(Attention, je risque d'être un peu hors-sujet. Je laisse à Christoph le soin de gérer selon son cœur...)
Je ne suis pas bien sûr de voir ce que recouvre la notion de "protagonisme", mais pour moi c'est purement et simplement une question de narration.
Parce que dès qu'ils sont sortis du donjon de base, dès qu'ils ont intégré en fait la moindre notion de "scénario", les jdr sont selon moi sortis de la catégorie des "jeux de simulation" pour devenir des "jeux de narration".
Une partie de jdr actuelle à finalement plus à voir avec "Il était une fois..." qu'avec le wargame, aussi "ludiste" ou "simulationiste" que soient le jeu, les joueurs et la partie. Au final, on produit toujours de l'histoire.
Cette idée commence à faire son chemin chez les rôlistes : déjà, quelques-uns (dont votre serviteur) considèrent la notion de "jeu de narration" comme une évidence, une poignée d'avant-gardistes explorent gaillardement les nouvelles implications de cette façon de concevoir le jeu* et des tas de gens trouvent tout naturel de jouer des "scénarii" plutôt que des "modules", sans voir forcément tout ce que ça signifie.
C'est justement pour ça que j'ai choisi de faire figurer dans l'introduction au système de jeu de La Noire Essence une définition du jdr, qui n'a pas d'autre prétention que d'être "celle qui nous plaît à nous, l'équipe qui écrit le bousin", mais qui permet déjà d'exprimer clairement le but et le principe de nos règles de JdR** : gérer une narration ludique.
Dans ce but, le système a été conçu selon l'idée de la "draisine narrative".
Une draisine, c'est le petit chariot ferroviaire "à pompe basculante" qu'on voit des fois dans les westerns : un double bras de levier, deux personnes, "pompant" en alternance et un machin qui avance dans une direction unique. Voilà pour moi le principe du jeu de narration : le MJ produit de la narration, les PJ produisent de la narration, le MJ produit de la narration, les PJ produisent de la narration... et l'histoire avance.
Cette idée se traduit déjà au niveau du personnage lui-même : on utilise un système de résolution "par mise" (puisque je vois que vous connaissez le principe) où le personnage utilise son énergie à son gré, "dosant son effort" en fonction de l'importance qu'il accorde à ses actions. Pour récupérer les points ainsi dépensés pour l'action, le personnage doit produire des "Réactions", soit un pot-pourri de ses défauts, vices, activités compensatoires, addictions, manies, etc. qui sont aussi un moyen de guider (forcer ?) le roleplay. Encore une fois : le personnage pousse dans un sens, puis dans l'autre, et son histoire personnelle avance.
Plus il crée de narration sous forme d'action, plus il est amené à créer de la narration par le roleplay "de Réaction", plus il peut produire d'action etc.
Il est à noter que, de son côté, le MJ peut lui aussi déclencher à volonté les "Réactions" des PJ en payant simplement le joueur en Points d'Energie.
D'une certaine manière, l'effort de jeu est récompensé par plus de possibilités de jeu et les efforts de narration par plus de possibilités de narration. Car à force d'agir et de "réagir", le perso gagne des Points d'Histoire qui vont lui permettre de faire de plus en plus "ce qu'il veut" dans cette histoire ludique, notamment en achetant avec ces points des réussites automatiques, des évènements, des PNJs qui l'aideront à remplir ses objectifs et/ou à faire une belle scène et donc à raconter l'histoire qu'il veut pour son personnage.
Le même principe s'appliquera à la création de personnage (encore en chantier) : les joueurs augmenteront leur "budget" de points de création en acceptant d'intégrer à leur histoire personnelle les éléments d'histoire proposés par le MJ, éléments qui vont faciliter l'intro, planter les germes de scènes futures ou poser des problèmes aux PJ (et les problèmes, c'est du carburant narratif).
Ainsi la répartition du "pouvoir narratif" autour de la table se fait autant par les efforts de chacun que par une sorte de transaction : le MJ achète l'adhésion des joueurs et la concordance des PJ avec ses prévisions narratives. Par leurs actions et leurs réactions, les PJ influencent la narration commune. Le MJ paye les joueurs en Points d'Energie (c'est à dire, finalement, en "possibilités d'action") pour déclencher les Réactions de leurs PJ. Il récompense encore la réussite narrative des joueurs en Points d'Histoire, qui augmentent encore leur liberté narrative.
Il y a une certaine vision (personnelle***) du monde cachée sous ce principe de jeu, mais d'un point purement ludico-narratif, il a un but évident : être une pompe à histoire. Une pompe dont chacun peut actionner le levier selon son envie à hauteur de son implication, qui permet à chacun de puiser de quoi nourrir ses intentions narratives personnelles mais alimente toujours la fiction commune.
Bon, y a encore des défauts techniques, même une fois les règles améliorées et rédigées nous aurons encore certainement commis des erreurs dans la réalisation de ce principe, mais nous essayons au moins de pousser le jdr dans le sens qui nous paraît à la fois le plus prometteur et le plus fondamental : jouer à produire de l'histoire à plusieurs.
*parce qu'en réalité, je crois que la plupart des gens jouent déjà selon ce principe, ils ne l'ont simplement pas encore formulé ainsi.
** je pense bien sûr que notre définition vaut pour tous les jeux, mais je ne me sens pas de dire aux autres auteurs ce qu'ils doivent penser.
*** quelque chose comme un cercle vertueux : "plus tu prends ta vie en main, plus ta liberté augmente, plus tu as d'occasion de prendre ta vie en main, plus ta liberté augmente, plus...".