Une toute vieille expérience de jeu, où je jouais mon perso-fantasme: Artanis Aeldarundë. Copie softcore d'Elric de Melnibonë avec de multiples espèces de kitsch dedans, j'adorais ce guerrier-mage au passé trouble et tragique (oh mon dieu!) Comme MJ j'avais Julien (aka Silver) et nous avions 15-17 ans à tout péter.
On arrivait gentiment au terme d'une campagne D&D qui restera mythique pour son saccage des Royaumes-Oubliés et autres références obscures à ceux n'y ayant pas joué.
Donc, lesdits Royaumes se faisaient pulvériser par une marée de monstres venus du nord où un énorme portail s'ouvrait à intervalles réguliers. Nos personnages s'y rendent pour tenter de couper le mal à la racine. Une énorme tarasque venait de sortir et se préparait à mettre cap sur le sud. Combat en perspective!
J'avais le perso le plus bas niveau, mais Julien m'avait gratifié d'un dragon pour au moins cette scène. Monsieur dégâts c'était Jérôme qui jouait un mago terriblement puissant, niveau 20.
Histoire de ma la jouer bien fantastique et héroïque, je déclare une attaque en piquée sur la tarasque, histoire de lui balancer une boule de feu à la gueule au passage. Quelques petits dégâts sont faits et mon dragon remonte à toute allure pour se mettre hors de portée.
Là, Julien déclare: "Sous l'accélération énorme, ton personnage chute." (De manière non-mortelle.)
*Bling* Quelque chose vient de se briser. Qu'est-ce? Mon rêve! Mon personnage serait donc si mauvais qu'il ferait une bête chute d'un dragon?
Ne sachant que faire, et les règles étant particulièrement floues à cet égard, je me lance dans une argumentation débile considérant des principes physiques et je finis par m'engueuler avec Julien. Je ne sais plus ce qu'il s'est passé ensuite. Vous n'imaginez pas le traumatisme.
Petite analyse potentielle: à aucun moment nous ne jouions selon l'aspect stratégie et tactique du coeur de D&D (sauf peut-être Jérôme et encore). Julien avait besoin d'un moyen de me rendre amochable par la tarasque et il a agi avec les outils les plus à même d'être gérés par les règles de D&D. Dans mon optique de jouer un héros fier et magnifique, ceci fut un rude coup porté à sa crédibilité.
Peut-être qu'avec un système plus axé sur l'obtention d'enjeux, tel que Pool, nous aurions pu traiter ce problème de manière plus glorifiante:
Julien: "La tarasque attrape la queue du dragon et le ramène au sol."
Christoph: "Pas d'accord! Je lance mes dés..."
Suite à quoi nous aurions pu faire une terrible narration dans un sens ou l'autre: "La tarasque est propulsé à travers le paysage" ou "le dragon s'écrase lourdement, Artanis continue le combat à pied".
Dans D&D, les règles pour attraper un adversaire sont notoirement lourdes! Il paraît que la 4e édition arrangera cela. Celles pour une chute (soutenue par le fait que le MJ a toujours le dernier mot) sont extrêmement simples.
Dans le premier cas, j'aurais au moins eu droit à une honorable confrontation, dans le deuxième, ce fut l'humiliation.
Bien sûr, le problème est plus fondamental. En tout cas moi, je ne jouais pas du tout dans l'aspect technique de D&D, où il s'agit d'aller chercher l'avantage pour prendre le dessus dans les conflits. Or le système D&D tend à encourager cette façon de jouer. Je ne pense pas non plus que Julien jouait dans cette optique en tant que MJ et les règles avaient tendance à le gonfler.
Morale de l'histoire: un système qui ne soutient pas notre démarche amène à de sales cassures de la crédibilité, souvent aux frais du PJ. Et un PJ pas crédible, ça casse tout ce qu'il pourrait représenter ou exprimer pour le joueur.
Pour finir, ceci n'est en aucun cas une critique de Julien. Il avait été le premier à lancer une grosse campagne avec les règles et les textes mal foutus de AD&D 2e, on découvrait le jeu de rôle et à la même place, j'aurais fait exactement pareil (il doit y avoir des exemples similaires avec nos rôles échangés). Vers la fin, nous avions transité à la 3e édition sous mes incessantes exhortations, ce qui n'a en fin de compte que compliqué l'exercice.
Ce billet me sert avant tout à expliquer une notion importante dans mes projets et mon plaisir de jeu: le fait que le joueur ait les moyens (typiquement via les règles) d'agir sur la fiction de manière satisfaisante. J'appelle cela le protagonisme.
Questions et commentaires bienvenus.