souhaites mettre en exergue l’aspect du choix comme particularité des jeux de rôles, tu devrais considérer cet aspect sous l’angle du choix de « la valeur mise en avant ».

C'est-à-dire que chaque joueur possède la possibilité d’essayer d’entraîner le jeu vers une des valeurs qui font celui-ci.

Les jdrs offrent l’incroyable possibilité du glissement permanent d’une valeur à l’autre.

Le LNS propose d’ailleurs une grille de lecture possible de ces valeurs.

Fustiger le système (Game, ludisme) est une erreur, tout simplement parce qu’il propose justement une valeur possible dans le jeu, et que cela maintien sa richesse, et la possibilité pour chaque joueur de le choisir comme valeur pour exprimer sa liberté ludique. (légaliberté).

Le système n’a pas forcément à fournir des valeurs pour tous les aspects possibles du jeu, mais c’est malgré tout un concept de travail intéressant. (Exemple : les points d’honneur dans LotFR ou les réductions d’empathie à Cyberpunk)

Les JDR permettent l’exploration des valeurs et posent implicitement cette exploration comme objectif du jeu.


C’est sur cette proposition que je vais finir pour l’instant faute de temps.
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Message par Christoph » 19 Fév 2007, 23:17

Impressionnant Phaerimm, et très intéressant!

Le seul point où je ne suis pas en accord, c'est l'emploi du mot ludisme (qui l'eut cru), si tant est qu'il est sensé faire référence à la définition de la théorie de Ron Edwards (qui sépare clairement les concepts de système et de ludisme).

Aurais-tu quelques exemples de valeurs pour accompagner cet exposé?
Je pense comprendre de quoi tu parles, mais il est fort probable que je distord au travers de ma propre compréhension de la chose.


Cette discussion entre libertés de choix et règles est très riche, continuez comme cela!
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Message par phaerimm » 20 Fév 2007, 03:24

Effectivement le Ludisme se rapproche plutôt de l'Agon définit par Roger Caillois (en gros la compétition).

Autant pour moi et ma malheureuse tentative de rapprochement.

_____

Tu as raison, je devrait donner des exemples de ce je nomme "valeurs" à travers cette proposition d'approche.

C'est un terme très générique qui peut signifier beaucoup de choses.

Le choix d'une valeur mise en avant dans le cadre d'un jeu de rôle devra être une chose "jouable".

C'est le choix d'une "influence" au sein de la partie de jeux de rôle, qui dicte ses propres règles.

On choisit de se laisser influencer par cette valeur et de s'inventer une liberté au sein de cette "règle".

Alors en vrac:

-L'alignement à D&D.
-Des combinaisons puissantes de sortilèges.
-Les émotions ou les sentiments de son personnage.
-L'intérêt du groupe de personnages.
-Les premisses ou même les postures LNS.
-La beauté narrative d'un geste.
-Accumuler des points en vue d'une grosse dépense.
-La défense des intérêts de son dieu / supérieur / autre.
-L'honneur ou la parole engagée.
-Comploter contre les autres joueurs.
-Se spécialiser à très haut degré dans une compétence et l'utiliser souvent.
-Décréter que son personnage hait/adore un élément du monde.
-Chercher à déclancher des situations cocasses/dramatiques/conflictuelles.
-Se créer un véritable résaux de relations dans le monde du jeu.
-Optimiser son armure, son véhicule, son robot de combat.
-Les relations d'amitié/amour avec les NPC.
-Attaquer en justice.
-Se faire forger/créer une arme unique.
-Chercher à obtenir un titre.
Etc.

A noter qu'une réflexion devra être faite sur le concept de hors-jeu.

Lorsqu'un joueur fait un choix de valeur qui n'est pas suivit par le reste du groupe, ou par le scénario, ou par le jeu ou par le MD, on a un risque de hors jeu.

Le hors jeu est une liberté qui peut éventuellement être "légale" mais qui n'est justement pas une valeur du jeu.

Comploter contre les autres joueurs à Ambre c'est une véritable valeur du jeu.
Optimiser son armure à Chtulhu années 30 c'est souvent assez inutile.
Chercher à déclancher des situations cocasses à Paranoïa ou In Nomine c'est une valeur du jeu.
Etc.

______

On observe un déterminisme du choix dans tous les jeux.

Antoine a raison de dire que les jeux à conditions de victoire rajoutent le déterminisme de la victoire.

Pourrait-on dire que les jeux de rôle possèdent moins de déterminismes ?
Pourtant on ne peut pas dire qu'ils en soient exempts.
En fait ils en possèdent plus, mais ils sont variés
Si la victoire n'existe pas, le concept de "réussite" lui, est toujours présent comme déterminant puissant.

La plus grande liberté de choix qu'il affirme existe d'après moi dans le fait qu'il est toujours possible de décider de mettre en avant une valeur du jeu plutôt qu'une autre.

Il est possible de sacrifier la "réussite" et de choisir de jouer sur un autre tableau et de raconter une autre histoire.

Selon les tables/jeux/MD ce sera plus ou moins possible.

J'ai joué une campagne à Nephilim qui s'est soldée par un échec parce que tous les membres du groupe ne se sont pas focalisés sur les mêmes valeurs (réussite, cohésion, fidélité, "lecture en méta-jeu" du scénario, etc.).
Cet échec n'a fait que raconter une autre histoire, et a ainsi exploré d'autres possibilités qu'une fin heureuse et classique.

Il reste que la réussite est un derterminisme assez puissant en JDR, qui n'est pas sans rappeler les conditions de victoires décriées par Antoine.

Les joueurs qui font des choix qui les éloignent de la réussite d'un scénario s'exposent plus ou moins au hors jeu par rapport aux valeurs du reste du groupe, voire du jeu lui-même.
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Message par Antoine » 21 Fév 2007, 18:15

Hello,

Désolé d'intervenir si peu souvent mais je suis en ce moment noyé par le boulot. ](*,)

Notez bien que je décrie pas les conditions de victoire plus que ça. Je souligne juste que leur présence fait du jouet de rôle un jeu de stratégie, qui n'est pas une "nouvelle " forme de jeu. Je pense qu'il est possible de faire autre chose avec les jouets de rôle, une chose qui est justement plus originale.

Pour rejoindre phaerimm, je compare les règle d'un jeu classique et celles d'un jeu de rôle :

Dans un jeu classique, les règles sont un ensemble limité et dénombrable de lois. Et ces lois interviennent dans l'espace de jeu qui est lui même précisément déllimité dans l'espace et le temps.

Ce n'est pas le cas en jdr. L'espace de jeu est bien distinct de l'espace réel, mais c'est un univers entier qui est infini. Tout n'y est pas décrit, mais tout y est potentiellement accessible.
De même, certaines règles sont écrites, mais elles sont faites pour gérer certains aspects particuliers du jeu. En pratique, la majorité des cas est géré par le "sens commun" des joueurs. Le mot commun n'est pas anodin : les régles du jeu, donc le jeu lui-même, résultent en fait de la vision commune qu'ont les joueurs du jeu. Ce qui fait que cet ensemble de règles n'est ni dénombrable, ni même prédéterminé. tout au plus peu on mettre l'accent sur tel ou tel aspect, justement en soulignant telle ou telle règle.


C'est un peu court, jeune homme, mais I'll be back. :)

Antoine.
Dernière édition par Antoine le 21 Fév 2007, 22:08, édité 2 fois.
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Message par Antoine » 21 Fév 2007, 19:52

phaerimm a écrit :Il reste que la réussite est un déterminisme assez puissant en JDR, qui n'est pas sans rappeler les conditions de victoires décriées par Antoine.


Je suis d'accord avec toi sur un plan pratique, mais pas sur le plan du principe.

C'est vrai que de manière général, on aime "réussir". Dans la vie, il est même indispensable de réussir, car cela signifie réaliser ses désirs, satisfaire ses motivations, réaliser des choses auxquelles on croit.

Toutefois, je crois que la force du jeu est de placer les joueurs dans un univers protégé, où il n'est plus indispensable de réussir. Car justement un échec n'a pas de conséquences réelles. Un échec du personnage n'est pas nécessairement un échec du joueur, bien au contraire. Tout comme un acteur qui interprète brillamment le rôle d'un looser. Il est absolument vital de différencier les intérêts du joueur de ceux du personnage.

Je pense donc que ce déterminisme de réussite, d'autant plus puissant qu'il est naturel, doit être dépassé dans le jeu de rôle pour jouir pleinement des possibilités offertes par la distanciation avec un personnage fictif. Sans distance, pas de rôle.

S'en suit une question : " Le dépasser, mais pour aller vers quoi ?"

C'est une excellente question, je vous remercie de l'avoir posée... :-°
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Message par Antoine » 21 Fév 2007, 23:39

(Je pars en peu dans tous les sens mais je prends ça comme ça vient.)

Effectivement la liberté s'appuie sur un corpus de règles qui ne sont no trop contraignantes, ni trop lâches. :-k et ce que je dis est complètement débile en fait... :ankh:

Dans une simulation telle qu'un jeu de rôle, la liberté de choix se manifeste de plusieurs façons:
- libre arbitre du joueur. Celui-ci doit pouvoir faire ses choix librement. Cela ne signifie pas que tous les choix lui sont équivalents, ni même qu'il peut faire ce qu'il veut. En jeu de rôle, cela signifie typiquement qu'il faut éviter les règles qui contraignent a priori les choix des joueurs. Cela peut être des récompenses trop ciblées (tu ne progresses que quand tu tues des monstres) ou des "guides de rôleplay" trop caricaturaux (Tous les Toreadors sont des aAartistes moÔodits).
De même, cela implique que le meneur de jeu va proposer aux joueurs des situations ouvertes, où il est possible d'avoir à hésiter entre plusieurs choix. "La bourse ou la vie" est un exemple un peu caricatural de faux choix. Pourtant il apparaît régulièrement dans les scénarios pour trouver à peu de frais une motivation aux joueurs en leur faisant une offre "qu'ils ne peuvent pas refuser" :sniper: . La limite entre la règle de genre et la marche forcée est parfois ténue...

- choix en connaissance de cause: dans la limite des connaissances de son personnage, le joueur doit pouvoir estimer les chances qu'il a de parvenir à ses fins. Dans Feng Shui, le joueur sait qu'il peut se jeter dans la mélée des vingt maffieux qui rançonnent le petit resto chinois sans crainte. Dans l'Appel de Cthulhu, il hésitera... Cela passe donc par des règles de simulation cohérentes et relativement transparentes.

- conséquences effectives : les choix des joueurs doivent avoir des conséquences réelles liées à ces choix. Cela signifie notamment qu'une fois que les joueurs ont fait un choix, le meneur doit, d'une manière ou d'une autre, le prendre en considération. Des choix différents ne doivent pas tous avoir la même suite ou que des suites équivalentes. Egalement prendre une décision risquée doit.. comporter des risques ! Si les joueurs savent que leurs personnages ne craignent rien quoi qu'ils fassent ils feront n'importe quoi.


Dans un jeu de rôle, on incarne un personnage. Cela fait alors apparaître des éléments très différents de ce qu'on peut rencontrer dans des jeux plus désincarnés :

- un personnage a des motivations, une personnalité. Le joueur va donc pouvoir s'appuyer sur les traits psychologiques de son personnage pour faire ses choix.

- il est possible de faire des choix moraux. C'est à mon avis, un des aspects les plus délicats, mais aussi les plus intéressants du jdr.

Evidemment il devient extrêmement intéressant de "jouer" avec tous ces aspects. Les "régles de genre" s'y prêtent très bien. J'appelle "règles de genre" les mécanismes de simulation qui régissent un univers non pas par un principe de causalité et de logique, mais plutôt par un principe d'adéquation avec une ambiance particulière, un genre narratif. Feng Shui est typiquement un jeu de genre, où le simple fait de faire "Shlick Shlack" avec un fusil à pompe avant de tirer donne un bonus aux dommages... Ou encore les jeux héroïques où "le grand méchant peut toujours s'enfuir tant qu'on est pas à la fin du scénario". Voir le jeu de super-héros "With great power" dont la structure de tout scénario est gérée par des étapes similaire à celles que l'on lit dans les comics (la rencontre entre les PJ, le première rencontre avec le méchant, la recherche d'indices...) ou aux Frontières de R'Lyeh.

Ces règles restreignent effectivement les choix des joueurs, mais tant qu'elles ne les ferment pas complètement, elles sont aussi des conventions avec lesquelles il faut composer. Les Super-héros sont des "gentils" et ont un code moral qui les restreint. Toutefois, c'est justement tout l'intérêt de jouer un personnage avec de grands pouvoirs, mais qui ne peut les appliquer à tort et à travers. L'étape d'après étant bien sûr de jouer avec ces même codes et d'interpréter des super-villains !

Antoine.
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Message par Christoph » 22 Fév 2007, 16:23

Oui Phaerimm, on se rapproche de l'idée du ludisme avec la compétition (mais ça c'est un point qui a été affiné dans d'autres essais plus tard: voir l'introduction de Gamism: Step on Up si tu veux en savoir plus).

Concernant les valeurs que tu exprimes, je vois bien ce que tu dis. Il y a juste, à mon avis, une erreur de catégorie pour un point: les prémisses LNS (les postures en revanche je suis d'accord avec toi).

En effet, toutes les valeurs que tu évoques sont de type "événement imaginaire", ou du moins des techniques/règles pour y parvenir d'une certaine manière (les postures, accumuler des points, etc.), sauf les prémisses LNS.

Alors je sais que j'ai dit que je ne voulais plus débattre de la chose en théorie, mais ici, le contexte est différent est, à mon sens, directement lié.

Donc, si on voit les prémisses comme un classement dans l'importance ou la priorité qu'on attribue à ces diverses valeurs que tu listes (ou du moins aux valeurs sous-jacentes à ces éléments que tu évoques) on arrive proche de ce que je voulais dire dans l'autre thread.

C'est ce que je voulais dire quand je disais qu'une prémisse n'est pas une préférence en soi (on peut préférer devoir accumuler plus ou moins de points, comploter contre les autres joueurs, etc.)

Or, je crois qu'on sera facilement d'accord qu'un groupe peut accorder plus ou moins d'importance à ces valeurs que tu liste, dans des combinaisons variées.
Et si l'on regarde ce qu'il y a dans ces "schémas de valeurs", et si on est "fonctionnel" selon la théorie de Ron ou, vraisemblablement, ce que tu appelles "ne pas être hors jeu", alors on retrouvera un des trois modes LNS (avec bien sûr des variations possibles dans chacun des trois modes).


On retombe sur la discussion de la nature des choix qu'Antoine a effectué. Antoine tend à exclure les jeux de type D&D de sa définition du jeu de rôle, Ron les y inclut comme un autre mode.



En effet, D&D inclut des "conditions de victoires" proches des wargames. Les joueurs vont s'y conformer et mesurer leurs réussites les uns avec les autres (c'est là une forme de compétition). Je parle spécifiquement de la réussite des joueurs, pas celle du personnage (on pourrait imaginer un D&D parodique où le but est de jouer un aventurier "looser", le joueur gagnant d'autant plus d'XP que son personnage se fait humilier par les monstres).

Mais ce que Phaerimm reprend sous le terme de Réussite est en effet à la base de tous les jeux de rôles.
Si la victoire (dans le sens des jeux classiques) l'est pour certains, on peut en voir d'autres:
- réussir à donner vie à son personnage (ceci est 100% compatible avec des échecs qu'il essuierait de temps à autre)
- réussir à faire passer une ambiance
- réussir à illustrer un choix moral dans son personnage (ce n'est pas forcément la même chose que le premier point)
- réussir à dégager une histoire satisfaisante de la séance de jeu
etc.


Certaines de ces réussites sont importantes dans une partie donnée, d'autres pas. On rejoint l'idée des valeurs dont parlait Phaerimm.

Et comme lui, je dis qu'il est nécessaire pour obtenir une partie satisfaisante que tout le monde partage les valeurs et le type de réussite qui en découle.

Bien sûr, on est libre de changer de valeurs d'une partie à une autre, mais pour une partie donnée, c'est très important d'être sur la même longueur d'onde.

Je ne pense donc pas qu'il faut dépasser le déterminisme de réussite, il faut juste se rendre compte qu'il y a toutes sortes de réussites possibles.

Et là je vais replonger dans de la théorie à Ron: le système de jeu est un puissant indicateur de réussite pour le joueur. Si la réussite que reflète le système n'est pas celle que recherchent les joueurs, il va y avoir confusion des signaux et risque de problèmes.

Je suspecte que ta discussion de D&D découle fortement de tes expériences passées, où tu espérais obtenir un type de réussite que D&D supplante invariablement avec sa réussite de "victoire".
Comme tu parles de développement du personnage à travers ses succès ET ses échecs (qui est un type de réussite pour le joueur s'il parvient à le faire d'une manière satisfaisante), il me semble clair que D&D n'est pas adapté à ce que tu veux faire.



Maintenant que l'on sait qu'il y a plusieurs valeurs/réussites, il peut être intéressant de voir comment un joueur peut prendre ses décisions dans ce cadre.

Antoine, je suis tout à fait d'accord avec toi que les conséquences doivent être effectives pour pouvoir parler de choix et que le joueur doit disposer d'un certain libre arbitre.

En revanche, je ne vois pas pourquoi il devrait se limiter, forcément, aux connaissances de son personnage. Ceci est un choix purement stylistique que l'on peut tout à fait adopter, mais qui n'est pas nécessaire. D'ailleurs, quand on est MJ, on le fait pas et pourtant on joue quand même.
Ca c'est la discussion des Postures que Ron fait. Celle dont tu parles est la posture de l'Acteur, celle du MJ est vraisemblablement celle du Metteur en Scène. Mais on peut en voir d'autres (Ron parle de celle de l'Auteur par exemple, qui consiste à justifier rétroactivement les choix du personnage en fonction de nos choix en tant que joueurs).
Bon, je ne tiens pas autrement à ces Postures telles que définies: dans les faits, on passe souvent de l'une à l'autre dans une partie, où même on les mélange. L'important est de se rendre compte qu'il y a plusieurs manières d'effectuer un choix, en tant que joueur (y.c. MJ).


Et je suis aussi d'accord avec toi, Antoine, que les règles, tout en restreignant certaines libertés, poussent le joueur vers la créativité.
Ca on le voit partout (l'alexandrin a longtemps été une contrainte créative en poésie par exemple) et je crois qu'il est nécessaire de sortir les gens de leurs zones de confort pour obtenir qqch de neuf.

La difficulté est de calibrer les règles de sorte à ce qu'elles favorisent la créativité dans le domaine des valeurs/réussites recherchées, sans rendre les actions des joueurs impossibles ou au contraire complètement guidées. Mais ça, c'est un sujet très délicat qui mériterait un thread à part ou, mieux, une discussion dans le contexte d'un jeux en développement.
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Message par Antoine » 22 Fév 2007, 18:07

Artanis a écrit :Je ne pense donc pas qu'il faut dépasser le déterminisme de réussite, il faut juste se rendre compte qu'il y a toutes sortes de réussites possibles.


Oui, bien sûr, il faut quand même avoir envie de réussir la partie !

Je précise un peu ma pensée:
Par "éviter le déterminisme de réussite", j'entendais surtout "éviter la confusion qu'il y a entre la réussite du personnage et celle du joueur".
C'est cela qui est important. Bien sûr, ça fait toujours plaisir de placer un joli coup, ou de résoudre une énigme, mais ça ne doit pas être une fin en soi.

Un exemple : supposons une énigme dans un scénario. Si le joueur se demande, "Que pense mon personnage de cet énigme ? Comment cherche-t-il à la résoudre ? A-t-il les moyens de le faire ?". Alors il joue un rôle. Si le joueur se demande de but en blanc "Comment vais-je résoudre cet énigme ?", alors il ne joue plus un rôle.
Bien sûr, on peut biaiser et résoudre l'énigme en tant que joueur puis se demander comment son personnage trouverait et présenterait cette solution.
Mais, si tu ne passes pas à un moment ou à un autre par ton personnage, tu ne peux objectivement pas dire que tu joues un rôle.

Je suspecte que ta discussion de D&D découle fortement de tes expériences passées, où tu espérais obtenir un type de réussite que D&D supplante invariablement avec sa réussite de "victoire".
Comme tu parles de développement du personnage à travers ses succès ET ses échecs (qui est un type de réussite pour le joueur s'il parvient à le faire d'une manière satisfaisante), il me semble clair que D&D n'est pas adapté à ce que tu veux faire.


Le fait est que D&D n'encourage pas à jouer un rôle (et il est même asez peu adapté) et c'est ce qui m'intéresse dans le jeu de rôle.
Cela dit, D&D est un jeu de stratégie à l'échelle un pour un qui n'est pas trop mal, encore qu'on ait fait quand meme mieux depuis. :P

Je reconnais que ne pas vouloir appeler "jeu de rôle" D&D, c'est un peu aller à l'encontre de la pratique d'une écrasante majorité de joueurs. C'est surtout le terme "jeu de rôle" qui est peu discriminant car il s'applique indifféremment à des pratiques qui peuvent être très différentes.

Mais je crois aussi qu'un jour il faudra tuer le père... :sniper:

En revanche, je ne vois pas pourquoi il devrait se limiter, forcément, aux connaissances de son personnage. Ceci est un choix purement stylistique que l'on peut tout à fait adopter, mais qui n'est pas nécessaire. D'ailleurs, quand on est MJ, on le fait pas et pourtant on joue quand même.


Tout à fait : mes mots ont dépassé mes paroles !
Les règles de genre sont typiquement le type de règles dont le joueur à conscience, mais pas le personnage. Le personnage voudrait bien arrêter le grand méchant à la première rencontre, mais le joueur sait bien que ça ne se fera pas.
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