Je vais vous parler d'une partie de jeu de rôle one-shot (=faite en une seule séance) de mon cru avec des personnages prétirés. Je l'ai joué à la convention Ludicité avec des joueurs qui m'étaient inconnus.
J'aime beaucoup faire jouer de tels scénarios qui sont courts et intenses (notez que j'aime aussi beaucoup y jouer aussi). Les joueurs sont plus attentifs et s'implique beaucoup plus que dans une campagne (j'aime aussi beaucoup les campagnes mais pour des raisons différentes). En tout cas, j'ai eu à présent que des bonnes expériences en one-shot et particulièrement lorsque le scénario était de ma propre création.
Le scénario en question s'appelle "Des Drachmes pour les braves" et s'inscrit dans l'ensemble de mes créations touchant la République mercenaire. Comme préparation, je me limite en principe à une trame d'intrigue, un décor cohérent (vague mais complet), un évènement d'encrage (un évènement planifié qui permet aux joueurs d'entrer dans le décors et l'intrigue) et, le point essentiel, un groupe de personnages cohérent (ça doit être logique qu'ils soient ensemble), dynamique (il doit exister des légers points de frictions qui peuvent lancer des débats en jeu), adapté au scénario (Chaque personnage doit pouvoir être touché personnellement par certains points de l'intrigue) et complémentaires (Chaque personnage doit être le point central d'une partie de l'intrigue, chacun peut devenir le héros principal à un moment ou à un autre).
Et ensuite, c'est liberté totale des joueurs.
1) La trame générale du scénario était que les joueurs devaient enquêter sur un trafic de monnaie, que l'on appelle les Drachmes. Ce trafic était défini assez précisément pour qu'il ne se modifie pas (et reste incohérent).
2) Le décor était une ville qui abritait une grande partie du commerce de mercenariat, Rougelune dans la République mercenaire. Je connaissais toutes les intrigues secondaire de la ville et du pays (les ayant développées moi-même de manière très complète et cohérente).
3) L'événement d'encrage était une simple réception dans une école de magie de la ville. Chaque personnage y rencontre au moins un personnage non joueur qui s'intéresse à lui.
4) Le groupe comprend :
Magrit de Kerviel (interprété par une jeune EG) : Marchand international d’art, le vieux Magrit est connu dans tous les milieux financiers et artistiques par sa position incontournable sur le marché.
Inspiré de cœur et de combat, ce Keshite s’attache depuis de nombreuses années à découvrir l’origine de la mystérieuse monnaie du Masque, les Drachmes. Ses connaissances exceptionnelles en finance et ses moyens financiers prodigieux lui ont permis de découvrir après une vingtaine d’année de recherche que de nombreuses pièces maudites proviennent de la ville de Rougelune, centre commercial et financier des compagnies mercenaires.
Il a donc rassemblé autour de lui des amis Inspirés ou des proches en qui il a une confiance absolue pour aller sur place et découvrir ce qui se cache à Rougelune.
Alcène Dessemont (interprété par une EG expérimentée) : peintre de talent et découvreur de talents, Alcène est un passionné de son art.
Sa galerie de peinture de Lorgol fait parti du réseau commercial de Magrit de Kerviel, qui est un ami depuis longtemps. Ils partagent ensemble une profonde passion pour les pièces de monnaie et Alcène aide depuis déjà quelques années à repérer les Drachmes pour Magrit.
Bourmam « le bouché » (interprété par un novice de l'univers d'Agone) : Garde du corps fidèle de Magrit, Bourmam « le bouché » (ce surnom provient du fait qu’il ne répond pas aux provocations ou aux injonctions qu’on lui fait mais également de son habilité à user de sa hache) est un ogre timide qui vie à l’ombre de son maître. Loin de l’image que les étrangers ont de lui, il est un être sensible aux arts et à la beauté de l’Harmonde qu’il célèbre de tout son cœur. Il est un artiste complet mais sans génie qui aime pratiquer ses arts dans l’intimité.
Il est profondément attaché à Magrit de Kerviel qui a fait de lui ce qu’il est devenu et qui lui a trouvé de discrets maîtres pour apprendre les arts magiques.
Mértin Moulier (interprété par un novice de l'univers d'Agone) : Mage jorniste, Mértin Moulier est un terne mais côtoyant son grand ami Magrit de Kerviel depuis longtemps, il en connaît à présent long sur la lutte pour l’Inspiration. Vivant dans le respect le plus strict des préceptes du Cryptogramme, il s’occupe avec passion de son Danseur exceptionnel, Boline, sans se préoccuper du pouvoir matériel. Il faut dire que Magrit de Kerviel pourvoit à tous ses besoins en échange de ses services notariaux exclusifs lors de gros contrats.
Ses recherches incessantes avec son Danseur lui ont permis de perfectionner son emprise magique.
Kefmir (interprété par un joueur expérimenté d'Agone) : Jeune conjurateur de démons de talent, Kefmir est le conjurateur privé de Magrit de Kerviel. Il s'occupe de la transmission de la correspondance commerciale de Magrit et des livraisons d'œuvres d'art. Tout ceci est assuré dans les meilleurs délais à l'aide de démons invoqués par Kefmir. Il est en quelque sorte celui qui se salie les mains à la place du patron mais il en retire une sécurité financière importante, Magrit s'occupant des frais de conjuration. Il s'est attaché à son patron et à son emploi.
Je ne vais pas plus m'étendre sur le cadre du scénario et je vais à présent me concentrer sur le déroulement de la partie qui a été étonnante à plus d'un titre et très satisfaisante pour moi et les joueurs.
Prenons ce qu'on fait les joueurs les uns après les autres :
Bourmam le bouché était un novice à Agone mais pas en jeu de rôle. Il voulait interprété son personnage à fond. Même son personnage avait été créé par moi, il se l'est approprié d'une manière étonnante et surprenante. Il faut dire que je l'ai laissé faire et l'ai encouragé dans cette voie. Il ne s'intéressait pas vraiment à l'univers mais ce n'est pas grave car il a bien participé à l'ambiance. Ce joueur m'a avoué après la partie qu'il s'était éclaté et ça m'a fait très plaisir.
Un exemple de son interprétation : étant paranoïaque et garde du corps, il me demande à part et m'explique qu'il ne veut pas que son patron aille à la réception (l'évènement d'ancrage dont j'ai déjà parlé). Il souhaite donc envoyer ses hommes masqués ligoter et baillonner Magrit et le remplacer par un acteur... :D
Je prends Magrit à part et lui explique ce qui se passe (il n'arrive pas à échapper au plan de son garde du corps).
Lorsque Bourmam revient de la réception, il libère son patron et lui avoue son forfait (et oui, il est loyal et il le joue).
Magrit de Kerviel était un maître de jeu qui cherchait des inspirations pour Agone (c'est en tout cas ce que j'ai pu comprendre). Il était très attentif à mes explications et au déroulement du jeu. Il a été comblé par le tour de force de Magrit. Après lui avoir expliqué comment il s'est fait ligoté, revenant à la table, je déclare : "Ainsi vous partez tous à la réception...". Il n'a pas compris tout de suite qu'il avait été remplacé et assistait étonné aux scènes des autres qui ignoraient la vérité (à part le garde du corps). J'ai tout mis en oeuvre que les autres joueurs ne se doutent de rien en laissant le joueur assister aux scènes qui mettait en scène son remplaçant.
Le joueur était fasciné par ce qui se passait et voulait absolument que je lui révèle la technique qui a permis la situation (alors que je n'étais pas à l'origine de celle-ci) : "Il faut absolument que je le fasse à mes joueurs !!!"
Après avoir découvert la vérité, il commence à interpréter son personnage avec Bourcham et ils commencent à faire un duo avec des dialogues de jeu très amusants : "Je vais te faire battre Bourcham !!!" "Non, maître, je ne faisais que vous servir et veiller à votre sécurité."
Je les ai laissé poursuivre pendant que je m'occupais des autres joueurs.
Alcène était un éminence grise expérimenté, c'était donc plus difficile de le surprendre et sans doute celui qui comprennaît le plus rapidement les subtilités du scénario. Il s'est lancé dans l'enquête avec peu de succès malheureusement.
Je m'appliquait à expliquer certains détails techniques pour qu'il suive plus en profondeur et je crois que ça lui a plu. Je masterisais pour un connaisseur.
Mértin était un novice d'Agone et il cherchait à découvrir l'univers et à se l'approprier. Il a pris de la liberté dans l'interprétation de la magie et j'ai adapté les règles pour m'adapter à sa vision. J'essaye d'être le moins rigide possible surtout lorsque c'est cohérent. C'est lui qui est allé le plus loin dans l'intrigue principale. Il a tellement exploré le décors que j'ai du l'approfondir avec beaucoup d'improvisation et l'a exploité à son profit.
C'était un vrai challenge d'approfondir avec un joueur novice. Il s'en est très bien sorti et il a été le moins largué lorsque Kefmir a créé la surprise.
Pour résumer les points importants du jeu de Mértin : il s'est intégré à l'association magique la plus puissante de la ville (la loge de la Courterie) et j'ai du lui improviser un bizutage original et crédible.
Kefmir était un joueur d'Agone qui avait de la bouteille. Il n'interprétait pas le personnage le plus évident et il a exploré son personnage tout en intégrant subtilement le décor. Tout en enquêtant pour son patron, il s'est intéressé de très près à une intrigue annexe dans laquelle il s'est fait une place de choix : il s'agissait de la volonté des conjurateurs de la ville de remplacer les mages de la Courterie (dont faisait parti Mértin). Après plusieurs plans vaseux (mais extrêmement amusants) et désaveux de ses compagnons, il me déclare qu'il veut rejoindre la cabale des conjurateurs. C'est le coup de théâtre complet que je trouvais esthétique et très intéressant !!! J'ai alors pris la décision de sortir une intrigue gigantesque que je n'avais pas prévu pour ce scénario (créée pour mon atlas de la République mercenaire et la campagne qui l'accompagnera). Il faut dire que j'avais donné durant le jeu des indices discrets et innocents à ce sujet dans mes descriptions et que finalement rien n'était totalement parachuté mais respectait une cohérence visible.
Ainsi l'intrigue principale est abandonnée pour créer une fin épique et surprenante.
Je laisse entendre à Mértin (le moins largué sur le coup) que les conjurateurs préparent un sale coup afin qu'il agisse pour que les mages s'en mêlent et rendre la fin encore plus grandiose. Malheureusement le discours de Mértin laissait à désirer pour convaincre ses amis d'agir ("Allez, venez, ils sont méchant et ils vont nous faire du mal" "Non je n'ai pas de preuve mais on est copain, non ?", je lui laisse l'occasion de le jouer aux dés (pourtant je n'aime pas ça). Malheureusement, il fait un monstrueux échec critique !!! La fin se déroulera sans les mages :(
Commence alors le grand final, je le décris à tous les joueurs même si seul le personnage Kefnir assiste à la scène. Ils invoquent un démon de cinquième cercle (satan, en un peu moins puissant). Les joueurs qui n'avaient pas vu venir la trahison de Kefnir sont bluffés par ce qui se passe et le joueur interprétant Kefnir est enchanté. Il conclue alors un contrat avec le démon qui demande la liberté de régner 1000 ans sur le pays en échange de quoi il soutient l'instauration d'un nouveau système économique contrôlé par les conjurateurs à la place des mages.
Ainsi se termine cette partie plein de surprises et finalement plus court que prévu. J'explique dans un petit débriefing ce que les joueurs n'avaient pas compris ou plutôt ce à quoi ils n'avaient pas assisté. Les éminences grises comprennent alors toute la cohérence de l'histoire. J'étais très heureux de savoir qu'ils ont tous passé un aussi bon moment que moi.
Je crois que le scénario "Des Drachmes pour les braves" est le plus abouti que j'ai inventé. Après l'avoir fait joué deux fois, je n'y ai découvert aucun problème majeur et il est très équilibré. Il faut dire que j'ai pris en compte les petites failles du dernier en date "Le parjure". J'espère donc le faire jouer encore plusieurs fois pour explorer toutes ses possibilités.
Cette partie démontre aussi que j'ai réussi à concilier les attentes différentes de joueurs inconnus (techniquement, tous simulationnistes mais à des niveaux très différents, cherchant la simulation de leur personnage, de l'intrigue ou de l'univers). Il faut dire que j'ai du pas mal jongler entre les joueurs pour m'occuper de chacun et qu'ils ne s'ennuient pas. C'était tellement prenant que j'ai dû me passer de cigarette pendant plusieurs heures (une seule pause en tout). Ceux qui me connaissent savent ce que ça signifie !!!
Je suis donc très fier des progrès effectués dans la masterisation.
De plus, j'ai pu faire plusieurs constats concernant les one-shots :
1) La cohérence est essentielle pour la réussite d'un scénario
2) Un large décors de qualité et, surtout, une connaissance parfaite de ce dernier sont essentiels pour laisser le plus de liberté possible aux joueurs sans devoir ramer pour recoller les morceaux.
3) Les personnages prétirés permettent une plus grand cohérence de l'histoire mais n'empêchent pas les joueurs de se l'approprier et de prendre de la liberté.
4) Les scénarios one-shot peuvent être aussi grandioses que les campagnes de jeu de rôle. Ils peuvent être un vrai concentré de campagne.
De ces constats, je tire également des apprentissages personnels :
1) Je dois continuer à soigner la cohérence de mes scénarios.
2) Pour réussir, je dois continuer dans ce que je connais bien et que j'ai déjà beaucoup développé : la République mercenaire. Je pense que je ferai mes prochains one-shot d'Agone dans cette contrée malgré la tentation d'essayer autre chose. J'explorerai d'autres lieux lors de campagnes ou simplement dans mes créations rôlistiques.
3) J'ai une préférence pour les personnages prétirés et je continuerai à soigner cet aspect de mes scénarios. D'ailleurs, je me rend également compte que j'ai moi-même beaucoup de plaisir de jouer en prétiré.
4) J'organiserai plus souvent des one-shots de qualité pour mes amis. Ce serait stupide de ne pas leur en faire profiter.
(J'espère ne pas avoir été trop long et si des parties du post ne sont pas compréhensibles ou obscures, faites-le moi savoir.)