Hello
Dans la veine de la thématique récente des scénarios bacs à sable, je vais parler un peu d'une partie que je viens de jouer et qui correspond assez bien (dit-il fièrement) à cette technique. Voici ma préparation, telle que je l'ai imprimée et utilisée en partie. Les textes descriptifs sont tirés de Wikipedia tels quels, d'où le mélange d'anglais et de français. Ça vaut la peine de survoler ou de l'avoir sous les yeux pour suivre le rapport de partie, parce que malgré l'impression que je peux parfois donner, la préparation peut tout à fait être essentielle dans des jeux forgéens.
Comment je m'y suis pris pour préparer le bac
Je me suis préparé pour un scénario de convention. Je voulais créer une situation instable dans laquelle il y aurait un certain nombre de personnages, parmi lesquelles les trois joueurs pourraient choisir le leur, le reste étant des PNJ. Je voulais quelque chose de méchant (préférence esthétique personnelle), et je voulais tester Dust Devils depuis un moment déjà, ça tombait très bien.
J'ai eu un moment d'inspiration: il fallait qu'il y ait les thèmes des indigènes, de la femme, de la religion et de l'industrialisation.
J'ai parcouru Wikipedia et je suis tombé un peu par hasard sur l'épisode du déplacement des Cherokee. C'était dans le sud-est américain dans les années 1830, c'était pas trop anachronique d'introduire le chemin de fer. Il y avait clairement des missionnaires chrétiens.
Okay, il me faut une demi-douzaine de personnages... voyons:
Une femme Cherokee, qui pourrait croire en la cohabitation entre indigènes et européens. Un mec Cherokee un peu cinglé qui veut se venger des blancs. Un homme de foi, parce que les rôlistes aiment jouer des extrémistes religieux (pourquoi?) Un prospecteur pour une compagnie de chemin de fer... et pourquoi pas en faire une femme juive? Ah, il me faut un rôle délicat aussi: le fonctionnaire chargé par le gouvernement fédéral de traiter de la "question indienne". Et un paysan blanc qui a quelques différents avec les Cherokee quand à l'utilisation des terres et dont le domaine se trouve pile poil sur la ligne projetée du chemin de fer.
Je n'étoffe pas trop, comme ça les joueurs peuvent adapter certains aspects (déjà que ce sont des prétirés! et que j'ai un scénario! ça a bien fait rire Lionel quand il est venu voir à notre table...)
Bon, ça devrait tenir en 4-5 heures, y.c. explication des règles.
Comment les gens se sont assis dans le sable
Donc, je me retrouve à cette petite convention où nous allons régulièrement avec une bande d'amis. Lionel et moi avions déjà proposé de maîtriser l'année passée, alors on a retenté l'expérience.
Finalement, je n'ai eu que des connaissances à ma table! Mon frère Michael, Zarina (amie et membre du comité Orc'Idée) et son copain Jérôme (pas le même que celui dont vous pouvez lire les exploits dans la plupart de mes comptes rendus)... quelque part, tant mieux, car je sais que ce sont des gens raisonnables et avec qui on peut faire du JdR!
Michael a pris Sarah Blumenbrock, et l'a jouée telle quelle, en jouant sur le fait que c'était une femme en pantalon (gasp!) et à la tête d'une équipe d'ouvriers (impensable!)
Zarina a joué Wut-Teh aka Rosa Parks et a décidé qu'elle était veuve d'un mari blanc. Enfin, elle a carrément précipité son décès... ceci a été un point de détail crucial pour l'histoire de Wut-Teh.
Jérôme à joué Sean McNamus, prêtre catholique un peu trop avide de conversion.
On a joué une scène d'introduction pour chaque PJ, et j'en ai profité pour introduire un des PNJ majeurs à chaque fois: Burt Griffin le fermier qui pense que les blancs savent mieux utiliser les terres que les indiens, Tah-Chee le taré qui en a marre de la mentalité d'exploitation à outrance des blancs et Tom Threepersons, le fonctionnaire lâche et perfide.
Frédéric aurait potentiellement hurlé: je me suis abandonné à de l'interprétation de la plus pure espèce! Je faisais même des mimiques et des gestes, mais je n'ai pas trop abusé des accents (juste un peu).
Tout ça, c'est finalement assez classique.
Comment nous avons construit le château de sable
Il y a eu beaucoup de scènes où les persos se sont juste montrés. Ce que je veux dire par là, c'est qu'on a découvert qui ils étaient vraiment. Par exemple, le prêtre avait beau être un prosélyte, il n'avait pas oublié son amour du peuple Cherokee: il y a certes eu quelques conflits (notamment avec cet alcolo de Tah-Chee, et là c'était clairement prosélytiste), mais le vrai personnage s'est construit autour de cela et en interaction avec l'évolution de la situation. Difficile à épingler, mais j'en ferai peut-être un autre rapport à l'avenir.
Là, le système de Dust Devils était bien adapté. Les conflits signifient toujours qu'il y a un fond de violence: physique, verbale, pourquoi pas sociale (le racisme latent par exemple).
On les résout en tirant un certain nombre de cartes de poker (ça dépend de ce qui a écrit sur les feuilles de personnages), puis on essaie de faire la meilleure main. La meilleure main l'emporte et inflige des "dégâts" au caractéristiques de l'ennemi, mais c'est celui qui a la carte unique la plus haute qui raconte comment cela se concrétise dans la fiction.
Une fois qu'un personnage est arrivé à 0 dans une caractéristique et qu'il entre dans un conflit mettant cette caractéristique à contribution, il arrive à sa Fin. A ce moment-là, son joueur sera forcément narrateur et raconte comment son perso quitte l'histoire. Eventuellement il peut encore baisser ou monter les scores des autres persos.
Ceci a par exemple donné une superbe scène de fin pour Wut-Teh (qui avait une bonne position sociale chez les blancs en tant que Rosa Parks). Elle était constamment en conflit avec Tom Threepersons sur la "Question Indienne" et ils se sont mutuellement bien fait descendre leurs caractéristiques. A un moment, elle invite le maire (célibataire: par hasard! je l'avais décrit comme ça parce que je pensais que ce serait intéressant pour Blumenbrock) et commence à le cuisiner pour savoir quels sont les plans de la ville concernant l'Acte de Retrait des Indiens (qui a vraiment existé!) Il n'en parle pas trop, change de sujet. Donc elle le drogue et là... il parle!
Attendez, elle l'a drogué? Mais son mari... et là, tout s'emballe. Le maire se réveille complètement déchiré le lendemain en fin de matinée (alors qu'il devait travailler) et il déclenche une procédure pour arrêter Wut-Teh. Tom en profite pour lui inculquer encore le meurtre de son mari et elle n'a guère le choix que de fuir.
Finalement elle se fera rattraper et on la condamnera à la pendaison. Zarina en profite pour entrer dans la Fin de son personnage et raconte comment elle demande de voir une dernière fois le ciel étoilé à Tom. Celui ci se laisse aller à la lubie de cette folle peaux-rouge, de toute façon elle va bientôt crever et il sera tranquille. Elle l'assomme d'une pierre en pleine tempe et s'enfuit. Là elle croise McNamus le prêtre et Blumebrock et deux de ses hommes autour du cadavre de Tah-Chee avant de disparaître pour toujours.
Tout ça, c'est Zarina qui l'a racontée.
Entre temps, McNamus a beaucoup milité pour les Cherokee et a tenté de contrer la signature du traité de relocalisation. Jouant d'une mauvaise chance monumentale (on a toute de suite vu qui était le célibataire d'entre nous deux!) Jérôme perd conflit sur conflit avec les autorités blanches et n'arrive pas à convaincre le chef des Cherokee à dénoncer le contrat, malgré le soutien fort d'une bonne part de la population Cherokee.
Dégoûté (il était à 0 en Coeur à ce moment-là), il part à la recherche de ce Tah-Chee qui tire sur tout le monde dans la région (et qui lui avait accessoirement bousillé l'épaule faut-il le mentionner?) pour le dégommer.
Mais il le retrouve au même moment que Blumenbrock qui veut venger la mort d'un de ses hommes. Le Cherokee ivre est donc cuit.
Sean McNamus abaisse son arme, renonçant de tirer sur cette pauvre épave dont la vie a été ruinée par les blancs. Blumenbrock et ses hommes le fusillent.
Peu après, Wut-Teh débarque et explique en quelques mots à McNamus qu'elle doit partir et qu'elle lui faisait confiance pour aider les Cherokee à lutter contre la relocalisation (ceci pour illustrer le fait que Zarina remonte le score de Coeur du prêtre de 0 à 1, ce qui n'est possible que lorsqu'un personnage est à la Fin). Cette confiance réchauffe le coeur de McNamus. Qui bénit quand même le cadavre... (genre, j'aide les indiens, mais ce serait quand même bien qu'ils aient la même religion que moi alors je leur donne un petit coup de main...)
Blumenbrock était assez passive au début, mais à la fin, la situation lui a pété un peu à la tronche, dans le sens où les fermiers ne pouvaient pas la sentir (menace pour leurs terres!) et que Tom les a poussé à bout en espérant un acte stupide qui lui permettrait de faire exproprier les fermiers en plus des Cherokee, parce que lui aussi croyait au chemin de fer. Et il espérait ainsi que Blumenbrock devienne également alliée pour la Question Indienne.
Elle essaie donc de gérer la question des fermiers blancs (qui du coup se sont retrouvés en alliance contre-nature avec les Cherokee) et... grâce à un carré d'As (!), Sarah Blumebrock et ses hommes se font tabasser propre en ordre, en signe "d'avertissement". Elle était accusée d'avoir fait brûler la ferme de Burt Griffin (alors qu'en fait c'est Threepersons qui a fait faire cela pour polariser la situation entre paysans et la prospectrice).
Finalement, les blancs trouvent un terrain d'entente: ils vont profiter du fait que le chef Cherokee ait signé le papier pour redistribuer ces terres aux fermiers (au double!) et ainsi pouvoir construire le chemin de fer comme prévu. Tout est bien qui fini bien, non?
Tragiquement, c'est à peu près comme ça que ça a du se passer historiquement aussi. Ce qui est sûr, c'est que sur le Sentier des Larmes, les 15'000 Cherokee en déplacement pour l'Ouest ont perdu 4'000 des leurs.
Liberté des joueurs
J'ai un peu bâclé l'aspect "qui dit quoi", certes. Ce qu'il faut voir, à mon avis, c'est que les joueurs étaient libres de prendre position comme ils l'entendaient, mais qu'il y avait bien entendu certaines positions qui étaient bien plus crédibles que d'autres (Wut-Teh n'allait certainement pas féliciter Tom Threepersons).
Ensuite, ils pouvaient démarrer des conflits au sujet de ce qu'ils voulaient (mais moi aussi en tant que MJ) et les règles garantissaient que les buts des vainqueurs soient respectés, peu importe qui racontait l'issue du conflit.
Maintenant, un exemple de la question du partage entre MJ et joueurs:
Zarina a choisi de se coucher sur un conflit en voyant ses cartes pourries. Cela signifie qu'un événement venait interrompre momentanément la résolution du conflit dans la fiction. Ainsi, il s'agissait d'aller fouiller sa demeure pour trouver les fioles de drogue et de poison qu'elle était supposée avoir, comme preuve de ses actes perfides. Donc Zarina se couche et raconte comment Burt Griffins ramène sa viande en hurlant qu'il y avait le feu à sa ferme!
Malgré cela, c'est moi qui décidait qui avait foutu le feu à la ferme. Si elle avait immédiatement proposé une réponse, j'aurais eu le droit de lui dire non, ou de révéler que c'était une fausse information plus tard. Parce qu'en tant que MJ, je garde l'autorité sur le monde et son contenu. Les joueurs eux vont le faire bouger via leurs personnages, mais cela ne leur donne pas le droit d'affirmer des faits sur les PNJ, événements, etc. Suggestions que je suis libre d'accepter: volontiers! Affirmations: exclus!
Finalement, c'est assez classique tout ça. On garantit juste un poids considérable aux volontés des joueurs prêts à entrer en conflit (et donc de risquer leurs persos).
Suis-je dirigiste?